Politique agricole, politique commerciale ou choix politique ?

Malgré la progressive et constante précarisation de la population agricole européenne déclenchée par reforme de la Politique agricole commune en 1992, l’Union européenne (UE) continue dans une incohérence totale entre sa politique commerciale et sa politique agricole. Elle signe des traités de libre-échange (voir fiche « Accords de libre-échange »), comme par exemple le Ceta qui ouvre la porte à 85 000 tonnes de viande porcine et 65 000 tonnes de viande bovine.

Cette politique commerciale ne reconnaît pas le caractère « exceptionnel » de l’agriculture (voir fiche « Exception agriculturelle ») et ne prend pas en considération les effets de long terme sur le développement (ou l’arrêt définitif !) de certaines productions.
Prenons l’exemple des céréales. Les accords commerciaux du Dillon Round du GATT et de Blair House ont empêché l’UE d’atteindre l’autosuffisance en protéines végétales. Ces accords ont fortement déséquilibré les assolements : l’augmentation des superficies céréalières s’est faite au détriment de plantes riches en protéines. Cela a rendu l’UE dépendante des importations d’oléoprotéagineux pour l’alimentation animale. De son côté, la France est devenue excédentaire en céréales, ce qui oblige encore aujourd’hui nos agriculteurs français à brader leurs céréales au cours mondial sur le marché international.

Pour d’autres produits, on assiste à un mécanisme incompréhensible qui consiste à exporter des produits bruts pour les importer ensuite sous forme de produits transformés.
Importer un produit pour notre consommation intérieure tout en exportant, en parallèle, un produit équivalent pourrait à la rigueur se défendre d’un point de vue économique, mais c’est souvent le contraire en ce qui concerne l’aspect social (en particulier la rémunération des producteurs) et environnemental.

Halte au dumping !

De surcroît, les produits importés ne respectent pas nos normes de production. Ils existent de nombreux produits (vétérinaires, phytosanitaires…) interdits en Europe, mais couramment utilisés dans les pays exportateurs engagés dans des accords de libre-échange et dans les relations commerciales avec l’UE. Exemples : le Chlortalonil, fongicide encore autorisé aux USA, Canada, Brésil ; le Thiamethoxam (insecticide, idem) ou pour l’élevage l’Avilamycine, antibiotique utilisé hors UE comme activateur de croissance.

Cela concerne également les exigences d’identification et de traçabilité bien plus laxistes par rapport à celles qui s’appliquent à nos produits de haute qualité.

Les aberrations ne s’arrêtent pas là. Si on s’intéresse aux LMR (limites maximales de résidus) de ces mêmes produits, on constate qu’elles sont bien supérieures (parfois multipliées par 100) par rapport aux seuils fixés en Europe. Bien qu’un article de loi interdise ces importations (article 44), elles ont toujours lieu.

Les propositions de la Coordination Rurale

> Appliquer l’article 44 de la Loi EgAlim
Retranscrit directement dans l’article L236-1 A du Code rural dans le cadre de la Loi EgAlim en mars 2019, l’article 44 est très clair :
« Il est interdit de proposer à la vente ou de distribuer à titre gratuit en vue de la consommation humaine ou animale des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques ou vétérinaires ou d’aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne ou ne respectant pas les exigences d’identification et de traçabilité imposées par cette même réglementation.
L’autorité administrative prend toutes mesures de nature à faire respecter l’interdiction prévue au premier alinéa. »

Depuis l’approbation de la loi, la CR a demandé au gouvernement et fait pression sur les parlementaires pour que cet article soit appliqué. La CR a ainsi proposé la création d’une commission des importations qui aurait pour mission de recenser, d’alerter et d’émettre des avis, en particulier en amont des discussions sur des accords de libre-échange.
Néanmoins, considérant que nous n’avons pas les moyens de contrôler l’ensemble des marchandises entrant sur le territoire français, la preuve du respect de cet article doit porter sur les pays exportateurs. Ils devraient prouver qu’il n’a pas été fait usage de matières interdites en Europe sur les produits vendus. La France l’a déjà fait pour les cerises turques.

Pour l’Europe, cet article peut être une base pour la Diplomatie verte, dont elle veut devenir chef de file au niveau mondial, en ligne avec les ambitions détaillées dans le Green Deal.

> Instaurer la TVA sociale
À travers une taxation sur les produits importés dans le cadre d’une TVA sociale, la France ferait participer les produits importés au financement de la protection sociale ce qui n’est qu’un juste retour puisque leur consommation ne crée pas de richesse en France et vient concurrencer nos produits (avec à terme, chômage, délocalisations, etc.). Pour un agriculteur français cela revient à diviser par deux le coût du travail ou à pouvoir embaucher deux salariés pour le coût d’un seul.

> Appliquer des clauses de sauvegarde et des clauses miroirs
La réciprocité des exigences environnementales, sanitaires et sociales aurait déjà dû trouver sa place (article 188 bis) lors des négociations PAC sur le règlement de l’Organisation commune des marchés (OCM). Cela aurait eu le mérite de donner un horizon à court terme (janvier 2023) et un cadre juridique clair et concret à une mesure qui fait hélas de plus en plus figure d’intention de communication politique.
Cette mesure, largement adoptée par les eurodéputés, s’est pourtant heurtée à un refus du Conseil de l’UE lors des négociations PAC.
Et pourtant, les limites à la mise en place de clauses miroirs ne sont pas juridiques (et elles ne l’étaient pas pour l’OCM). En revanche, elles sont commerciales et diplomatiques, et le temps diplomatique se compte en années plutôt qu’en mois…

Une situation paradoxale que Julien Denormandie, lorsqu’il était ministre de l’Agriculture, avait très bien résumé : « Qui peut comprendre qu’on importe en Europe des produits qui n’auraient pas le droit d’y être produits ? ». De son côté, son ministère avait pourtant expliqué que « des tolérances à l’importation peuvent être établies au cas par cas afin de répondre aux besoins du commerce international ». (JO Sénat du 16/01/2020 – page 275)

Le gouvernement français n’est cependant pas obligé d’attendre la mise en place de clauses miroirs pour protéger les consommateurs et les agriculteurs français.
En effet, comme cela a été fait concernant le Diméthoate, il a la possibilité d’appliquer des mesures de sauvegarde pour empêcher les importations de denrées alimentaires traitées avec des produits interdits en France.

> Se doter d’une protection douanière tarifaire et non tarifaire
L’UE doit se doter de protections tarifaires afin de sécuriser une rentabilité suffisante aux agriculteurs, pour leur permettre de cultiver tout en renouant avec les bases agronomiques et des assolements équilibrés.
En parallèle, elle doit exiger et garantir que chaque denrée alimentaire destinée in fine à la consommation humaine ou animale en provenance d’un pays tiers corresponde strictement à nos standards européens de production.

> Réhabiliter la préférence communautaire
Le marché européen devient progressivement la première source de concurrence déloyale en raison de la disparité de normes sociales, fiscales et environnementales, une réalité aggravée par la tendance de la France à sur-transposer les directives européennes.

Le projet de la PAC porté par la CR depuis sa création met au centre de la refonte la préférence communautaire. Elle a été conçue pour protéger l’agriculture européenne et organiser ses productions en fonction des besoins des consommateurs. Sans une relocalisation des chaînes de production à l’échelle européenne, l’UE n’a pas la garantie de pouvoir faire face à ses besoins alimentaires et encore moins à une nouvelle crise.

Ce n’est qu’en protégeant les marchés agricoles européens des perturbations par les importations parasites qu’il sera possible d’assurer la souveraineté alimentaire au niveau de l’UE. La préférence communautaire permet aussi de protéger le consommateur en empêchant l’importation de produits ne correspondant pas aux standards de production et de qualité institués en UE. La lutte contre la concurrence déloyale est le centre des préoccupations de la CR, que ce soit en Europe ou avec les pays tiers. L’UE ne peut pas être qu’un simple libre marché et il est indispensable de tendre le plus rapidement possible vers une harmonisation européenne des normes environnementales, fiscales et sociales.

 

 

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