Le concept est évoqué pour la première fois lors de la conférence de rentrée de janvier 2023. La « désagriculturation » est la menace que la Coordination Rurale (CR) voit peser sur l’agriculture, française dans un premier temps, puis européenne.

Malgré les belles performances de fleurons agricoles comme les vins et spiritueux, la balance commerciale de l’agriculture française décroche depuis 2011. Sans les seuls vins et spiritueux, notre balance commerciale est déjà déficitaire, à hauteur de -4,6 milliards d’euros en 2019 (2019 – Haut Commissariat au plan). Le solde des produits bruts est devenu négatif depuis 2015, celui des produits transformés depuis 2007, et son déficit ne cesse de se creuser (rapport FranceAgriMer 2020).

Le nombre d’exploitations agricoles est en diminution constante tout comme celui des non salariés agricoles (NSA). Si rien n’est fait pour inverser la tendance, en 2050, la ferme France aura perdu 40 % de ses exploitations passant de moins de 400 000 aujourd’hui à 230 000 ! Ce processus de désagriculturation implique aussi la disparition de 250 000 à 300 000 emplois non salariés et plus de 200 000 emplois induits en amont de la production. La conséquence, c’est des exploitations plus grandes, loin du modèle d’une agriculture familiale, où les agriculteurs ne seront plus que les salariés des financiers qui auront racheté ces fermes devenues intransmissibles.

Cette chute est désormais engagée. Le phénomène est à rapprocher de celui de la désindustrialisation : la part de l’industrie est passée de 20% du PIB en 2000 à seulement 10% en 2021. Or, plutôt que de prendre conscience de ce problème structurel, les pouvoirs publics continuent de laisser prospérer les accords de libre-échange, multiplient les contraintes réglementaires qui affaiblissent tous les secteurs agricoles et ne mettent pas œuvre un plan stratégique de redressement qui relancerait l’agriculture au nom de la souveraineté alimentaire
C’est ainsi que les agriculteurs doivent continuer de produire, en subissant les impasses techniques dues à la suppression de produits phytopharmaceutiques (PPP) sans alternative. Ce qui les expose à des distorsions de concurrence et qui pose une vraie question de santé publique puisque les denrées importées sont produites avec ces mêmes PPP interdits en Europe.
Ils doivent aussi s’adapter au manque d’eau l’été sans pouvoir créer de réserves, se plier encore et toujours à des normes très strictes qui accentuent leur vulnérabilité face à une concurrence féroce sur le marché mondial, consacrer de plus en plus de surfaces à des activités non productives… La liste est longue.

Malheureusement, les politiques publiques nationales et européennes orientées fortement vers la montée en gamme et l’agriculture biologique font l’impasse sur le volet économique !
La PAC notamment, de moins en moins agricole de plus en plus environnementale, est devenue une mosaïque de 28 déclinaisons nationales. Les objectifs fixés par l’article 39 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) sont complètement abandonnés.

L’UE doit arrêter de se servir de l’agriculture comme d’une variable d’ajustement ou d’une contrepartie dans les accords commerciaux en réduisant fortement le budget agricole ; ce qui empêche d’assurer la régulation des marchés, l’harmonisation des normes et le contrôle des importations dans une optique de préférence communautaire intelligente.

Car imposer ses normes sociales, environnementales et sanitaires aux importations (tel que c’est inscrit dans l’article 44 de la loi EGAlim) permettra à l’Europe de préserver son modèle en remplissant le double objectif de protéger le consommateur de l’ingestion de produits toxiques interdits dans l’Union et de protéger les agriculteurs du dumping social, environnemental et sanitaire.

C’est la voie pour lutter contre la désagriculturation et c’est ce que promeut la CR dans son exception agriculturelle.

L’agroécologie pourrait être une piste – que la CR met en avant chaque année au travers du festival de Non labour et de semi direct (festival NLSD) – et la France est même en pointe dans la reconnaissance de l’agroécologie, dont la définition figure dans la loi d’avenir du 13 octobre 2014 (Art. L. 1. – II. du Code rural et de la pêche maritime). Mais les responsables politiques ont oublié que la définition de l’agroécologie spécifie clairement qu’une exploitation agroécologique doit être économiquement viable !

Pour paraphraser l’ancien ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, sur cette situation paradoxale : « Qui peut comprendre que l’on importe en Europe des produits qui n’auraient pas le droit d’y être produits ? »
Pour la CR, cette mesure de réciprocité dans les échanges commerciaux est donc indispensable pour favoriser des systèmes alimentaires durables au sein de l’Union européenne.

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