Longtemps réclamée par la médiatrice de l’Union européenne, Emily O’Reilly, la version finale de l’évaluation d’impact sur le développement durable (EID) de l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur a été publiée en juillet dernier. Ce rapport, rédigé par « The London School of Economics (LSE) », analyse deux scénarios : l’un ambitieux avec une forte réduction des droits de douane, l’autre conservateur avec une réduction plus minime des taxes à l’importation. Ces deux scénarios conduisent néanmoins, par le biais d’une forte augmentation des importations de viande, à une chute drastique de la production bovine européenne et donc à la disparition future de nombreux éleveurs.

Deux scénarios catastrophe pour la production bovine européenne

Le scénario conservateur prévoit une réduction de 15 % des droits de douane sur la viande issue des pays du Mercosur, les produits laitiers, le riz et le sucre. L’importation de viande bovine issue des pays du Mercosur, (s’établissant à plus de 215 000t en 2019 - chiffres Meat Market Observatory) augmenterait de 30 %. En parallèle, la production bovine européenne chuterait de 0,7 % en raison de l’accroissement de l’offre qui provoquerait ue chute de prix. Les pays du Mercosur verraient quant à eux leur production bovine progresser de 0,2 % (Paraguay) à 2,1 % (Uruguay).

Le scénario ambitieux afficherait pour sa part une réduction tarifaire de l’ordre de 30 % pour la viande, le riz et le sucre, et de 100 % pour les produits laitiers. Les importations de viande issues des pays du Mercosur augmenteraient de 64 % et s’établiraient ainsi à plus de 350 000t. Si ce scénario venait à être adopté, la production européenne chuterait de 1,2 %, quand la production des pays du Mercosur progresserait de 0,6 % (Paraguay) à 4,0 % (Uruguay).

Résultats pour la viande bovine (source : rapport LSE, p.185)  

Quel que soit le scénario adopté au cours des négociations, les éleveurs bovins européens seront les victimes directs de la ratification de cet accord. L’importation massive de viande issue des pays du Mercosur va fortement peser sur les cotations, ce qui mènera la filière dans une nouvelle crise.

Ce constat confirme la volonté de démantèlement de la filière bovine par la Commission européenne, déjà fortement déficitaire. Cette dernière, considérant à tord que les européens consomment trop de protéines animales et que l’élevage bovin est responsable de pollution atmosphérique (lire notre article – élevage : distinguer le vrai du faux), n’hésite pas à financer des entreprises élaborant de la viande en laboratoire, à l’instar des 9 millions d’euros dont a pu bénéficier la startup néérlandaise Meatable en 2019.

Des normes de production très inférieures aux standards européens

Le rapport publié par LSE reconnaît les limites des législations sur le bien-être animal au sein des pays du Mercosur. Alors que les standards concernant le bien-être des animaux d’élevage sont strictement encadrés par le droit européen depuis 1992, le texte du rapport souligne l’application inégale du bien-être animal entre les pays du Mercosur. Il souligne également que « l’intensification de la production de viande et l’augmentation spectaculaire des exportations de viande bovine du Mercosur ont ravivé les inquiétudes ».

Au delà du bien-être animal, ce sont globalement les normes de production qui diffèrent des pratiques européennes. En effet, des molécules prohibées dans nos élevages sont toujours massivement utilisées au sein des élevages des pays du Mercosur tels que les antibiotiques activateurs de croissance. L’utilisation de farines animales est également très répandue dans l’alimentation des bovins (lire notre argumentaire contre les accords de libre-échange).

Pour la Coordination Rurale, ce rapport met en exergue l’incompatibilité réglementaire entre l’UE et le Mercosur. « Les éleveurs bovins français et européens vont une nouvelle fois être victimes de concurrence déloyale. On nous impose des normes exemplaires en termes de bien-être animal, avec des contrôles très stricts, quand nos autorités vont permettre l’importation de viande élaborée sous d'autres standards. C’est tout simplement inqualifiable. La Commission européenne, en permettant l’accès à ces produits au marché européen, met la santé de ses concitoyens en danger ! » s’insurge Alexandre Armel, responsable de la section Viande de la CR.

Du « blanchiment » de viande au Brésil

Le numéro 1 mondial de la viande, JBS, a récemment été pointé du doigt pour « blanchiment » de viande bovine au Brésil. En effet, des photos ayant circulé sur les réseaux sociaux montrent des salariés de l’entreprise transporter des bovins d’une zone faisant l’objet d’un embargo du ministère de l’Environnement brésilien depuis 2012 pour déforestation illégale, vers un élevage agréé pour l’export vers l’Union européenne. D’après le consortium formé par The Guardian, The bureau of investigative journalism, Disclose et Reporter Brasil, près de 7 000 animaux auraient ainsi été déplacés entre les deux sites. Selon une étude publiée par la revue américaine Science, 17 % du bœuf exporté vers l’UE pourrait avoir participé à la déforestation illégale en Amazonie.

L’Allemagne émet pour la première fois des doutes sur l’accord

L’Allemagne, qui a récemment pris la présidence de l’UE pour une durée de 6 mois a fait de la ratification de l’accord UE-Mercosur sa priorité. Cependant, en réponse aux violents incendies qui ravagent actuellement l’Amazonie, la chancelière allemande a exprimé pour la première fois de sérieux doutes sur un accord avec le Brésil et les pays du Mercosur. L’Allemagne était pourtant jusqu’alors l’un des principaux défenseurs de l’accord, qui permettrait à son industrie automobile de s’exporter vers l’Amérique du sud à des droits de douanes préférentiels.

L’ensemble des parlements nationaux doit s’exprimer

En tant qu’accord mixte, l’accord avec les pays du Mercosur doit, à l’instar du CETA, être ratifié par l’ensemble des parlements nationaux des États membres de l’Union européenne. Les parlements autrichiens et néerlandais ont déjà exprimé leur refus de ratifier cet accord.

La Coordination Rurale s’indigne une nouvelle fois du fait que l’agriculture soit la variable d’ajustement sacrifiée au profit d’autres secteurs, tel que l’automobile dans le cas de l’accord avec les pays du Mercosur. Le syndicat a toujours montré son désaccord à la multiplication de la ratification des accords de libre échange, et avait manifesté le 23 juillet 2019 devant l’Assemblée nationale afin de sensibiliser les députés à ne pas voter en faveur du CETA. Le CR revendique que l’exception agriculturelle soit reconnue tant au niveau européen qu’international afin de sortir les produits agricoles des négociations commerciales.

Dans la même catégorie

Viande
Bio
Grandes cultures
Alimentation