Le Gouvernement a annoncé hier 24 mesures en faveur de l’élevage, dans un contexte de crise grave.
Si les mesures d’urgence sont utiles, bien que modestes, les mesures structurelles, centrées sur l’export, la production d’énergie et la contractualisation, sont vraiment très loin d’être à la hauteur.


Des mesures d’urgence qui ne mangent pas de pain !

Nos ministres ont accouru en grand nombre à la conférence de presse pour égrainer leurs propositions.
Les mesures d’urgence annoncées permettront de redonner un peu de trésorerie à certains éleveurs, qui en manquent cruellement.

     1. Poursuite de la mobilisation des abatteurs, transformateurs, industriels laitiers et acheteurs de la grande distribution pour respecter les hausses de prix auxquelles ils se sont engagés

Qui y croit encore ? L'illusion qu'ils tentent de créer en appelant les transformateurs et distributeurs à s'entendre sur des augmentations de prix ne doit tromper personne : ils ne connaissent aujourd'hui qu'une seule loi, celle du marché et une seule réglementation en matière de prix, celle de l'autorité de la concurrence. Qui peut croire que ces hausses, si elles sont effectives, pourront durer ?
L'Etat ne doit donc pas suggérer ou recommander mais imposer une juste rémunération des agriculteurs par des lois adaptées.
 
     2. L’Etat engagera avec les banques une restructuration de l’ensemble des dettes à moyen et long terme des éleveurs en difficulté, en particulier les jeunes et récents investisseurs, avec le soutien de la médiation du crédit

Cette mesure avait été demandée par la CR. Nous regrettons cependant qu’elle soit axée en priorité sur les jeunes et récents investisseurs : bien des éleveurs en difficulté ne relèvent d’aucune de ces deux catégories.

     3. Cette restructuration s’appuiera notamment sur une prise en charge par l’Etat des charges financières des éleveurs les plus en difficulté dans le cadre du fonds d’allégement des charges
     6. Prise en charge facilitée des cotisations des éleveurs les plus en difficulté dans le cadre de l’action sociale de la MSA

Il ne faut pas se méprendre : les 50 millions d’euros alloués au fonds d’allègement des charges ne représentent que 330 € par éleveur  ! Et les 16 millions alloués à la prise en charge de cotisations MSA ne représentent que 107 € par éleveur1 !

Comme toujours, les conditions d’accès sont restrictives et ces aides sont soumises au plafond de minimis2. Les demandeurs doivent donc encore s’attendre à remplir du formulaire et à se gratter la tête avec leurs aides de minimis.

En outre, la mesure de FAC était déjà en place (voir cet article).

     4. La Banque Publique d’Investissement pourra garantir jusqu’à 500M€ de crédits bancaires de trésorerie aux entreprises du secteur de l’élevage pour faire face à l’ensemble de leurs besoins de trésorerie, notamment les créances vis-à-vis des fournisseurs

Cette mesure ne coûtera rien à l’Etat puisqu’il s’agit seulement d’une garantie. Mais les éleveurs ont besoin de trésorerie et le Gouvernement ne semble pas limiter l’accès à ce dispositif.

     5. Report sur demande de la prochaine échéance de paiement des cotisations personnelles et employeurs de sécurité sociale

Une autre mesure minimale et qui ne coûte pas grand-chose à l'Etat puisque c'est la MSA qui en assurera le financement, donc les agriculteurs eux-mêmes... De plus, un report est hélas un moyen de se surendetter. Des éleveurs remboursent aujourd'hui des reports de plans de soutien antérieurs...

     7. Mobilisation du dispositif du Fonds National de Gestion des Risques Agricoles, pour répondre aux besoins des régions touchées par la sécheresse et la canicule

Il s’agit d’un autre effet d'annonce qui ne coûtera pas cher à l'Etat et ne rapportera rien aux éleveurs. C’est le travail du CNGRA, de moins en moins doté par l'état, d’examiner les dossiers de calamités agricoles et cette mesure n’y ajoute rien.

     8. Remise gracieuse sur demande des taxes foncières des éleveurs en difficulté

La CR a réclamé une exonération de la taxe sur le foncier non bâti (TFNB) pour l’ensemble des éleveurs (voir cet article). Nous demandons que cette remise gracieuse ne soit pas appliquée de manière restrictive. Hélas dans de nombreux cas cela ne profite pas à l'exploitant s'il est fermier.

     9. Assouplissement des conditions d’accès aux remboursements mensuels des crédits de TVA par la réouverture jusqu’au 15 septembre du droit d’opter pour une déclaration mensuelle. A titre exceptionnel, cette option pourra être exercée pour une période limitée à un an

Un gadget qui se traduira par plus de formalités administratives, qui n'est qu'un fusil à un coup  et qui n'est finalement qu'une dette que l'état rembourse un peu plus tôt !

     10. Report sur demande des échéances de paiement des derniers acomptes d’impôt sur le revenu et d’impôt sur les sociétés pour les éleveurs en difficulté

Cette mesure donnera un bol d’air momentané mais là encore, il s’agit surtout d’une mesure « cosmétique » : quel étonnement de constater des propositions de report d’impôt pour des éleveurs en difficulté alors qu’ils n’ont pas assez de revenu pour en payer !

Mesures structurelles : le grand enfumage !

La CR estime que les actions d’envergure européennes sont les grandes oubliées de ce plan de soutien à l’élevage.

Les mesures d’urgence ne doivent pas oublier les vraies origines de la crise : l’absence totale de régulation des marchés de la viande et du lait. A ce titre, les mesures structurelles proposées par le panel ministériel constituent un véritable enfumage.

     11. Soutien à hauteur de 10 M€ aux actions de promotion des filières viande bovine, porcine, et produits laitiers sur le marché national comme sur ceux des pays tiers

Il y a déjà eu beaucoup d'argent dépensé pour ce genre d'actions... avec le peu de succès que l’on constate aujourd’hui.

     12. Renforcement des contrôles de la DGCCRF sur l’étiquetage de l’origine des produits

Cette mesure est tellement évidente qu’il est choquant de la voir dans un plan de soutien tel que celui-ci. Comment ne peut-il s’agir que d’un simple renforcement ? Si ces contrôles existent, pourquoi ne sont-ils déjà pas renforcés ? Il faut de plus renforcer cet étiquetage et l’étendre aux produits transformés, par exemple pour les produits à base de viande des pays de l’est.

     13. L’Etat mettra en œuvre dans tous ses établissements les recommandations du guide juridique pour favoriser l’approvisionnement local, et mobilisera à nouveau les collectivités pour mettre en œuvre ces préconisations

Comme pour l'entente sur les hausses de prix, s'il n'y a pas d'obligation légale, les acheteurs se verront tenus par les budgets et les fournisseurs par la compétitivité des appels d’offres.

La CR souhaiterait que toutes les collectivités soient obligées d’acheter français, à l’image du « Buy American » pratiqué aux Etats-Unis. Mais cette proposition bute sur le code des marchés publics et sur le droit européen de la concurrence. Le risque est alors de chercher à discriminer les produits de manière environnementale, au lieu de favoriser simplement les produits locaux.

     14. Réactivation du dispositif de garantie public avec la COFACE pour maintenir le flux d’expédition de viandes bovines vers les acheteurs grecs traditionnels, dans le contexte de normalisation du dispositif bancaire grec

Là encore, il s’agit d’une mesure de gestion courante utile mais qui n’a pas sa place dans ce plan de soutien. Une mesure « normale » qui interviendrait même sans la crise que nous connaissons.

     15. Mise en place opérationnelle de la plateforme « Viande France Export » regroupant les opérateurs français pour répondre aux demandes des pays tiers importateurs

Le « GIE  export » est né dans la douleur en mars 2012. Encore combien de temps  pour que ce soit « opérationnel » ?

     16. Renforcement des démarches auprès des autorités étrangères compétentes pour faire agréer les opérateurs à l’export, notamment en Asie et sur le pourtour méditerranéen

A nouveau un renforcement : mais pourquoi l’agrément des opérateurs à l’export ne fonctionne-t-il déjà pas à pleine puissance?

Pétris de dogmes ultralibéraux, nos responsables politiques font de l’export leur nouveau « veau d’or » en oubliant que nous couvrons mal notre propre marché intérieur (viande bovine, porcine, ovine). Depuis 2 ans, la France n’est plus autosuffisante en viande de porc.

Et non satisfaits de cela, ils s’apprêtent en plus à fragiliser encore davantage notre élevage par la signature de traités bilatéraux de libre-échange (Etats-Unis, Mercosur).

     17. Exonérations de fiscalité locale pour l’ensemble des installations de méthanisation agricole
     18. Adaptation des tarifs d’achat de l’électricité produite par les installations de méthanisation agricole
     19. Soutien au développement du photovoltaïque dans les élevages
     20. Mobilisation des financements européens, notamment du Plan Juncker, sur les projets de méthanisation

Le soutien à la méthanisation et au photovoltaïque est clairement affiché. Comme produire de la nourriture n’est plus rentable, nous sommes poussés vers la production d’énergie, qui n’est guère plus rentable et très dépendante d’exonérations. (Voir cet article de la France Agricole).

L’énergiculture au secours de l’agriculture, en marchant sur les pas de l’Allemagne : on croit rêver ! Cette proposition nous semble particulièrement indécente ! Notre métier, c’est produire de la nourriture. Cette proposition revient à fournir gratuitement le fruit de notre travail à la filière ! Peut-on imaginer un céréalier livrant du blé et devant se satisfaire que de la paille pour vivre ? (demain peut-être).

Cela fait 2 ans que l'adaptation n'est pas faite des tarifs d’achat n’est pas faite. Pourquoi cela se débloquerait-il miraculeusement?

Le photovoltaïque est sans doute moins risqué que la méthanisation mais avant que cela n'ait porté ses fruits (parfois très amers), beaucoup d’éleveurs auront disparu !

Enfin, nous craignons que la mobilisation des financements européens du plan Juncker aide surtout au développement de grands projets où les éleveurs n’auront aucun pouvoir de décision et dont ils ne tireront aucun bénéfice.

En conclusion : Ces aides ne serviront qu'à ceux qui ont les possibilités d'investir, ce qui n'est pas le cas des agriculteurs en difficulté ! Pour eux c'est une bouée de sauvetage en béton qui risque soit de les assommer soit de les faire couler s'ils tentent l'attraper !

     21. Mobilisation du Programme des Investissements d’Avenir (PIA) et de BPI France pour améliorer la compétitivité des filières d’élevage afin d’assurer leur développement et leur pérennité

Comme l’intitulé de cette mesure l'indique, les 120 millions d’euros du programme iront pour l’essentiel aux filières et non aux éleveurs.

Si le Gouvernement voulait vraiment redonner de la compétitivité aux éleveurs français, il faudrait commencer par diminuer le nombre de normes !

     22. Amélioration des relations commerciales et contractuelles dans les filières animales

Nous attendons avec impatience... et scepticisme les contrats qui garantiront aux producteurs un prix minimum conforme aux coûts de production. Nous regrettons que cette mesure ne soit pas placée en première place!

     23. Simplification des procédures pour les éleveurs et amélioration des procédures de contrôles des exploitations agricoles pour donner suite aux préconisations du rapport de la députée Frédérique MASSAT

Les améliorations « à droit constant » préconisées par le rapport Massat sont loin d’être à la hauteur.
Comme pour chaque mesure de simplification annoncée et au vu des expériences précédentes, nous attendons les actes et surtout une réelle efficacité.

     24. Renforcement de la protection des élevages ovins contre le loup et engagement par le gouvernement d’une démarche de déclassement du loup comme espèce strictement protégée, auprès de la Convention de Berne et de l’Union Européenne

La CR se réjouit d’une telle annonce, correspondant à l’une de nos principales revendications sur le problème du loup et nous espérons qu’elle sera couronnée de succès.

En revanche, si cette mesure est vitale pour les éleveurs de régions subissant des attaques, l’impact sera très limité pour la masse des éleveurs, dans le cadre de ce plan de soutien.

Les mesures éludées par le Gouvernement français

Nos ministres n’ont malheureusement pas le courage politique d’adopter ces mesures portées par la Coordination Rurale et pourtant, elles permettraient de pérenniser les productions de viande et de lait en France et en UE.

     25. Mobilisation immédiate du gouvernement auprès des autres pays de l'UE et de Bruxelles pour une PAC vraiment régulatrice, basée sur la Préférence Communautaire et des prix rémunérateurs à la production

     26. Négociation avec Bruxelles pour l’exclusion de l’agriculture des accords de libre-échange négociés par la Commission

     27. Négociation avec Bruxelles pour une levée des sanctions ayant provoqué l'embargo russe

     28. Elaboration de stratégies de filières pour la reconquête de notre marché intérieur

La France s'est mobilisée pour faire adopter le plan de soutien à la Grèce. Nos propositions permettent de sauver l'agriculture, ce qui est un enjeu encore plus important pour la puissance et l'avenir de l'UE que le maintien de la Grèce dans l'Eurogroup.

     29. Expérimentation de la TVA sociale sur le lait et la viande

     30. Moratoire sur toute nouvelle mesure environnementale et remise à plat de l’ensemble des normes, notamment environnementales

     31. Abolition de l’agrément O.S. (Organisme Stockeur), interdisant aux éleveurs d’acheter leurs grains directement aux producteurs

Selon nos calculs, un élevage moyen de porcs en Bretagne verrait ses charges d'alimentation baisser de 15 000 € chaque année.

 


 

  • 1) Les éleveurs de bovins lait, bovins viande, bovins mixte et hors-sol sont au nombre de 150 000, selon le recensement agricole de 2010.
  • 2) Plafond de minimis : 15 000 € sur 3 ans glissants

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