Je récupère mon fils à la sortie de la maternelle et je me rends dans la boulangerie voisine. Une connaissance me dit : « Qu'est-ce qu'il fait froid aujourd'hui ! ». Nous sommes début février, et pour la première fois de l'hiver il a enfin gelé ce matin. Je lui réponds qu'il ne faisait que -2°C à 4h du matin, et qu'en cette fin d'après-midi, il fait presque bon dehors. Il me demande alors ce que je faisais dehors à 4h du matin. Je lui réponds que j'ai vidé ma fumière qui était pleine après 3 mois de pluie quasi ininterrompue. Il demande alors à mon fils s'il m'a aidé à sortir le fumier. Je réponds que non, il se reposait pour bien travailler à l'école. Il conclut alors notre petite discussion par cette phrase lapidaire : « tu as raison mon petit, il faut bien travailler à l'école pour ne pas être obligé de remuer du fumier comme ton père ! ».

J'aurais pu trouver cette phrase profondément vexante, mais d'une certaine façon, n'a-t-il pas raison ? Est-ce normal de travailler autant pour ne rien gagner ? Toute notre énergie, notre savoir, nos finances, notre vie de famille et l'expérience de plusieurs générations, pour qu'au final, tout ne profite qu'à l'agro-industrie et aux grandes surfaces, toujours plus puissantes et toujours plus riches.

Lorsque l'on ajoute le poids de la bureaucratie toujours plus lourd à porter sur nos épaules et le harcèlement médiatique : - avec le bien-être animal et la large place accordée aux végans (comme si nous avions intérêt à maltraiter nos animaux) ; - le procès absurde fait aux agriculteurs au sujet des inondations, alors qu'il est évident que la source du problème vient de l'artificialisation des terres ; - les céréaliers accusés d'empoisonner la population alors que nous ne faisons qu'utiliser des produits autorisés par les pouvoirs publics. N'oublions pas les importations de matières agricoles produites avec des normes sociales et environnementales bien différentes des nôtres.

Le nouveau Président de la République, Monsieur « et en même temps », qui nous dit le matin vouloir défendre les agriculteurs français, mais qui dès l'après-midi fait la promotion des accords de libre-échange catastrophiques pour l'agriculture française. A ce propos, il est également cocasse de voir comment la FNSEA a changé son fusil d'épaule sur ce sujet. Après avoir milité pour des accords de libre-échange qui devraient faciliter l'accès des productions françaises sur de nouveaux marchés (la fameuse vocation exportatrice de la France), le vieux syndicat tient maintenant un discours différent. C'était pareil pour les quotas laitiers. Ils ont critiqué la CR en 2009 lorsque nous militions pour une régulation de la production.

Fin novembre encore, lors d'une réunion au Conseil Départemental, alors que je défendais à nouveau l'idée d'une maîtrise de la production laitière, Gilles Becker m'a répondu que c'est à cause de fainéants comme moi qui ne veulent pas traire plus de 50 vaches que le pays n'est pas assez compétitif ! Il était alors sur la ligne de Christiane Lambert qui pense que les fermes de 75 vaches ne sont pas assez compétitives et qu'il est préférable de favoriser les ateliers de plusieurs centaines de vaches. Et dire qu'il y a encore des cotisants à la FDSEA qui ont moins de 75 vaches ! Le poids des habitudes reste fortement ancré dans le milieu agricole !

Mais n'ayons crainte, dans 1 an, il y aura le renouvellement des Chambres d'Agriculture, véritable baromètre du poids des organisations syndicales.

Il est probable que la FNSEA parle de régulation de la production tout comme elle feint de s'opposer aux accords internationaux ravageurs pour nos campagnes. Tous les 6 ans, ce syndicat de cogestion avance masqué pour mieux duper les agriculteurs.

Alors même si l'envie de baisser les bras pourrait être légitime, il nous faut croire en notre métier et se battre pour un autre modèle agricole.

Des signes sont encourageants comme la volonté du Conseil Départemental de la Moselle de favoriser les productions locales. Les grosses coopératives ne semblent pas intéressées pour l'instant, bloquées qu'elles sont par leurs œillères qui ne leur laissent voir que le marché mondial. « Ha, le jour où tous les chinois mangeront un steak de viande française et 1 yaourt français ! » Qu'il est beau ce mirage, cet eldorado chinois ! Mais en attendant, les agriculteurs français meurent des erreurs de leurs dirigeants.

A la CR, nous pensons qu'il est urgent de relaisser la valeur ajoutée aux producteurs, et seule une régulation de la production peut permettre d'y arriver. Les paysans n'ont pas à travailler pour faire gonfler des holdings et engraisser des fonds de pension.

Il est courant de dire que les seules batailles perdues sont celles que l'on refuse de mener. C'est pourquoi j'espère vous voir plus nombreux à soutenir la Coordination Rurale, pour qu'ensemble, nous puissions mettre en place un nouveau modèle agricole plus juste et plus responsable.

 

Sylvain FRANZ Président de la CR57

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