L’apiculture rencontre de graves problèmes qui se traduisent par des pertes hivernales de cheptels sensibles : entre 17 et 30 % selon les enquêtes annuelles de l’ITSAP. Les pertes évoluent d’une année sur l’autre dans une fourchette qui varie presque du simple au double, dans un espace de temps relativement court.

On ne peut employer le terme déclin, car d’une part nous n’avons pas de recul suffisant pour dégager une tendance continue sur une longue durée, et d’autre part, parce que les chiffres que nous avons donnent une mortalité sur le territoire national non pas en hausse mais en baisse depuis le début des enquêtes en 2008. Les termes de fluctuation, d’oscillation, de cycle, semblent plus adéquats pour qualifier les variations de mortalités annuelles.

A ceci, s’ajoute le phénomène de ruches improductives en nombre important, que tout apiculteur petit ou grand, connaît dans ses ruchers. Cette irrégularité prononcée du cheptel, que l’apiculture ne maîtrise pas, contrairement à la plupart des autres productions agricoles, handicape gravement la profession. Notre objectif est de remédier à ce problème d’irrégularité et de ruches improductives.
Nous considérons que les graves problèmes structurels que rencontre l’apiculture sont à relier à de nombreux facteurs.

Depuis plus d’un demi-siècle, les écosystèmes des insectes pollinisateurs subissent une mutation sans précédent, au sujet de laquelle plusieurs raisons sont avancées : intensification des pratiques agricoles et forestières, croissance démesurée des agglomérations, artificialisation effrénée des terres cultivables et naturelles, etc. Cette dégradation globale de notre environnement, ainsi que la destruction de l’habitat naturel de l’abeille sociale, rendent l’existence de celle-ci problématique, avec en conséquence une aggravation des problèmes de santé et une diminution de la densité des colonies sur le territoire. Devant cet état de fait, il nous semble judicieux de renforcer les procédures d’évaluation des risques et de mettre en place un système d’épidémiosurveillance avancé afin d’objectiver la nature des problèmes : chimiques, pathologiques, naturels, humains,  qui in situ, n’est pas établie dans l’immense majorité des cas.
Il est certain que les insecticides systémiques, à haute dose, sont des produits dangereux pour les abeilles. Les accidents par défaut d’enrobage avec les poussières de semis et les troubles du comportement, mis en évidence lors de l’expérimentation Henry/ Decourtye (2012) l’ont amplement prouvé. En cas d’intoxication établie, nous serons intransigeants.
Il est donc indispensable de bien encadrer leur usage par les agriculteurs et de réfléchir au plus vite à mettre en œuvre des méthodes agriculturales alternatives, fiables et économiques pour ne pas mettre plus à mal notre production alimentaire.

En conditions naturelles, il reste des incertitudes sur le rôle réel des insecticides néonicotinoïdiques et « l’incertitude nourrit la crainte ». Il faut donc mettre en place un suivi post homologation des conséquences des stress chimiques, dans les conditions complexes du terrain, et aux doses auxquelles sont confrontées les abeilles.

Le problème étant non pas la question des produits phytosanitaires en soi, mais de savoir si l’usage des semences traitées avec un produit donné a une conséquence ou pas sur les colonies d’abeilles.
Sur ce point précis, force est de reconnaître l’absence de consensus dans la communauté apicole.
Il y a ceux qui pensent que les pesticides systémiques sont responsables de l’aggravation des mortalités d’abeilles et que, quoi qu’il arrive, il faut les interdire.
Il y a ceux qui, au regard des données épidémiologiques et de leur longue expérience de terrain, tirent la conclusion que l’origine agricole des mortalités ne tient pas.
Il y a ceux enfin, qui doutent et veulent savoir la vérité : les néonicotinoïdes ont-ils oui ou non un impact sur la santé des abeilles ? Ils estiment que cette question doit être tranchée au plus vite et qu’il faut renforcer l’épidémiosurveillance. C’est la priorité et c’est la position que nous soutenons.

Comme le préconise le Plan Action Abeille dans sa première ébauche, il semble nécessaire de mettre en place un système de surveillance et d’enquête globale afin de déterminer le rôle respectif des néonicotinoïdes et des autres causes possibles sur les troubles de mortalités d’abeilles et de ruches improductives selon un protocole solide. Pour notre part nous sommes ouverts à plusieurs systèmes pour réaliser cet examen approfondi des pertes de cheptel. Ce peut être un système d’analyse de cohorte. Nous pouvons prendre aussi comme test, une population de ruches dans les zones connues pour être à la plus forte concentration possible de néonicotinoïdes (20 %) du territoire et un nombre équivalent dans des zones préservées (vallée de montagne reculée, parc naturel, zone natura 2000, etc.). Sur le principe, c’est la méthode validée par Eric Haubruge, vice-recteur de l’université de Liège dans son étude en Belgique en 2008. Enfin, nous pouvons travailler sur la proposition de zones franches sans néonicotinoïdes qui paraît une voie intéressante à suivre et qui devrait permettre de trancher la question. Mais de telles zones n’existent-elles pas déjà, dans des régions non agricoles : 30 % du sol, notamment en zone sauvage ?

Malheureusement si tout le monde est d’accord sur le principe, il se trouve que dans la rédaction finale du Plan de Développement Apicole, cette question avait disparu des écrans radars. Nous ne pourrons pas disposer d’études scientifiques statistiques, concertées et coordonnées par un référent national et la question restera en l’état dans le flou.

Dans ces conditions, sur ce sujet, en l’absence de diagnostic confirmé et de toute objectivation reconnue de l’origine des pertes sur le terrain, nous ne pouvons valider la décision de retrait des néonicotinoïdes.

Le problème des abeilles étant complexe, nous sollicitons le rétablissement en France d’une station de recherche apicole sur le modèle de l’ancienne station de recherche de Bures-sur-Yvette (Essonne) créée en 1954, fermée en 1984 et aujourd’hui laboratoire Inra-Cnrs de neurobiologie. Cette station avait à sa tête Rémy Chauvin, éminent apidologue d’une grande autorité. Elle a permis, en son temps, à la science des abeilles de faire de grands progrès. On doit à son équipe la découverte des phéromones royales.

L’abeille, qui compose un organisme social de plusieurs milliers d’individus en interaction, n’est pas un animal comme les autres. Dans le monde agricole (et aussi dans la nature) cet organisme est unique en son genre et les problèmes de ce petit peuple sont difficiles à cerner. Les problèmes de cohésion de la colonie face aux agressions naturelles constantes, en tout genre, et les perturbations obligées liées à la simple pratique du maître des abeilles sont à prendre en considération pour faire avancer la compréhension générale du problème qui nous occupe. La colonie d’abeilles en tant que système n’est pas invulnérable.

Là encore, le projet de création d’une station de recherche qui nous semble parfaitement nécessaire pour faire face à la crise actuelle, d’abord évoqué et retenu, a malheureusement disparu des écrans radars dans la rédaction finale du Plan de Développement Apicole.

Jean-Luc Ferté
Apiculteur

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