L’année 2013 restera dans les annales encore comme une année de crise pour les apiculteurs. Un printemps exceptionnellement tardif, froid et pluvieux a ralenti le développement de la végétation et des colonies comme cela ne s’était pas produit depuis des décennies. Malgré un été favorable pour certains, la saison a été très difficile tout comme elle l’avait déjà été en 2012.

 

Cela nous rappelle la dépendance extrême à la nature de l’activité apicole. Les moyens techniques à notre disposition sur le terrain, par exemple la transhumance, ne peuvent compenser les aléas de la sécrétion nectarifère.
L’abbé Barthélémy disait en son temps « Le métier le plus tributaire du temps qu’il fait, est bien et de loin, l’apiculture ». Cela ne semble pas avoir changé.
De plus, aux variations des récoltes, s’ajoute l’absence de régularité dans le cheptel d’un même rucher, phénomène qui ne se rencontre, à un tel degré, nulle part ailleurs dans les productions végétales ou animales. Les techniques apicoles d’élevage et de sélection ne peuvent que partiellement surmonter cette tendance particulière aux ruches.


Notre abeille noire Apis mellifera mellifera (ainsi que les autres sous-espèces apparentées) demeure plus sauvage que domestique. Malgré nos efforts, nous ne parvenons pas à obtenir la parfaite maîtrise de cet animal « pas comme les autres », à sang froid et fonctionnant non pas en tant qu’individu indépendant mais en tant qu’organisme social, ce qui est unique dans la totalité du monde agricole.
C’est quelque chose d’exceptionnel dans la nature, et qui ne cesse de fasciner à travers les âges, que cette sphère sociale de plusieurs dizaines de milliers d’individus en interaction. Sachant que cette sphère reste relativement fragile et que si elle s’affaisse, c’en est fini de la colonie.


En tant que praticien apiculteur, cela implique que le volet sanitaire et les problèmes qui y sont liés, sont très différents de ceux des autres productions.
Il est important de se pencher sur ces problèmes spécifiques dans un esprit d’ouverture en évitant les excès, notamment les excès de langage.
Il ne nous vient pas à l’idée de nier la réalité des mortalités d’abeilles par pesticide lorsque cette origine est objectivée et certaine mais lorsqu’elle ne l’est pas en tant que telle, il semble que le débat doit rester ouvert.
Or jusqu’à présent, il se trouve que, si de nombreux travaux établissent les effets chroniques et sublétaux des néonicotinoïdes, hors accidents par défauts d’enrobage, il apparaît que l’action mortelle de ceux-ci sur le terrain, en condition normale d’utilisation, ne semble pas formellement établie, d’après le travail de la Brigade nationale d’enquête vétérinaire et phytosanitaire (chargée d’étudier les cas de mortalités d’abeilles) mené par Mr Vénereau sous l’égide du ministère de l’agriculture, à part quelques cas bien identifiés et relativement exceptionnels.


La communauté apicole elle-même, est partagée sur le sujet. Il y a les apiculteurs qui croient que les pesticides sont responsables des mortalités d’abeilles, ceux qui ne le croient pas et un groupe important qui doute et ne sait pas.
La recherche de la vérité nécessite de ne pas faire obstruction au débat et de ne pas y omettre délibérément nombre d’éléments comme, dans le problème des mortalités, la multiplicité des facteurs de stress, en particulier les grands stresseurs primaires qui sont fondamentaux, ou bien encore les nombreuses données épidémiologiques convergentes sur le fait que l’origine agricole des mortalités semble ne pas tenir.
Ces éléments ne font que confirmer l’étude de 2008 d’Eric Haubruge menée sur 3 ans : « Les abeilles ont le bourdon » et une autre menée dernièrement par l’Institut technique de l’Abeille (ITSAP) en 2012 : « Comparaison entre pertes hivernales de ruches sédentaires en zone de grandes cultures et autres zones ».


La recherche scientifique dans son exercice, demande à être objective et exempte d’agitation. La science, par principe autonome dans son fonctionnement, ne saurait être asservie à quelque intérêt que ce soit, privé ou politique. Elle ne peut valablement se faire uniquement à charge et ignorer volontairement des éléments connus allant à l’inverse de ses orientations. Pire encore, qualifier de « négationnistes » ceux qui ne sont pas dans une approche « toxico-centrée », montre que l’on n’est pas dans une logique de recherche scientifique de la vérité mais dans celle d’imposer sa vérité, que celle-ci soit ou non scientifiquement avérée.
Rappelons que, dans l’intention de faire avancer les sciences sur ces problèmes complexes, la section apicole de la CR, que je représente, demande la création d’une station de recherche apicole autonome, sur le modèle de celle de Bures-sur-Yvette (fermée en 1984), dirigée en son temps par le professeur Rémy Chauvin. Cet éminent apidologue fit largement progresser la connaissance des abeilles et du fonctionnement des colonies, à travers la découverte de la phéromone royale. Hélas, ce projet n’est pas soutenu ni retenu par le Plan de Développement Durable de l’Apiculture.
    

Nous demandons également la mise en place d’un système de surveillance et d’enquêtes globales afin d’objectiver les causes de pertes de cheptel.
Pour réaliser cet examen approfondi, plusieurs modalités semblent possibles : le système de cohortes ou bien la prise en compte de populations-test réparties d’un côté en zones agricoles surexposées aux néonicotinoïdes, et de l’autre en zones sauvages préservées de tout traitement, où les doses sont infimes ou nulles. La proposition de Joël Schiro (SMPF) de travailler sur deux régions sans néonicotinoïdes nous semble également intéressante.
Alors comment un défenseur des abeilles pourrait-il être en désaccord avec cette revendication qui permettrait pourtant, si ce n’est de clore le débat (en ce cas, ceux qui accusent les néonicotinoïdes d’être les responsables des mortalités ou d’affaiblir les colonies de manière dramatique devraient être confiants) au moins d’avancer efficacement dans la lutte contre les mortalités d’abeilles ? Cela reste pour nous un mystère…
En matière de « négationnisme » puisque c’est hélas le terme utilisé par certains (ce qui soit dit en passant dénote d'un certain extrémisme eu égard au contexte habituel de l’emploi de ce terme), qui est finalement le plus concerné ?
Gardons les débats ouverts et la sérénité pour la recherche.
    
Jean-Luc FERTE        
Représentant apicole de la Coordination Rurale

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