Je viens de parcourir le rapport Chalmin. De nombreux commentaires décrivent la situation catastrophique des éleveurs laitiers. Elle est si inquiétante que depuis quelques jours, Stéphane Le Foll tente de défendre à Bruxelles la mise en place d'une régulation spécifique au secteur laitier, proposition phare de la CR pour l'ensemble des productions agricoles.
Il n'y a pas que les éleveurs laitiers qui sont victimes de la dérégulation de leur secteur : les éleveurs de bovins viande, dont je fais partie, sont l'éternelle variable d'ajustement de la décapitalisation du troupeau laitier, qui survient à chaque crise.
Je ne sais pas si ce rapport est exact sur ce qui se passe après la sortie de ma ferme, mais il est clairvoyant sur ma situation : je produis à perte sans pouvoir rémunérer ni mon travail ni mon capital !
Depuis des années, avec mes collègues de la section viande de la CR, je le crie haut et fort : « Nous allons dans le mur ! » Et pourtant, les pouvoirs publics restent sous influence d'un syndicat qui construit lui-même le mur : agrandissement des cheptels, pas d'adéquation au marché intérieur, productivisme, concentration…
Combien de temps devrons-nous encore subir ces diktats qui conduisent à notre perte ? Ces 10 dernières années, nous avons observé la restructuration ovine ; aujourd'hui, il n'y a quasiment plus de production et on importe de pleins cargos. Est-ce ce que nous réserve l'avenir pour la production de viande bovine ?
Nos exploitations sont sous perfusion de la PAC depuis des années. Il ne faut pas avoir honte de le dire mais on ne peut que le déplorer. La CR milite depuis toujours contre ce modèle asservissant de la PAC de 92 et ses suites, dont nous subissons les conséquences : baisse des aides et augmentation de la conditionnalité et du verdissement. Nous, éleveurs bovins viande, sommes les principaux perdants de la PAC de 2015, qui n’a rien changé à la précédente si ce n’est ajouter encore de nouvelles contraintes. A chaque réforme, nous laissons des plumes!
Je suis injuste avec la Commission européenne, et l'actualité me rappelle à l'ordre. Cette semaine, elle a parlé au moins à deux reprises de viande bovine :
- une fois pour se féliciter de l'adoption du règlement zootechnique qui va permettre la préservation des races à petits effectifs. C'est bien mais ça ne va pas changer notre quotidien, si ce n'est à nous faire passer pour des conservateurs de musée ?
- une seconde fois pour annoncer qu'elle envisage de proposer un contingent tarifaire de 78 000 tonnes de viande bovine au Mercosur dans le cadre des reprises de négociations d'un accord de libre-échange. Mais de qui se moque-t-on ? On ne parvient pas à l'heure actuelle à valoriser suffisamment nos races à viande pour en vivre, et il va falloir être compétitifs vis-à-vis de l'Amérique du Sud, et dans quelques mois avec l'Amérique du Nord, car le TTIP reviendra inexorablement sur la table.
Nous devons également faire face aux quelques mouvements vegan qui, à travers une communication tapageuse et mal intentionnée, veulent se donner plus d'importance qu'ils n'en ont. Ils fustigent notre métier et font des généralités à partir de cas particuliers. Ces amalgames nous coûtent très cher et, par ricochet, pénalisent nos prix de vente.
Nos prix de vente, il est là le nerf de la guerre. Tant que nous ne reprendrons pas en main la gestion de la production et sa mise en marché, nous resterons à la merci de la seule loi, faussée par une concurrence déloyale, de l'offre et de la demande, et nous en sortirons toujours perdants. Les plans d'urgence, les fonds d'allègement des charges… coûtent très chers à l’État et ne nous apporteront aucune solution d'avenir tant que nous ne parviendrons pas à faire augmenter nos prix de vente et baisser nos charges (TVA sociale).
Je ne suis pas résigné : je suis en colère ! C'est parce que je crois à notre métier que je m'engage plus encore dans la section Viande de la Coordination Rurale. Si vous voulez vivre de votre métier, je vous invite à en faire de même.
Michel Manoury
Éleveur dans l’Orne (61)
Président de la section Viande de la CR
