Je ne suis pas agricultrice, mais femme d’agriculteur révoltée par l’humiliation et la méprise dont sont victimes les exploitants agricoles depuis plusieurs mois ! Certains maillons de la filière veulent se donner bonne conscience en faisant l’aumône ! Aumône, qui à mes yeux, constitue un paravent hypocrite masquant la confiscation de la marge revenant de droit aux agriculteurs !


En février, Lidl proposait d’affecter aux éleveurs 3 centimes sur chaque litre de lait du 1er mars au 1er septembre. Acte charitable ! Mais surtout quel coup de communication ! L’opacité relative aux marges des intermédiaires ne permet pas de garantir que ces 3 centimes atteignent effectivement la trésorerie des producteurs.


Dans le Ouest France du 14 avril, Xavier Beulin appelait les industriels de la viande à prendre part à la collecte du fonds d’urgence porcin. Ces derniers « freinent des quatre fers » car ils ne font pas confiance aux distributeurs.
La veille, dans ce même journal, Even annonçait une avance de trésorerie (endettement supplémentaire !) de 10 €/1000 litres, remboursable à partir du mois d’août 2017 au taux de 2 %, et un paiement anticipé des livraisons de céréales à hauteur de 400 € / ha ! A la décharge de cette coopérative, il peut être souligné le retour exceptionnel sur le résultat de 12 €/1000 l sur la campagne 2015/2016 (période de crise profonde pour les éleveurs pourtant !).


Ces propositions ne sont-elles pas la preuve d’une condescendance et d’une hypocrite bienveillance vis-à-vis des agriculteurs ?

 

Si un industriel dispose d’une certaine trésorerie pour proposer une avance à ses producteurs de lait, ne pourrait-il pas tout simplement l’utiliser pour payer le prix à sa juste valeur et de manière équitable ?

Des bruits courent sur le fait que le prix du lait ne va pas augmenter avant le printemps, voire l’été 2017 ! Ces avances charitables ne corroborent-elles pas ce risque de longévité de la crise ? Pourquoi décider le remboursement, précisément, en août 2017 ? Qui peut garantir qu’à ce moment-là le prix payé au producteur (même si avec un peu de chance il aura timidement augmenté) sera suffisant pour continuer à régler les annuités, les coûts de fonctionnement et les surcoûts liés à la crise ? Par conséquent, la crise s’avèrera plus longue pour les agriculteurs que pour les industriels et les intermédiaires !

 

Quand le prix du lait commencera à augmenter, les agriculteurs ne pourront pas encore en profiter !

 

Ils devront continuer de s’asseoir sur leurs prélèvements privés pour rembourser les dettes supplémentaires générées par le marasme actuel (avances « trésorerie », factures en retard, reports de mensualités, investissements urgents reportés…).

La crise ne sera terminée que pour les autres maillons de la filière. Encore qu’au regard de l’optimisme en l’avenir de certains d’entre eux, la crise ne doit pas vraiment les affecter ! Ils comptent sur leurs capacités de résilience, ce qui est loin d’être le cas pour les producteurs !

Ces résilients verront enfin nos dettes, augmentées d’agios, rentrer dans leurs comptes. Ces avances de trésorerie ne constitueraient-elles pas à un placement rentable pour les industriels ? Ils peuvent évidemment argumenter que c’est risqué ! Pas si sûr ! Qui peut se servir en premier sur la paie de lait ? Et si toutefois d’autres créanciers prioritaires se servaient avant eux, ne leur restera-il pas l’exploitation en garantie (bâtiment, cheptel…) ! Existe-t-il un autre métier où c’est le client qui établit la facture à son fournisseur ? Existe-t-il un autre métier où la vente à perte est légale ?


Et que dire de tous ces fonds collectés par de bons samaritains au profit des agriculteurs ! Au regard de l’article du 14/04 cité ci-dessus, ces sommes ont bien du mal à atterrir dans les trésoreries des éleveurs ! Là aussi, ce serait tellement plus simple, plus honnête et plus digne de régler un prix juste et équitable à l’éleveur. Par contre, ce serait moins médiatique !


En bref, non seulement, toutes ces âmes charitables confisquent, en toute impunité, la part de valeur ajoutée qui devrait revenir équitablement et de droit aux producteurs, mais en plus, ces agriculteurs spoliés devraient leur dire MERCI pour leur aumône !


Ces « bons samaritains » sont-ils encore dotés d’une conscience ? Jusqu’où ira leur condescendance ?


S. Geffroy

Dans la même catégorie

Paroles d'agriculteurs
Paroles d'agriculteurs
Viande
Paroles d'agriculteurs