Agriculteur en Charente, Frank Olivier se définit d'abord comme un paysan au caractère « bien trempé ». Homme de conviction, Frank s'est engagé dans le syndicalisme suite à sa rencontre avec la famille Lucas. Il préside aujourd'hui la CR16 et remplit également une mission atypique : celle de conseiller prud'homal. Il a raconté cette expérience à CR Infos.


CR Infos : Frank, parlez-nous un peu de vous, de votre travail d'agriculteur.

Frank Olivier : Je suis céréalier en Charente, sur une exploitation de 160 ha qui s'étend sur 7 communes distantes d'une quarantaine de kilomètres. J'y cultive blé, maïs, tournesol, épeautre, sarrasin, lupin, féverole, seigle avec 30 ha d'irrigation Je varie en fonction de l'année climatique. Je travaille avec mon épouse et mon fils de 30 ans, en attendant qu'il s'installe seul. Nous produisons, stockons, séchons et allotons nos productions afin de proposer à nos clients des lots de qualité homogène.



CRI : Votre production est à majorité en agriculture biologique, pourquoi ce choix ?

FO : Quand je me suis installé, j'ai obtenu des terres de qualité moyenne au potentiel assez faible. J'ai pensé qu'il serait plus judicieux de viser une production à valeur ajoutée, avec certes, des difficultés techniques, mais aussi beaucoup de choses à créer et découvrir au niveau agronomique. C'est dans cette optique que je me suis tourné vers l'agriculture biologique. Aujourd'hui, sur les 160 ha que je cultive, 140 sont en bio.
Le bio, ce n'est pas tous les jours facile : ça demande énormément de travail pour des récoltes en quantités limitées voire des retournements de cultures. Cependant, sur le long terme, mes terres se sont améliorées et le potentiel a progressé. Mon père avant moi, dans les années 70, cultivait des fruits rouges avec déjà des engrais verts et des fumures organiques. Il était un peu précurseur dans le domaine et pourtant, il n'avait pas fait d'études agricoles ! Pour ma part, la lecture de différents ouvrages de Dominique Soltner avait aiguisé ma curiosité dans ce sens.



CRI : Comment êtes-vous entré à la Coordination Rurale ?

FO : Il y a quinze ans, j'ai fait une vente de matériel à la famille Lucas. Le commerce, c'est aussi des relations humaines. Évidemment, on a parlé des difficultés du monde agricole. Il n'y avait pas meilleure rencontre possible que celle avec François Lucas pour me donner envie de m'engager ! C'est comme ça que je suis devenu adhérent à la Coordination Rurale.
Le syndicalisme, ça me plaît, parce que pour moi, c'est important de défendre des valeurs et un intérêt commun. Ce que j'aime aussi, je dois l'avouer, ce sont les confrontations musclées, les joutes verbales ! Je suis un passionné, alors forcément...
Dans la vie, j'ai plutôt un caractère de meneur. C'est dans ma nature. J'ai donc pris la relève de Jean-Pierre Tornier à la tête de la CR16... un peu poussé par les collègues ! Aux dernières élections Chambre, la CR a gagné. C'est là que je suis également devenu vice-président de la Chambre d'agriculture de Charente.
Le syndicalisme, c'est un gros investissement. Ça prend du temps et de l'énergie, mais pour moi, c'est essentiel si on ne veut pas se laisser faire ! Et puis à la Chambre, on est une équipe d'une douzaine d'agriculteurs. On travaille ensemble, on se fait confiance et à force, on est devenu des copains. Alors je n'y vais jamais à reculons.



CRI : Vous n'êtes pas seulement président de la CR16 et vice-président de la Chambre, vous êtes également en charge d'une mission assez particulière. Vous êtes conseiller prud'homal. Pouvez-vous nous raconter en quoi consiste votre travail ?

FO : Le tribunal des prud'hommes, c'est un tribunal paritaire. Ca veut dire que l'on est jugé par ses pairs, pas par des professionnels du droit. Il y a plusieurs sections, par exemple, les artisans, les commerçants, ou les agriculteurs. Dans la section agricole, ce sont donc des agriculteurs qui rendent des jugements pour des agriculteurs. Dans notre section, nous sommes 4 conseillers agriculteurs : nous siégeons 2 par 2, toujours avec 2 représentants syndicaux salariés, ça nous permet de faire des rotations. Actuellement, c'est moi qui préside la section, mais nous changeons chaque année.
Le travail se passe très bien entre nous, nous savons mettre les divergences syndicales de côté pour nous concentrer sur les dossiers que nous avons à traiter : une douzaine par an. On se réunit tous les 4 une fois par mois, ou une fois toutes les 6 semaines s'il n'y a pas d'affaire à traiter.



CRI : Comment se déroule une affaire devant le tribunal des prud'hommes ?

FO : Un salarié dépose un dossier devant les prud'hommes pour une raison X. Par exemple il estime ne pas avoir été payé pour des heures supplémentaires, ou avoir été lésé lors d'une rupture de contrat... Il y a autant de cas divers que de dossiers.
A partir de là, on organise une conciliation en présence de 2 conseillers aux prud'hommes : un responsable syndical salarié et un responsable syndical employeur. Le but, c'est de trouver un accord afin d'éviter un jugement qui coûterait temps et argent aux 2 parties.
Si les parties ne tombent pas d'accord, alors on va jusqu'au jugement. Dans ce cas, les parties présentent un dossier avec un certain nombre de pièces. Nous 4, conseillers, écoutons les plaidoiries, qui peuvent durer de 20 minutes à 2 heures en fonction des cas. Nous rendons notre jugement quelques mois plus tard.



CRI : En pratique, comment vous organisez-vous avec les 3 autres conseillers ?

FO : A la fin des plaidoiries (de 1 à 4 par après-midi), on se partage les dossiers Chaque cas est étudié par un représentant des employeurs de main d’œuvre et un représentant des salariés, pour être sûr que les intérêts de chacun soient défendus.
On étudie alors chaque dossier, point par point, puis on se réunit tous les 4 pour délibérer et mettre à jour ensemble le dossier final. Celui-ci doit être motivé, c'est-à-dire appuyé sur des articles de loi, vérifié et corrigé par un greffier. Nous validons tous les 4 le jugement final et l'envoyons aux parties : le patron et le salarié concernés.



CRI : Est-il difficile de tomber d'accord et de voir « juste » ?

FO : Les choses se passent bien. Ce que j'apprécie dans notre « équipe », c'est que nous sommes capables de faire la part des choses, de ne pas nous déchirer et de travailler toujours dans un souci de bienveillance. Je sais que dans les autres sections, c'est souvent plus tendu que chez nous. Nous savons que le droit du travail est très compliqué, et nous essayons d'être tolérants en ce sens, afin de faire prévaloir la bonne foi de chacun. Preuve de notre capacité à travailler ensemble : en 5 ans, nous n'avons eu besoin de « départage » que 2 fois. Le juge de départage intervenant lorsque les conseillers n'arrivent pas à tomber d'accord sur un jugement.
Je crois également que nous arrivons à rendre des jugements justes. D'ailleurs, quand l'une des parties fait appel suite à notre jugement, la Cour d'Appel de Bordeaux, nous désavoue très rarement. C'est rassurant pour nous, ça nous permet de nous sentir efficaces.



CRI : C'est un bilan très positif que vous tirez !

FO : Oui en effet ! Hélas, les choses vont changer : c'est le dernier mandat auquel un syndicaliste CR peut prétendre...



CRI : Pourquoi ?

FO : Désormais, les conseillers prud’homaux seront désignés par les préfets. Ils ne seront plus élus, et la CR ne pourra pas être nommée. On retombe dans les travers antidémocratiques de l'agriculture... Alors que la CR est un syndicat représentatif et que parmi ses membres, nombre d'entre eux sont employeurs de main d’œuvre, à partir de 2017, seule la FNSEA sera reconnue « employeur de main d’œuvre ». C'est donc elle, et elle seule, qui pourra présenter une liste au préfet. Moi, j'ai été proposé en tant qu'employeur de main d’œuvre par la CGPME, tandis que la FNSEA dépend du MEDEF. C'est à cause de cette distinction que la CR se retrouvera exclue.



CRI : Au delà de la discrimination syndicale intolérable, pensez-vous que ce soit dangereux pour les agriculteurs qui porteraient des affaires devant le conseil des prud'hommes ?

FO : Pour mon département, je ne suis pas très inquiet, car je connais les gens et je sais qu'ils s'attachent à ne pas faire de distinction syndicale lorsqu'ils rendent leur jugement. Ma première inquiétude, c'est qu'à la FNSEA, les candidats potentiels au poste de conseiller sont pour la plupart assez âgés. Ils ont en effet du mal à trouver du « sang neuf » : les remplaçants ne se poussent pas au portillon ! Par ailleurs, les formations sont assez difficiles et nécessitent du temps. Selon moi, il faut absolument que les conseillers aux prud'hommes restent des agriculteurs « en activité » pour être en capacité de juger la réalité quotidienne des employeurs de main d’œuvre que nous sommes.
Pour les autres départements, j'ose espérer que les conseillers prud’homaux sauront être parfaitement objectifs et qu'ils ne seront pas discriminants vers les employeurs de main d’œuvre des autres syndicats... Chacun agit en son âme et conscience, je veux croire en la bonne foi de chacun.



CRI : Merci Frank pour ce témoignage, et bravo pour ces multiples missions que vous occupez dans l'intérêt de l'agriculture !



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