Le rapport annuel de l’Observatoire de la formation des prix et des marges (OFPM) 2022 est sorti ce jeudi 22 juin 2023, avec des résultats en demi-teinte pour les filières élevages. En effet, si les prix d’achat aux producteurs ont augmenté, les charges ont explosées en 2022, venant relativiser le bilan de l’OFPM.
En viande bovine, la section Viande de la Coordination Rurale partage le constat de Philippe Chalmin, le directeur de l’OFPM, qui reconnaît l’inefficacité de la loi Egalim 2 dans un contexte régi par les marchés mondiaux. Si 2022 a connu une forte hausse des prix en viande bovine, elle a aussi été marquée par une forte hausse des importations : désormais, 1 steak sur 4 consommés en France provient de l’import. Par ailleurs, le rapport met en exergue que la GMS (Grande et moyenne distribution) bénéficie d’une garantie de minimum 10% de marge sur les produits qui assure sa pérennité. Une telle garantie n’existe toujours pas pour les éleveurs. Concernant les résultats d’exploitation, la section Viande constate que les éleveurs obtiennent des résultats de compte courant toujours aussi faibles, à 25000 euros / uth avant impôts, malgré une augmentation des produits depuis 2 ans, du fait des charges qui explosent en même temps. Ce résultat est très faible par rapport à d’autres productions.
La section Ovine constate quant à elle que le résultat en viande ovine n’a jamais été aussi faible depuis 2010 : il a baissé de 8% entre 2021 et 2022. Heureusement que les éleveurs ont connu une augmentation des cours, mais il est certain pour la section Ovine qu’ils ne font que brasser de l’argent. Il ne faudrait pas que les cours diminuent et avec la signature des contrats de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande et l’Australie, cela n’est pas une chose assurée. Concernant les coûts de production, la section Ovine note une nette augmentation, qui est due aux postes « alimentation et bâtiment » et « installation et mécanisation », et s’étonne que les frais d’élevage n’aient pas plus augmenté, d’où l’interrogation : « Mais qu’a mis exactement l’OFPM dans les frais d’élevage ? »
La filière volaille a été une nouvelle fois impactée par une crise sanitaire, cette année d’une ampleur sans précédent cette année et qui complexifie l’analyse des chiffres issus des travaux de l’OFPM. Pour autant, cela n’explique certainement pas la totalité de notre perte d’autosuffisance qui était de 110% pour la période 2009/2012 et de 78% en 2022. La CR doute que les faibles disponibilités sur le marché intérieur soient la seule raison à un taux d’importation de 72% dans l’industrie de transformation. Dans ces conditions de marché, la CR est effarée que les écarts entre prix de vente et coût de production augmentent encore en poulet label par exemple. Le manque à gagner dans cette production s’élève à 0.77€/kgc en 2022 ! Comme dans les autres secteurs, l’OFPM pointe une forte augmentation des coûts de production, à hauteur de 24%, mais cette évolution ne prend pas en compte le coût de l’énergie. La CR constate que malgré la baisse des volumes produits (1,8 millions de tec en 2017 contre 1.6 millions en 2021), le chiffre d’affaires de l’abattage/transformation a augmenté de 700 millions d’euros sur la même période.
Les éleveurs porcins ont connu une année d’augmentation des prix à la production (+ 25 % par rapport à 2021), avec une importante différence entre début d’année et l’automne : environ 0.80€/kgc. La baisse de production a engendré un changement de fonctionnement du marché, passant d’un flux poussé à un flux tiré, ce qui a fortement impacté les prix payés aux producteurs. Le RCAI/UTANS (résultat courant avant impôts / unité de travail annuel non salarié) a plus que doublé par rapport à 2021, malgré des coûts de production inférieurs (simulés sans prendre en compte l’énergie) aux coûts de production. Le changement de pondération dans la méthodologie de calcul du RCAI opéré après 2017 rend délicate toute comparaison avec les années précédentes. Cependant, cela pointe l’efficience du RCAI pour caractériser la santé économique des exploitations. En 2017 (avant le changement de méthode), le RCAI s’élevait à 50 800 €/UTANS dans un contexte de prix de vente supérieur de 0.15€/kgc aux coût de production, alors qu’en 2022, il s’élève à 58 700 €/UTANS pour un prix de vente inférieur de 0.06€/kgc aux coûts de production. Les débats animés autour de l’inflation des prix alimentaires pourraient trouver une explication au regard de l’évolution du prix du jambon cuit en libre-service : comment expliquer que la GMS ait augmenté sa marge de 0.66€/kg, soit un tiers de l’augmentation du prix à la consommation ?
En filière Lait, le rapport souligne que la collecte de lait de vache a amorcé en 2023 un recul significatif, à contresens de la tendance européenne qui va à la hausse. La section Lait ne s’étonne guère de ce constat : en cause, une hausse des prix français qui est restée très en deçà du prix européen, de 12 % en moyenne sur 2022. Par ailleurs, tout comme le souligne régulièrement M. Chalmin, les industriels continuent à jouer au chat et à la souris sur les marges des produits beurre/poudre, qui représentent un des facteurs principaux de leur mix de prix, et qui ne sont toujours pas calculables par les services de l’OFPM. Si le résultat courant des exploitations agricoles en bovin lait a connu une augmentation significative, de + 27 % par rapport à 2021, force est de constater que les coûts de production ne sont toujours pas couverts. En effet, l’OFPM calcule un coût de production qui comprend une rémunération à hauteur de 1,8 SMIC mensuel, quand la CR estime qu’il faut assurer un minimum de 2 SMIC horaires aux éleveurs. De manière générale, le niveau pris pour certains critères étant insuffisant (car basé sur les références du dispositif Inosys, qui analyse le résultat des 25 % meilleures exploitations), cette méthode cache les grandes disparités qui existent entre les éleveurs.
En lait de chèvre, l’année 2022 a elle aussi été marquée par une augmentation du prix du lait et par une augmentation des volumes collectés (519 millions de litres contre 510,2 en 2021). Ces augmentations sont à mettre en regard avec l’explosion des charges et notamment du coût de la poudre de lait pour l’alimentation et de grosses difficultés dans la filière chevreau. Ainsi, le résultat courant avant impôts a diminué de 31,5 % pour les exploitations caprines en 2022 par rapport à 2021.
Le rapport de l’OFPM dresse un bilan positif de l’année 2022, car il met en avant une augmentation des revenus dans la plupart de productions, y compris dans l’élevage (à l’exception des filières ovin viande et lait de chèvre). Cependant, les charges mais aussi les contraintes environnementales, administratives, et les attentes sociétales pèsent de plus en plus lourd sur les élevages, sans contreparties financières, et on constate même pour certains éleveurs une baisse de revenu liée à la diminution des aides PAC.