Les droits de plantation, sujet spécifique au monde viticole, font couler beaucoup d'encre. En effet, ce sujet pour le moins épidermique est en passe de créer une grande première : faire revenir la Commission européenne sur sa décision. Cette ouverture serait de bon augure pour l'ensemble de l'agriculture : le libéralisme aurait pour la première fois perdu le combat face à la régulation !

Quelques repères

1936 : la France met en place la gestion de son potentiel de production viticole par les droits de plantation.
1972 : l'Europe adopte ce système de régulation et l'inscrit comme mesure transitoire à l'OCM vitivinicole. Cette mesure a été reconduite à chaque OCM.
19 décembre 2007 : la Commission européenne annonce la fin des droits de plantation pour le 1er janvier 2016 et la France vote favorablement cette mesure incluse dans la globalité de nombreuses mesures (dont la PAC) en conseil des Ministres. C'est le début d'une mobilisation qui ira crescendo.
24 mars 2010 : Angela Merkel affirme sa volonté de voir maintenus les droits de plantation au sein de l'Union européenne.
17 avril 2010 : B. Le Maire emboîte le pas à la chancelière allemande.
8 juin 2010 : Appel d'Angers de la CNAOC, qui exhorte les pouvoirs publics nationaux et communautaires à mettre en place des instruments de régulation de la production pour la viticulture.
Octobre 2010 : publication du rapport Vautrin, favorable au maintien des droits de plantation.
18 janvier 2011 : . Sarkozy, dans ses vœux au monde agricole, s'annonce opposé à la libéralisation des droits de plantation.
1er avril 2011 : le Sénat français vote une résolution demandant le maintien des droits de plantation.
14 avril 2011 : 9 pays producteurs (Allemagne, France, Italie, Chypre, Luxembourg, Hongrie, Autriche, Portugal et Roumanie) adressent une lettre à la Commission dans laquelle ils se déclarent favorables à l’encadrement des droits de plantation au-delà de 2015. Ils demandent à cette dernière de modifier la réglementation communautaire avant le 1er janvier 2016 de façon à maintenir un encadrement des plantations au niveau européen et pour tous les vins.
Mai à juin 2011 : le front des États opposés à la libéralisation des plantations s’élargit à 3 nouveaux pays producteurs (Espagne, République Tchèque et Slovaquie).
23 juin 2011 : suite au vote du rapport Dess sur la PAC, le Parlement européen se déclare favorable au maintien des droits de plantation.
Novembre 2011 : la Grèce rejoint le front d’opposition à la libéralisation des droits de plantation qui réunit alors 13 États membres représentant 97 % de la production viticole européenne.
19 janvier 2012 : D. Ciolos annonce la mise en place d'un groupe de réflexion à haut niveau sur le secteur du vin et en particulier la question des droits de plantation.
Février et mars 2012 : la Slovénie et la Bulgarie affirment leur opposition à la libéralisation des droits de plantation.
2 mars 2012 : publication du rapport Montaigne, favorable au maintien des droits de plantation.
14 mars 2012 : l'Association Nationale des Élus de la Vigne et du vin remet à D. Ciolos près de 1800 délibérations de collectivités favorables à un système de régulation de la production viticole.
19 mars 2012 : 80 élus locaux signent l'appel de Dijon pour demander le maintien des droits de plantation.
19 avril 2012 : première réunion du groupe de Haut Niveau. La presse titre « l'Union Européenne doute de ses réformes ».

Comment fonctionne le droit de plantation?

Le droit de plantation est nécessaire pour pouvoir planter une vigne. C'est une surface de plantation qui appartient à chaque viticulteur, comme le quota laitier appartient, jusqu’en 2015, à l'éleveur. Le droit est marchand : il se commercialise entre exploitants ou peut être acheté à la réserve de droits. Certains droits sont gratuitement donnés à des JA par la réserve nationale. Ce sont les douanes qui gèrent les droits, lesquels sont inscrits au Casier Viticole Informatisé. Chaque arrachage libère le droit, qui peut être conservé en portefeuille 8 ans. Chaque plantation consomme le droit. Les arrachages définitifs, qui ont été primés, donnaient lieu à suppression du droit de plantation.

Les droits de plantation sont perçus comme un facteur limitant pour les entreprises souhaitant s'accroître. Mais ils sont également un garde-fou contre les spéculations financières et l'industrialisation du monde viticole. Ils ont permis de protéger et de développer le système AOC.
Ce ne sont pas non plus la panacée : comme tout système, certains ont su en tirer partie, et c'est pour cela que la région bordelaise a pu tellement augmenter ses superficies, à tel point que lorsque la crise viticole est arrivée, le vignoble bordelais a beaucoup souffert. C'est pour cela que le système des droits de plantation doit effectivement être amélioré.

Défendre les droits de plantation, une nécessité

Un accroissement des surfaces néfaste

La superficie apte à la plantation de vignes est bien plus importante que la superficie plantée. Si les droits de plantation étaient supprimés, l’accroissement du vignoble français est très probable et pourrait plus que tripler (+360 %) ! Bien que les aires géographiques ne soient pas stricto sensu les surfaces plantables, le tableau suivant donne une idée de l'importance des surfaces disponibles.

Défendre les droits de plantation, une nécessité

Avec la fin des droits de plantation, la plantation de vignes sera possible partout en France, ce qui créera fatalement des vignobles industriels, face auxquels la viticulture traditionnelle ne pourra être concurrente.
Cet accroissement engendrera :

  • Des conséquences néfastes sur le revenu des viticulteurs (chute des prix du vin) ;
  • Un risque de détournement de notoriété des appellations françaises ;
  • Une perte de qualité ou de pouvoir d’achat pour le consommateur.
  • La fin d’une production qualitative reconnue, pour un produit en phase avec le marché spéculatif et industriel, loin des savoir-faire et valeurs viticoles de nos terroirs.
  • La perte d’une certaine forme de ruralité et d’authenticité, que recherchent les touristes et les consommateurs.
  • Un vignoble industriel et une monoculture intensive, sans les bénéfices de la viticulture traditionnelle, ayant un impact écologique désastreux.
  • Une modification des paysages forte, avec des risques d’érosion, d’abandon de terres difficiles à cultiver (forte pente, terrasse) et de création de friches.


Une dévalorisation du patrimoine

La suppression des droits de plantation est une atteinte à la richesse de l'État et de ses administrés autant pour leur patrimoine que pour la balance commerciale du pays.
Elle dévalorisera le patrimoine (ce qui pèsera lourdement sur les entreprises qui ont acheté et amortissent les droits de plantation, créant un déséquilibre entre leur actif et leur remboursement d’emprunts) et le prix des fermages (ce qui entraînera la réduction des revenus des retraités agricoles). Elle impactera fortement l’apport positif de la viticulture française à l’économie nationale et à la dynamique rurale : tourisme, paysage, la balance commerciale française (les exportations de vins et spiritueux se sont élevées à 9,09 milliards € en 2010, soit l’équivalent des grands contrats d’équipement ou de 240 Airbus A320 !).

Une mobilisation très forte

A quelques exceptions près, les droits de plantation sont plébiscités par l'ensemble de la filière viticole, qui a trouvé sur ce sujet une unité rarement atteinte. Les clivages politiques ont disparu : l'ensemble des partis politiques demandent aujourd'hui le maintien des droits de plantation. La CNAOC s'est retrouvée fer de lance du combat et draine autour d'elle toutes les bonnes volontés. C'est tout naturellement que la CR a initié puis amplifié le mouvement.

Une exception à cette unité : le négoce. Les représentants du négoce ont voté contre le maintien des droits de plantation lors du conseil spécialisé viticole de FranceAgriMer du 21 mars, alors que l'ensemble des représentants des autres familles se sont prononcé en faveur de leur maintien. Au niveau européen, la CEEV (fédération européenne du négoce) considère qu'il « faut poursuivre l'exécution de la réforme de 2008 et en respecter les étapes et les dates butoirs » et demande donc la suppression des droits de plantation. Dans le même esprit, l'Union des Maisons de Champagne demande la suppression des droits de plantation et une régulation interprofessionnelle. Pour la CR, cette proposition est inadaptée au vu du fonctionnement actuel des interprofession : elle conduirait à la baisse des cours du vin.


La CR, le premier syndicat généraliste à défendre les droits de plantation aux côtés des organisations viticoles

  • dès 2008, à l'annonce de la Commission européenne, la CR s'était officiellement opposée à la suppression des droits de plantation
  • dès avril 2010, la CR demandait au Ministre d'aller plus loin et de faire inscrire les droits de plantation dans le droit européen.
  • en novembre 2010, la CR était le seul syndicat à féliciter C. Vautrin de pour son rapport favorable aux droits de plantation
  • en avril 2011, la CR lançait la pétition « mobilisation pour les droits de plantation » (télécharger)
  • en mai 2011, la CR envoyait à tous les élus politiques une motion en faveur des droits de plantation (télécharger)
  • le 1er juin 2011, la CR a demandé à B. Accoyer, Président de l'Assemblée Nationale, de mettre à l'ordre du jour la question des droits de plantation afin de soutenir les viticulteurs (télécharger)
  • et aussi : dépôt d'une motion en faveur des droits de plantation dans de nombreuses chambres d'agriculture, travail en direct avec les députés français et députés européens, échanges avec les organisations viticoles (CNAOC, UGVC...)


Fonctionnement des décisions européennes

La Commission européenne

Investie d'un droit d'initiative, la Commission joue un rôle central dans le processus législatif communautaire. Ce droit lui permet de soumettre ses propositions de loi au Conseil de l'Union et au Parlement européen, et ainsi de décider des sujets qui doivent être traités par les États membres et le Parlement européen. Un acte législatif de l'Union ne peut, sauf exception prévue par le traité, être adopté que sur proposition de la Commission. Depuis le 1er janvier 2007 et l'adhésion de la Roumanie et la Bulgarie, la Commission compte 27 commissaires, soit un par État membre.

Le Conseil de l'Union européenne est le principal centre de décision de l'UE. Il est constitué par les ministres des États membres habilités à engager leur gouvernement, qui sont donc politiquement responsables. Le conseil est présidé par chaque État membre à tour de rôle pour une période de six mois, selon une rotation préétablie. La Présidence organise et préside les réunions, élabore des compromis et veille à la cohérence et à la continuité du processus de décision.
La composition des Conseils varie en fonction des sujets abordés : ainsi, les ministres des Affaires étrangères siègent-ils au Conseil "affaires générales" pour traiter des relations extérieures et des questions de politique générale, alors que les ministres de l'économie se réunissent en Conseil "économie-finances", les ministres de l'agriculture en Conseil "agriculture". Il y a également des Conseils "budget", "culture", "énergie", "justice et affaires intérieures", "transports", "travail et affaires sociales", "recherche", "santé", "environnement", "industrie"...

La prise de décisions

Selon les cas, le Conseil statue à la majorité simple, à la majorité qualifiée ou à l'unanimité. Le plus souvent (comme pour l'agriculture), il décide à la majorité qualifiée. Pour modifier une proposition de la Commission sans le consentement de celle-ci, l'unanimité des membres du Conseil est requise. Dans la pratique, le Conseil s'efforce toujours de trouver le consensus le plus large possible avant de statuer.
Les voix de chaque pays sont pondérées, les plus grands pays disposant de plus de voix que les  petits. Ce système de pondération de voix est destiné à respecter le principe de représentation de tous les États membres, selon leur population. Le seuil de la majorité qualifiée est atteint à 255 voix sur 345, et le seuil de la minorité de blocage est de 91 voix.

Cas pratique des droits de plantation

Depuis la prise de position de l'Allemagne, rapidement suivie de la France, un groupe de pression s'est créé, rassemblant les États Membres en faveur du maintien des droits de plantation. Aujourd'hui, ce groupe rassemble 15 pays qui représentent 215 voix. Il manque donc 40 voix pour atteindre la majorité qualifiée et exiger la réouverture du dossier. Les pays avec lesquels nous sommes en discussion (Finlande, Pologne, Lituanie et Belgique) rassemblent 53 voix. Reste à les convaincre...

Position sur le maintien des droits de plantation

Un groupe de Haut Niveau

Face à cette résistance nouvelle, la Commission s'est retrouvée dépourvue. Une fois la minorité de blocage atteinte, elle a du mettre en place un groupe de Haut Niveau (GHN), présidé par la DG Agriculture et composé de représentants des États membres (pour la France, ce sont des hauts fonctionnaires). Le GHN doit rendre un rapport avant la fin de l'année. Or, la DG Agriculture ne semble pas disposée à faire réellement progresser le sujet. Au cours de conversations récentes, la DG Agriculture a affirmé :

  • qu'elle ne veut pas revenir sur les fondamentaux de la réforme de 2008,
  • qu’aucun sujet n’est tabou et que les États membres peuvent mettre tous les sujets viticoles sur la table (en résumé elle tente de nous remettre dans la même situation que 2008 : diviser les États membres producteurs à travers une réouverture des sujets les plus polémiques).

Pire, sur la méthode, et à la différence de ce qui s’est passé avec le GHN dans le secteur du lait, la Commission ne se fixerait aucune obligation de résultat et ne prévoit donc pas de projet législatif à l’issue des réunions ! La CR n'attend pas de miracles de ce groupe, qui rappelons-le, avait fortement déçu les attentes des producteurs de lait.
Le 19 avril avait lieu la première réunion du GHN. Conclusion : la vigilance s'impose. Il n'est pas envisageable de s'en tenir à de simples recommandations : des réponses concrètes devront être apportées, via la réforme de la PAC. Rappelons que l'analyse économique de la Commission en 2008 prônait de prendre exemple sur le modèle australien. Or l'Australie, qui avait planté massivement, connaît aujourd'hui une crise sans précédent et se voit contrainte  de procéder à des arrachages massifs. Les « wineries » font faillite et très peu trouvent un repreneur.

Quelle régulation propose-t-on?

Dacian Ciolos, à l'ouverture de la première réunion du GHN, a été très clair « il ne s'agit pas de faire la réforme de la réforme » et « nous n'allons pas construire l'avenir de la filière viticole avec des outils des années 70 qui ont montré leurs limites. D'un côté, vous le savez très bien, les droits tels qu'ils fonctionnent - je dis bien tels quels - n'empêchent ni la surproduction, ni la sous-plantation ». Cela est vrai. Mais supprimer les droits de plantation n'est pas la solution.

Aussi, la position du gouvernement français, qui a consulté l'ensemble des acteurs, est de maintenir une régulation au niveau communautaire, c’est-à-dire appliquée par tous et pour toutes les catégories de vins, avec des améliorations au système :

  • En dessous d'une surface minimum, non encore définie, les États Membres n'auront pas à appliquer le système d’encadrement de leur potentiel.
  • Fin de l’interdiction de plantations MAIS maintien du principe d’autorisation préalable de chaque Etat Membre à toute plantation  pour toutes les catégories de vins y compris les vins sans IG
  • Croissance autorisée du potentiel dans des limites fixées au niveau communautaire et connues de tous
  • Modalités de mise en œuvre au niveau national
  • Critères objectifs et non discriminatoires pour les conditions d’attribution de plantations

Les demandes de surfaces émaneraient des bassins, seule instance où tous les acteurs de la filière vitivinicole se retrouvent. Ces demandes devront obtenir l’unanimité  du conseil de bassin et seront encadrées avec des taux de progression annuels relativement faibles, ainsi que des taux pour la décennie, afin de ne pas créer une migration des surfaces viticoles d’une région à une autre. Les progressions devraient être couplées aux marchés, et principalement aux exportations dans les pays tiers.
Elles seraient ainsi examinées bassin par bassin, sous une gouvernance nationale qui devra être  une véritable gouvernance viticole. Cette dernière reste à créer et pourrait être réalisée au sein du Conseil Spécialisé de FranceAgriMer, si la viticulture se révélait incapable de construire une vraie gouvernance viticole, où chacun sera véritablement représenté.

Pour conclure

Ce sujet très spécifique constitue une formidable ouverture pour l'agriculture. Face aux lobbies des entreprises de négoce qui préfèrent la surproduction à la régulation, la viticulture s'est mobilisée et a su entraîner avec elle les hommes politiques de tout bord. Conseils généraux, Sénat, Assemblée nationale, Parlement européen défendent tous les droits de plantation. Cela démontre qu'il est possible de faire changer les politiques européennes quand on s'en donne la peine. Il est dommage que le syndicalisme généraliste européen ne suive pas cet exemple et qu'il croie encore aux vertus du libéralisme économique et aux exportations agricoles.

Notre combat, très spécifique, démontre que la PAC peut être revue : c'est juste une question de volonté de notre part. Sommes-nous prêts à nous investir en conséquence? Il s'agit de l'avenir de l'agriculture française mais aussi de chacune de nos exploitations.

Une mobilisation de tous les viticulteurs sera nécessaire après les vendanges pour bien montrer notre volonté. Nous devons nous battre, tous ensemble et nombreux : retrouvons nous à plus de 5000 lors de nos manifestations, démontrons combien nous sommes déterminés, soyons tous acteurs de notre défense. Continuons à faire signer notre motion par les élus et notre pétition par nos voisins. Dans des combats comme celui-ci, il n'y a plus d’appartenance syndicale, c’est l’importance du sujet qui est primordiale.

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