Je me nomme Jean Michel Parcé, j’ai 57 ans et je suis vigneron à Banyuls sur Mer depuis 1975. Ce titre : « j’avais un beau métier » qui pour certains vous interpellera, est en fait la résultante d’une partie de ma vie, d’une vie de travail qui contrairement au phœnix ne renaitra pas de ses cendres, puisque tout semble se consumer.

Le département des Pyrénées Orientales « disposait » je dis bien, de nombreux atouts qui auraient pu maintenir nos agriculteurs en place comme le voudrait l’adage : Volem Viure al Païs. La situation agricole française et locale n’a fait que se détériorer, et cela va de mal en pis. Je me souviens, à mes débuts dans ce métier, de cette plaine du Roussillon plantée de vignes, de vergers, de terrains agricoles, qui reflétaient encore une volonté de bien produire, malgré certaines difficultés présentes.

Petit à petit, les paysages entretenus commencèrent à faire place aux jachères et à l’abandon pur et simple des terres. A l’heure actuelle, le spectacle que l’on aperçoit est désolant, je dirais même plus « honteux » : zones industrielles à foison, immobilier galopant... En fait une très mauvaise politique de gestion des surfaces. Je reçois de nombreux clients en saison qui s’interrogent sur le pourquoi de cette situation lorsqu’ils traversent le département. Alors comment tout cela est il arrivé ?

Chacun bien sûr aura une analyse différente suivant les places et positions sociales qu’il occupe, en rejetant parfois (le plus souvent) la faute aux autres ou en faisant place à l’insouciance. On entendra en guise de réponse les esquives : lois gouvernementales, européennes, mondialisation, concurrence… Leitmotiv d’une fatalité, mais avec un discours rassurant quant au devenir : le lendemain est à construire et tout ira mieux par la suite.

La machine étatique, ainsi que ses rouages administratifs et syndicaux, sont en grande partie responsables de la situation dans laquelle on nous à amené. La politique de la langue de bois ou plutôt de plomb est bien diffusée par bon nombre de nos dirigeants. Les contraintes demandées et obligatoires ont détourné l’agriculteur de sa véritable fonction. Les charges afférentes aux exploitations ont explosé, et il est difficile de pouvoir y faire face, d’autant que la distribution est de plus en plus organisée comme un entonnoir avec son goulot très étroit. L’exploitant est étouffé et surtout soumis au système, puisque les alternatives n’existent pratiquement plus. Quand l’agriculteur à les possibilités de vendre ses parcelles en terrain à bâtir, et bien il vend, content de rentrer ce pécule inespéré.

Oui, des plans, des grandes idées ont vu le jour. On nous chante et on nous lit des comptines pour « enfants » qui doivent nous faire rêver, mais au bout du compte qu’en est-il et que nous restera t-il ? Et bien ouvrez les yeux, REGARDEZ Messieurs les Elus tous confondus, Messieurs les responsables, dites-nous ce que vous voyez réellement et honnêtement sans discours politico-politicien anesthésiants. Vous ne nous voyez pas, et vous ne voyez rien, si ce n’est vos pantoufles, ou vous faites semblant d’avoir eu vent (mais pas de la Tramontane). Nous n’existons que pour payer et soutenir un système qui creuse davantage notre fosse chaque jour.

Par contre vous n’oubliez pas, dirigeants, qu’après vous d’autres viendront, peut-être vos propres enfants. Vous sciez la branche sur laquelle vous êtes suspendus, on pourrait qualifier ce système, non pas d’irresponsable, mais de criminel en quelque sorte. Qui nous défend ? Je pense honnêtement que c’est sur nous-mêmes que nous devons compter, et si nous ne faisons rien collectivement comme c’est le cas actuellement, nous serons effacés comme la craie sur le tableau, par la brosse de nos gouvernants. Nous finirons comme les Indiens d’Amérique dans des réserves, à cette époque on avançait : « qu’ un bon Indien était un Indien mort »...

Un métier de FOU ! L’agriculteur doit cumuler plusieurs fonctions : son travail, la comptabilité, la traçabilité, pour certains le commercial. Cela représente beaucoup pour nos structures. Quand on pose les questions essentielles sur ce sujet brulant on nous répond « que les temps ont changé » « qu’il faut s’adapter », « l’avenir est devant nous ». Je répondrais quant à moi « las est à venir, non il est là ».

Travailler plus, mais pour qui ? En tout cas plus pour nous.

ON NOUS A LAISSE TOMBER depuis longtemps, je me souviens déjà du temps du Dr Marquès, avoir demandé et inscrit un projet « P.I.M » de restructuration de ma cave (subventionnable), auprès de la DDA. La réponse après 6 mois d’attente tombait et PAM ! les barrages de Vinça et de Caramany avaient absorbé l’enveloppe dégagée. Aide toi le ciel t’aidera peut-être... mais surtout espère…

Il y a quelques années lors d’une visite en Sicile dans le cadre de l’Académie Internationale des Vins, un gros propriétaire (un Comte), indiquait aux membres de l’académie qu’il avait reçu le double de ventilateurs octroyés par la communauté européenne pour lutter contre le gel dans ses vignes, il se proposait de les revendre à qui serait intéressé, il n’y a pas de petits profits ... En Italie, les subventions de l’Europe étaient telles, qu’un autre propriétaire que nous avons visité, avait bénéficié de subventions d’un ordre de 60 % pour la construction d’un chai énorme comme il n’en existe pas dans notre département.

Au niveau de la région, il y a eu pendant des années des enveloppes qui auraient pu intéresser nos agriculteurs, mais peu de responsables ont transmis les informations, et les sommes en stand by, faute d’inscriptions par dossiers, sont reparties vers d’autres horizons, vers ceux qui ont su utiliser cette manne. Quand je l’ai su, il était bien entendu trop tard, les hirondelles passent… mais pas certaines catégories de rats. Quel gâchis ! Pour qui et pourquoi payons nous ? Nous maintenons de la main d’œuvre mais pour combien de temps ?

Pourquoi ne parle-t-on pas du nombre de suicides chez les agriculteurs ? Perdre son outil de travail, ou cesser une exploitation acquise depuis plusieurs générations, tout le monde s’en fout. Si j’écris ces quelques lignes aujourd’hui, alors que l’on pourrait écrire un livre - mais je préfère aller à l’essentiel - c’est pour répondre à tous ceux qui au son des charmeurs de serpents tentent de nous endormir. Nous sommes conscients de notre devenir et du chemin dans lequel on nous dirige.

Je ne me retrouve plus dans le monde du vin qui à bien changé, où le marketing à outrance et l’unicité du goût ont pris la place centrale, il y a là aussi 10 pages à écrire. A force de suivre le mouvement et l’influence médiatique, nous perdons notre âme, et nous nous retrouvons en partie esclave de ces modes. Nous ne sommes pas nombreux maintenant et nous sommes en voie de disparition, mais ceux qui tirent les ficelles aussi par la force des choses : ceux qui disparaissent entraînent aussi ceux qui les attachent, c’est l’histoire de la chaine.

Le Roussillon, avec son abandon des terres cultivées est en passe de devenir la « future maison de retraite de l’Europe ». Bravo à tous ceux qui ont contribué à cet état de fait. Je me souviens à mes débuts, tout était plus simple et les gens finalement étaient plus heureux. J’allais tailler la vigne, ramasser les sarments, je m’occupais du chai, je vivais au rythme de la nature. Mon père me disait : « tu vois plus tard tu vivras comme un Roi », le royaume à disparu sous les ronces.

Il m’arrive souvent de me lever aux premières heures pour ne pas être dérangé, et me plonger dans cette paperasserie et ces tracasseries du Soviet Suprême, mises en place par nos apparatchiks. Cela changera t’il ? Je n’y crois pas du tout, il faut s’attendre à plus de contraintes, elles sont en marche. Dans les zones de montagne, comme à Banyuls, la garrigue reprendra-t-elle un jour la place quelle occupait auparavant ? Cela n’empêchera pas les consommateurs de boire d’autres liquoreux pourquoi pas du PORTO.

Alors quand j’entends un bon nombre qui me disent : « vous avez un beau métier », je réponds : J’avais un beau métier.

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