Exigés par le président de la République lors de son discours du 11 octobre 2017 à Rungis, ces plans élaborés par les interprofessions sont, outre le projet de loi sur les relations commerciales, l’aboutissement des États généraux de l’alimentation, lancés dans un grand fracas de communication. Ces EGA devaient tout changer, sans avoir à réformer la PAC pour en faire une politique régulatrice des marchés… Le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat est très décevant. Ces plans de filière ne font souvent que du copier-coller de précédents plans stratégiques de filière : vocation exportatrice, production écologiquement plus vertueuse, montée en gamme, diversification, etc.

Ces plans ont le tort de laisser croire que les interprofessions sont toutes puissantes et peuvent réellement améliorer le contexte économique de leur secteur. Or, il faut savoir qu’une interprofession ne peut pas s’entendre sur des prix satisfaisants pour tous les maillons de la filière : le droit de la concurrence de l’UE réprime ce genre d’accord, considéré comme une entente illicite.

Nos filières, et en particulier nos producteurs, ont besoin d’être protégés. La France étant membre de l’UE, cette protection est à raisonner au niveau européen. Mais serons-nous aidés en cela par les opérateurs de ces filières ? Voyant que la croissance se fait ailleurs, nos collecteurs-transformateurs, s’installant aux quatre coins du monde, ont-ils intérêt à soutenir cette régulation nécessaire au maintien, à terme, de notre agriculture ?

Plan de filière d’Intercéréales : exporter le plus possible et à bas prix (140 €/t) !

Ce plan est principalement axé sur la vocation exportatrice, alors même que la concurrence s’accroît, avec la forte montée en puissance de l’origine mer Noire (Ukraine, Russie) et que la France perd des parts de marché chez ses clients traditionnels. Avec la crise de l’élevage, la France se retrouve avec de plus en plus de céréales à exporter et à bas prix (compétitivité-prix). Le port de Lorient par exemple, s’est récemment équipé d’un magasin de stockage d’une capacité de 150 000 tonnes pour pouvoir exporter des céréales produites en Bretagne ! Or, développer les exportations de céréales, c’est nous rendre encore plus dépendants du marché mondial et d’un prix trop bas pour couvrir nos coûts de production (200 €/t, d’après Arvalis) ! Le plan fixe un objectif de prix de 140 €/t « durablement », alors que les prix ont été divisés par 3 en 30 ans en monnaie constante. La majorité des céréaliers est loin de pouvoir vivre avec un prix aussi bas. Il est illusoire de penser que l’origine France pourra rester compétitive vis-à-vis des origines les mieux placées. Nous buterons inexorablement sur un coût de production-plancher, d’ordre structurel, et supérieur à 140 €/t.

Outre un impératif de prix bas, pour regagner ou conserver des parts de marché, Intercéréales propose d’augmenter la qualité (protéines, impuretés…) et de mieux répondre à l’attente des pays clients en étant capable de fournir les bons mélanges de variétés au bon moment (pour la meunerie notamment). Or, à qualité égale, les importateurs vont se fournir auprès des origines les moins chères et nul ne doute que le coût de cette meilleure organisation sera reporté lui aussi sur les producteurs. Intercéréales souhaite aussi économiser 15 €/t de logistique sur l’ensemble de la filière. Mais l’origine Mer Noire est pour sa part capable de gagner jusqu’à 50 €/t sur sa logistique et nous ne pourrons jamais suivre !

L’interprofession nous pousse à utiliser toutes les nouvelles technologies disponibles. Mais nos concurrents russes ou ukrainiens peuvent tout aussi bien s’approprier l’outil numérique. Le plan commet l’erreur de raisonner comme si nous seuls pouvions progresser et pas nos concurrents ! Les semenciers et fabricants de matériels sont déjà installés dans ces pays qui constituent pour eux de nouveaux marchés très porteurs.

Auditionnée par Intercéréales (qui n’a rien retenu de nos propositions), la CR a suggéré un système de bonification pour récompenser la qualité livrée. Il faut revoir les normes de qualité, car au-delà du 76/15/4/2/2 et 11, faire mieux n’est jamais rémunéré par les organismes stockeurs (OS). Ces normes n’encouragent pas les agriculteurs à faire de la qualité. Nous avons aussi proposé de différencier les débouchés « meunier » et « fourrager » afin de pouvoir mieux rémunérer le blé destiné à faire du pain. Car actuellement, il n’y a qu’un seul prix du blé (aux normes 76/15/4/2/2 et 11). La valeur ajoutée générée par l’activité de meunerie développée par les coopératives ne redescend pas au céréalier. La CR a également porté la suppression du statut d’OS et la liberté totale de la vente de grains par le producteur, retrouvant ainsi la possibilité de faire lui-même ses factures.

Enfin, la CR considère que ce plan méprise totalement les réalités agronomiques et ne dit rien de l’introduction de légumineuses dans les rotations. Il fallait établir un plan de filière commun entre Intercéréales et Terres Univia. Séparer les grains, entre céréales d’une part, et oléoprotéagineux d’autre part, constitue une erreur de raisonnement agronomique et économique. Le rééquilibrage des productions supprimerait notre dépendance au soja OGM importé du continent américain, nous permettant d’atteindre notre autonomie alimentaire et de réduire le recours aux intrants car les légumineuses fixent l’azote de l’air qui en constitue un réservoir inépuisable.

Plan de filière de Terres Univia : sauver le biodiesel !

Globalement, l’interprofession des oléoprotéagineux considère le développement du biodiesel comme une bénédiction pour la France, lui permettant de réduire sa dépendance au soja importé grâce aux tourteaux de colza et dans une moindre mesure de tournesol (autonomie de 54 % en France, contre 30 % seulement dans le reste de l’UE). Sa priorité est de pérenniser les taux d’incorporation dans le gazole et de protéger les usines de trituration et d’estérification du groupe Avril, qu’elle considère comme les maillons les plus fragilisés par les incertitudes réglementaires et la concurrence du biodiesel argentin et indonésien importé. Pour la CR, c’est une erreur stratégique de vouloir arrimer la valeur du colza sur celle du pétrole et le débouché alimentaire doit venir se substituer au débouché énergétique, l’huile de colza étant riche en oméga-3 et l’UE étant déficitaire à 69 % en huiles alimentaires (d’après les chiffres du FEDIOL). L’atout nutritionnel de l’huile de colza est relevé par le plan de filière mais celui-ci n’en tire pas la conclusion qui s’impose : abandonner le biodiesel.

Terres Univia demande un plan protéines français basé sur la recherche-développement, les schémas de certification des productions et l’aide aux semences certifiées. L’interprofession estime qu’il faut diversifier les assolements mais ajoute que cela « peut passer donc par une phase de perte, qui doit être considérée comme un investissement », alors que cela fait déjà plusieurs années que nous ne dégageons pas de revenu correct ! De leur côté, la CR et l’OPG réclament un plan protéines européen (voir Protéines végétales), avec une taxation dissuasive aux frontières de l’UE pour décourager les importations de soja, unique solution pour relancer la production d’oléoprotéagineux à grande échelle, en garantissant un prix suffisamment rémunérateur aux producteurs. Le souci du revenu des agriculteurs est d’ailleurs quasi absent du plan.

Enfin, comme pour les céréales, la meilleure qualité n’est pas récompensée, la plus forte teneur en huile des grains livrés bénéficiant aux OS. Selon la CR, il faut rémunérer le supplément de qualité par un système de bonification.

Plan de filière d’Interfel : le bon élève que l’on n’écoute pas !

Forte d’être une interprofession longue où les débats constructifs existent entre les familles, Interfel a élaboré un plan de filière complet, ambitieux, en lien avec les attentes sociétales et conformes aux exigences du gouvernement ; quitte même parfois à revenir sur des décisions unanimes des 14 familles. Axes des recherches, RSE, santé publique, stratégie à l’international, etc. : Interfel s’est vraiment donné les moyens d’écouter tous ses interlocuteurs, de les faire débattre afin d’aboutir à un plan pouvant satisfaire tous les représentants de la filière.

Près de 9 mois après la sortie de ce plan, l’euphorie est retombée et les professionnels se rendent compte que le plan de filière ne sera que leur propre feuille de route puisque le gouvernement ne prend aucunement acte des efforts, des objectifs et des moyens consentis par l’ensemble de la filière fruits et légumes.

En résumé, ce plan restera comme un beau travail collectif ayant réuni tous les professionnels mais dont l’utilité pour le gouvernement ne semble qu’être une caution pour les États Généraux de l’Alimentation.

Plan de filière du CNIV : vivons bien, vivons cachés !

La filière viticole a, comme à son habitude, réuni son microcosme pour élaborer très rapidement un plan de filière, dans la mesure où le dernier plan de filière datait de seulement quelques années. Le CNIV a donc servi du réchauffé en ayant saupoudré son texte de quelques attentes sociétales pour plaire au gouvernement.

Néanmoins, le CNIV a réussi le tour de force d’utiliser son plan de filière comme moyen de pression, obligeant le président de la République à s’exprimer publiquement pour soutenir la filière viticole. Emmanuel Macron s’est fendu d’un « le vin est l’âme de la France » qui a satisfait les opérateurs de la filière après une succession de publicités anti-alcool orientées sur le vin, provenant du ministère de la Santé.

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