Innoval : l’amazone de l’agriculture ?

 

POUR ou CONTRE ?

 

La création d’INNOVAL, fusion de BCELO (contrôle laitier), Évolution (reproduction), GDS Bretagne (Sanitaire) et Copavenir (contrôle laitier et gestion de données en Charente et dans la Vienne), qui doit être validée le 17 juin prochain, lors d'AGE Plénières, interroge la Coordination Rurale. Le syndicat y voit surtout le risque de créer un monopole de services sur 28 départements.

Véronique Le Floc’h, éleveuse finistérienne et vice-présidente de la Coordination Rurale, vous délivre son analyse à retrouver ci-après.

Le 17 juin prochain, lors d’AGE Plénières, si les administrateurs votent favorablement, GDS de Bretagne, BCELO (Bretagne Conseil Élevage Ouest) et Copavenir (Coopérative d'élevage en Charentes et Vienne) fusionneront dans Coop Evolution (Noyal-sur-Vilaine (35)) laquelle deviendra alors Coop Innoval. Y sera également intégrée NNOVAL SAS, filiale commune à GDS, BCLEOuest et Coop Evolution créée en 2017 et via laquelle plus d’un million d’euros sur les 3,3 millions investis sont déjà perdus pour les éleveurs !

Quelles décisions prendront nos représentants des différentes structures ?

 

Le GDS de Bretagne se rend-il compte qu'il apporte aux autres structures l'ensemble de son fichier d'éleveurs, soit plus de 24 000 adhérents ou seulement clients OVS (pour le suivi sanitaire délégué par l’État) ? BCELO, présent uniquement dans 3 départements, pourrait alors avoir accès à la liste des producteurs des 4 départements. La concurrence, notamment en Ille-et-Vilaine, est-elle amenée à disparaître  ou à tenter de se réorganiser ? Quel intérêt le contrôle laitier présente-t-il encore pour les quelques 2 500 éleveurs spécialisés en bovins viande, les éleveurs d'équidés, d'ovins et/ou de caprins ? De même, les éleveurs qui ont fait le choix de ne pas inséminer, ou de travailler avec des concurrents privés, n'ont pas forcément envie d’être démarchés sur la base de leurs données partagées ! Les éleveurs hors de Bretagne ont-ils envie qu’on leur impose le modèle breton ?

Les articles 56 et 57 des statuts de Coop Evolution prévoient qu’un mois avant les assemblées générales validant tout projet, tous les documents soient consultables à son siège. Mais combien d’éleveurs voudraient les consulter et auraient le temps de le faire  ?

Afin de comprendre tous les tenants et aboutissants, la Coordination Rurale s’est intéressée à ce montage. Elle note que les Comités Sociaux et Économiques de ces différentes associations et coopératives ont déjà émis des avis défavorables sur le projet. Elle s’interroge sur la rentabilité supplémentaire que peut escompter chaque exploitation de ce projet. Elle attend surtout des administrateurs un retour sur leurs raisons de valider ou pas ce projet de fusion et espère qu’un rendez-vous lui sera rapidement accordé. Il en va de la responsabilité des décideurs !

Innoval : des coûts mais à quand des bénéfices ?

 

Filiale commune de GDS, BCELO et Coopérative Evolution (depuis qu’en octobre 2020 Union Evolution SAS lui a cédé ses parts), INNOVAL SAS existe depuis 2017. Mais comment justifier qu’en 2019, deux ans après sa création, elle a déjà coûté au moins 3,3 millions d’euros aux coopérateurs (1,25 millions d’euros via Evolution, 1,23 millions d’euros via BCELO et 820 mille euros via GDS) ? Et ce, sachant qu’une grande partie de cette somme s’avére définitivement perdue : 800 mille euros d’abandon de créances et 200 mille euros de pertes relatives aux droits sur la plateforme technique dans le projet APPLIFARM, filiale informatique d’INNOVAL, radiée en novembre 2020 “faute de perspectives économiques positives”.

Il est également à noter que les 1,5 million d’euros de prise de participation d’INNOVAL dans sa nouvelle filiale informatique ICOWSOFT ont aussi été dépréciés de 342 mille euros en 2019, seulement un an après qu’INNOVAL soit entrée à hauteur de 20 % au capital de cette start-up. La Financière de la Montagne, implantée au 4 Rond-Point des Champs-Elysées à Paris, holding dont Jean-Nicolas Trebouta, aux multiples mandats, est l'actionnaire majoritaire (25 %). Sans nouvelle recapitalisation, ICOWSOFT ne risque-t-elle pas d’être dissoute comme APPLIFARM ?

Cette stratégie, qu’on pourrait qualifier « de placements à risques avec l'argent des producteurs », ne semble pas pour l'instant rentable puisqu’INNOVAL continue de creuser son déficit de 44 % en 2019, passant ainsi de 562 mille euros à 809 mille euros en un an !

Depuis plusieurs années, Union Evolution SAS cumule aussi des résultats déficitaires. Ils s’expliquent en grande partie par les résultats financiers et exceptionnels négatifs relatifs à des dépréciations d’actifs de filiales (2,3 millions d’euros pour des dépréciations de titres Labogena et Taurus en 2018, et 515 mille euros pour INNOVAL en 2019) et 6,3 millions d’euros pour des plans de sauvegarde de l’Emploi (4,3 millions d’euros en 2017, 659 mille euros en 2018 et 1,35 millions d’euros en 2019). Ainsi, pour n’aboutir qu’à un résultat de 33 mille euros en 2019, Coop Evolution lui a versé 2,7 millions d’euros de subventions alors qu’elle passait en profit 439,5  mille euros de parts sociales non réclamées par les coopérateurs.

Pertes fictives, réelles, calculées ? En tout cas, ce sont les coopérateurs qui paient !

Les éleveurs du collectif GDS avaient raison de demander des explications, car au regard des documents qu’ils ont obtenus suite à leurs démarches auprès des tribunaux et des chiffres publics, publiés dans le projet d’apports à Coop Evolution, les tarifs pour les missions sanitaires déléguées par l’État devraient être, selon les calculs de la Coordination Rurale, 50 % inférieurs à ceux facturés. Même les salariés du GDS Bretagne ne peuvent expliquer les 3,23 € facturés par bovin (autour de 1,9 millions), qui représentent près de 50 % des produits du GDS, uniquement pour la « gestion des prophylaxies et des contrôles à l'introduction » et qui occuperaient à peine 20 personnes (sur 130) dans les 4 départements.

S’il est clair, dans les projets de statuts déposés en mai 2021, que la coopérative Copavenir fusionne par absorption dans Coop évolution, avec des apports intégraux, les apports de GDS et BCELO ne sont dits que « partiels » alors qu’ils sont intégraux tant au niveau des actifs nets des bilans que des effectifs salariés (133 + 450 figurent respectivement dans l’évaluation des apports au 31/12/2020) ?  Est-ce parce que ce sont des associations ? Que restera-t-il alors de BCELO et de GDS et sa délégation de services sanitaires par l’État, à part les noms ? 

Au regard des objectifs de fusion, la Coordination Rurale s’interroge sur l’intérêt personnel des exploitations agricoles. Sans obligation de résultats, vouloir « rendre les exploitations plus performantes et compétitives » et « créer de la valeur ajoutée dans les élevages » ne leur garantit en rien une meilleure rentabilité puisqu’elles créent déjà de la valeur qui s’avère toujours aussitôt captée par le reste de la filière ! D’ailleurs, l’objectif de fusion de « créer de la valeur ajoutée dans les élevages pour apporter à la collectivité des éleveurs laitiers une valeur stratégique et économique dans la filière » le suggère ! Cette inquiétude est d’autant plus légitime au regard des 2,2 millions d’euros de perte de chiffre d'affaires de BCELO en 2019, dont 1 million qu’ils attribuent à « la restructuration des exploitations, aux glissements de service et aux démissions » !

Vouloir « Créer le leader reconnu de la conduite d’élevage sur le Grand Ouest » doit non seulement interpeller les producteurs mais aussi les autres associations d’élevage, déjà existantes et fonctionnant bien, dans les zones déjà incluses dans le périmètre de Coop Evolution (28 départements) et validées par le HCCA. C'est comme si on demandait aux producteurs de comté, réunis dans des fruitières, s'ils souhaitaient intégrer Sodiaal ! Pire encore, doit-on déduire que les coopérateurs Innoval pourraient se retrouver dans la coopérative Arcowin issue du regroupement de 5 coopératives européennes, dont Evolution, avec une fusion de l'essentiel de leurs activités prévue au 1er janvier 2022 ? Bons ou mauvais projets ?

Sans réponses à ces questions, sans espoir que le projet vise à ramener les frais d’élevage dans la moyenne européenne, alors qu’ils sont selon une étude reprise par l'Institut de l’Élevage les plus élevés d'Europe, 10 à 15 € supérieurs aux 1 000 L, surtout en frais de reproduction, (https://www.coordinationrurale.fr/cout-des-services-en-elevage-laitier-la-france-en-difficulte/total-des-services/), la Coordination Rurale attend des administrateurs, amenés à ratifier le projet ce 17 juin 2021, qu'ils émettent un avis défavorable, comme l’ont déjà fait les CSE de GDS, BCELO et Coop Evolution. L’agrandissement de certaines coopératives, de pair avec des montages volontairement opaques ne s’est jamais traduit, à ce jour, par des bénéfices pour les agriculteurs mais au contraire, à toujours moins de concurrence et à la concentration du pouvoir et des créanciers !

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