Mardi 23 février 2016, la Coordination Rurale des Ardennes a tenu son assemblée générale, à Le Chesne. A cette occasion, M. Lenoir François-Régis, Docteur en psychologie sociale mais aussi exploitant dans les Ardennes, a proposé des pistes de réflexions sur les risques psycho-sociaux et le suicide en milieu agricole. Retour sur la conférence.

Devant une assistance principalement composée d'agriculteurs, M. Lenoir a donné la parole pour lancer le débat. Mettre des mots sur des émotions, des sentiments et parler de ce qui fait peur...

A l'heure où la crise de l'élevage et de l'agriculture en générale pousse certains à se poser des questions sur leur rôle dans la société, M. Lenoir a amené les agriculteurs à réfléchir sur le sens qu'ils donnent à leur métier et l'importance d'être accompagné, notamment par l'écoute et le dialogue.

  • Adaptation au stress

Chacun, selon sa propre personnalité et son propre seuil, va tolérer et encaisser les difficultés jusqu'à un point donné. Ce point est franchi lorsqu'il est impossible pour la personne de se reposer moralement ou physiquement, sur des périodes plus calmes. Ce stress, une fois accumulé, crée un surmenage chez certains, pouvant causer une fatigue chronique et un épuisement. « On parle alors d'effet de seuil. Les personnes sont épuisées, puis trop fatiguées ce qui les poussent parfois à avoir un comportement à risques pour eux-même ou pour les autres. »

  • Mal-être au travail et syndrômes

Cette notion s'applique aussi bien à l'échelle individuelle, relationnelle avec les autres, de l'équipe et de la société dans laquelle on se situe.

Le surmenage au travail se traduit par une forme d' « hyper-conscience professionnelle ». Dans le domaine de l'agriculture, bien souvent le travail est une valeur morale. Autrement dit, c'est une valeur dont on ne peut pas se passer.

« Les agriculteurs se mettent donc la pression pour réussir. L'entourage parfois, la famille notamment lorsqu'il s'agit de ferme familiale transmise de génération en génération, peut mettre la pression. De ce fait, les agriculteurs travaillent d'autant plus qu'ils sont stressés mais pourtant il n'y a pas de production de valeurs ajoutées supplémentaires. Dans ce cas, il est donc très important de prendre du recul, de la distance par rapport à son travail ».

Les premiers signes d'alerte sont d'abord physiques (troubles du sommeil, de l'alimentation et troubles musculo-squelettique relèvent des troubles liés au travail : mauvaise posture, anxiété...). Ces problèmes engendrent à leur tour, des signes comportementaux comme des troubles émotionnels, la dépression, l'agressivité, la violence et des comportements à risques. Ces troubles peuvent durer de plusieurs mois à plusieurs années.

Une étude en Champagne-Ardenne a montré que 1/3 des éleveurs étudiés étaient atteints de troubles psychosomatiques majeures tandis que 2/3 se sentent stressés. Avant d'arriver à ce type de problème, l'agriculteur va d'abord essayer de solutionner le problème (phase d'essai). Puis, ils vont résister pour ne pas abandonner (phase de résistance). A ce moment, pour certains, se produit la phase d'épuisement (concernés par 1/3 des éleveurs en Champagne-Ardenne, considérés à risques).

Le pont entre les risques psychosociaux et le passage à l'acte (notamment suicide) résulte de deux facteurs : l'isolement affectif (célibat, peu d'amis, peu de voisins…) et l'isolement socio-professionnel (seul au travail). La dégradation progressive de l'économie de son exploitation ( autrement dit : on ne s'en sort plus) est également un facteur de pensée suicidaire.

  • Facteur transgénérationnel

Cela se traduit par un poids symbolique sur les épaules des jeunes en reprise d'exploitations. L'échec est très mal vécu d'autant que la ferme familial se transmet depuis des générations. Actuellement, il existe parfois un décalage entre ce que demande la société, la vision de l'entourage et ce que fait réellement l'agriculteur. On appelle ce phénomène la dissonance et renforce le mal-être chez les agriculteurs. Ils sont écartelés et souffrent de ne pas savoir quoi faire.

Quelles solutions ?

  • Penser à soi-même ou L'équilibre psychosocial : il faut lutter contre la tendance au repli sur la cause du stress mais créer une sphère familiale, une sphère d'amis, une sphère sociale, qui permette de relâcher la pression.
  • Augmenter les ressources : en prenant du temps pour tisser des liens et créer du contact avec les autres. Il a été remarqué que les personnes ayant des fonctions ou mandats, sont plus impliquées socialement et se sentent mieux. Cet investissement peut aussi être un bouffée d'air pour l'exploitant qui concentre tout sur le même lieu (famille, maison, ferme, travail). "Tout est dans tout. Tout est mélangé".
  • Réfléchir à l'impact sur le long terme : le travail en collaboration permet d'augmenter le confort de vie  (congés, vacances, horaires). Cela nécessite d'accepter les points de vue divergents et d'apprendre à se mettre d'accord.
  • Affirmer ses idées et ses valeurs  ou La combativité : phase avant l'épuisement.
  • Le lien équitable relève d'une répartition juste des richesses.
  • Reconnaître ses besoins : demander de l'aide et du soutien.

 

En conclusion : « Augmentons nos ressources : plus de liens, plus de soutien ! Cherchons à réduire les contraintes : ne pas se laisser aller et se replier sur nous-mêmes et ne pas laisser les autres exercer une pression notamment dans les cas de management par le stress. »

La conférence s'est suivie d'un débat, où les assistants ont pu poser librement leurs questions. M. Lenoir a rappelé la nécessité d'orienter les personnes visiblement en souffrance soit vers les assistances sociales de la MSA ou bien, en cas d'urgence, vers une équipe médicale (pompiers, médecins). La famille, les amis et le corps d'aide médico-psychologique restent les mieux placés pour apporter un soutien aux agriculteurs en difficultés.

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