Après avoir participé aux 4 réunions départementales de consultation sur la PAC 2020, nous avons été auditionné par la Région Bretagne. Nous avons développé nos 4 propositions principales que vous pouvez retrouver ci-dessous.
Mesdames, Messieurs,
Nous sommes toujours heureux d'intervenir sur le sujet de la Politique Agricole Commune (PAC) car comme vous le savez, notre syndicat est né en 1992 en réaction à la PAC de l'époque. Nous aurions préférés venir vous dire aujourd'hui que nous avions tort et que nos craintes étaient infondées. Malheureusement, nous avions raison. Cette PAC a broyé l'agriculture Française et Européenne. Permettez-moi quelques chiffres en introduction :
Dans les années 90, il y avait encore un million d'exploitations agricoles en France, aujourd'hui nous n'en comptons plus que 450 000 ! A elle seule, la Bretagne en compte près de 32 000. Cela représente dans l'hexagone 2,6 millions d'emplois agricoles et induits par l'agriculture. En Bretagne, nous pouvons dire qu'en moyenne un agriculteur fait vivre 6 personnes. Il faut donc avoir à l'esprit qu'à chaque ferme qui disparaît, ce sont 6 emplois qui sont supprimés sur notre territoire. L'agriculture ce sont des emplois mais aussi un équilibre et la vitalité d'une région. En 2016, 50 % des agriculteurs affichaient des revenus inférieurs à 350€ par mois (aides PAC inclues). Ce sont plus de 1 500 dépôts de bilan et des centaines de suicides.
En plus de ces sacrifices, la France n'est pas autosuffisante. Nous importons pour 51 milliards d'euros de produits agricoles et agroalimentaires. Les industries agroalimentaires (IAA) françaises apportent un excédent commercial de 6,1 milliards d'euros me direz-vous. C'est un mirage ! Si vous enlevez les vins et spiritueux, le solde est déficitaire de 5,3 Milliards.
Après ces quelques éléments rappelons que la PAC est un élément fondateur de la construction européenne. Mais aujourd'hui elle n'assure plus ses missions essentielles. La PAC ne garantit plus l'autosuffisance alimentaire de la population, elle n'assure plus un niveau de vie décent à la population agricole, elle ne stabilise plus les marchés, elle ne garantit plus la sécurité des approvisionnements.
Face à cette ligne ultralibérale, voici les propositions de la Coordination Rurale :
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Établir un bilan clair des PAC précédentes
Il est primordial d'évaluer les effets de toute politique avant de la modifier.
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Défendre la préférence communautaire
La préférence communautaire, basée sur les protections douanières n’est pas utopique, ni le reflet d’un repli sur soi : elle a été conçue pour assurer la sécurité sanitaire et l’autosuffisance alimentaire européennes avec des productions et des marchés organisés et stabilisés dans l’intérêt tant des consommateurs que des agriculteurs. La préférence communautaire c'est protéger les consommateurs européens à travers des normes garanties selon leurs souhaits. Nous avons le droit de refuser les produits qui ne garantissent pas certaines normes environnementales ou sociales.
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Régulation des prix des produits agricoles sur la base de leur réelle valeur économique
Tout d'abord l'Union européenne doit imposer des droits de douane variables. Les importations à bas prix seront réévaluées d’un droit de douane variable et adapté afin d’éviter le dumping par les moins-disants mondiaux. Les productions européennes seront rééquilibrées en fonction des besoins internes et cesseront d’être confrontées à une compétitivité externe insoutenable et prédatrice. Les importations doivent refléter nos contraintes environnementales, sociales et fiscales. Les aides qui pèsent très lourd dans le budget de l’UE ne représenteront plus qu’une part marginale en étant consacrées aux seuls agriculteurs placés en situation de handicap naturel.
Ensuite, il faut ajuster l’offre à la demande. Il s’agit de mettre en place des dispositifs de gestion et d’organisation des productions adaptés à chaque filière permettant un ajustement souple et permanent des mises en marché avec les demandes en produits. La question de la gestion coûteuse et difficile de la volatilité des revenus agricoles est par ailleurs réglée car les agriculteurs dégagent alors suffisamment de moyens pour s’assurer ou s’auto-assurer contre les risques climatiques et n’ont plus à faire face aux aléas liés à la volatilité des marchés, ceux-ci étant stabilisés.
En imaginant que les prix agricoles, une fois isolés du marché mondial, soient augmentés de 40%, l'impact pour le consommateur serait, soit positif, soit négligeable. La part de l’alimentation dans le budget des ménages français en 2013 n'est que de 12,4 % (hors boissons et restauration). La part de produit agricole dans le budget d’un ménage ne représente que 1,83 %. Si une hausse de 40% des prix agricoles des produits aidés directement ou indirectement par la PAC est appliquée, l’impact sur le budget total du ménage est alors de 0,73%.
Mais il faut tenir compte des 319 euros d’aides PAC supportés fiscalement par chacun des 28,5 millions de ménages français (9,1 milliards d’euros par an entre 2014 et 2020).
Ces 319 euros représentent 0,89% du revenu moyen annuel d’un ménage (36 030 €). Dans cette hypothèse, les ménages français sortiraient donc gagnants d’une substitution des aides PAC par des prix rémunérateurs à la production pour les agriculteurs.
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Création d’un Observatoire européen des productions et des marchés (OEPM)
L’OEPM répercuterait vers les organisations de producteurs les consignes d’ajustement de chaque grande production, de façon à tenir les prix dans des fourchettes prédéterminées en fonction des coûts de production. Si les prix baissent ou augmentent trop, la production sera orientée à la baisse ou à la hausse. Il s’agit ainsi de considérer les signaux du marché mais en abandonnant l'illusion destructrice de sa « main invisible». C’est l’équilibre intra-européen entre l’offre et la demande qui jouera sur les prix de manière raisonnable, et non plus les variations erratiques du commerce agricole international.
Les effets d'une telle PAC ?
Cette PAC ambitieuse réussira là où les précédentes ont échoué. Le fait que les prix reflètent les coûts engendrés par les contraintes de production permettra de sortir d’une logique opportuniste pour les agriculteurs, car liée à tel ou tel niveau d’aides. Cela induira naturellement un retour à plus d’agronomie et de recherche de diversité des cultures pour rééquilibrer de manière durable les productions d’une même exploitation. La diversité des assolements ne sera plus une contrainte de verdissement mais une conséquence du changement de système. Les prairies naturelles retrouveront un intérêt économique au lieu de faire l’objet d’un maintien obligatoire sous peine de sanctions.
Les agriculteurs seront délivrés de la paperasserie liée aux aides.
Enfin, parmi les conséquences heureuses du cercle vertueux induit, le dynamisme économique retrouvé de notre agriculture permettra un nouveau développement des emplois dans les territoires ruraux sans qu’il soit nécessaire de dépenser de l’argent et de l’énergie pour mettre en place des mesures de développement rural.
Nous ne voulons plus de cette PAC, pour autant, nous croyons toujours au rôle de l'Europe sur les questions agricoles. En plus des éléments cités précédemment, nous souhaitons une harmonisation des normes sociales, fiscales et environnementales.
La PAC 2020 doit se construire sur les fondamentaux du Traité de Lisbonne : assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements. La Bretagne touche 566 millions d'aides PAC. Des aides continuellement en baisse. Or ; aujourd'hui, vous êtes en train d'imaginer des stratagèmes pour compenser cette perte. Nous avons une solution : laisser les agriculteurs vivre de leur production, de la réelle valeur économique des produits et non de primes versées par l'Europe.
Permettez-moi de citer Albert Einstein, « La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent ». J'ai donc une question pour terminer : L'Europe va-t-elle encore écouter ceux qui ont emmené l'agriculture dans le mur où oser autre chose, des propositions de bon sens ?