Au cours du mois de juillet, la CR AURA a adressé un courrier à tous les députés, sénateurs, préfets et DDT de la région. L'objectif de cette démarche : attirer l'attention des pouvoir publics sur les nombreuses difficultés que rencontre actuellement l'ensemble de la profession agricole.

Madame, Monsieur,

Le désespoir que connaît le monde agricole depuis plusieurs décennies est de plus en plus en grand et nous ne pouvons fermer les yeux sur cette situation désastreuse. Tous les deux jours, un agriculteur met fin à ses jours en France. Depuis 2013, ce sont près de 260 exploitants qui, assommés par le poids des charges, de l’endettement et des démarches administratives, cessent leur activité chaque semaine. Sachant qu’une ferme qui disparaît entraîne la perte de sept emplois dans le reste de la chaîne, c’est aujourd’hui la survie de l’économie locale et la vitalité des territoires ruraux qui sont en péril.

À l’heure où la préservation du foncier agricole en zones périurbaines présente le double intérêt de maintenir le tissu agricole vivant et de favoriser le développement des circuits courts en créant plus de lien entre l’urbain et le rural, nous aimerions que les terres que nous exploitons ne soient pas considérées comme de simples réserves foncières pour des projets urbanistiques à l’utilité parfois contestable. D’une manière générale, nous estimons que la façon la plus simple de lutter contre le « gaspillage du foncier agricole » est de rendre l’activité agricole plus rentable, plutôt que d’instaurer des zonages contraignants et susceptibles d’alourdir les charges fiscales pesant sur les propriétaires.

Fin mai, la Commission européenne a annoncé une baisse de 8 % des aides directes à l’agriculture pour la période 2021-2027. Cette réduction des aides est annoncée alors que les prix agricoles restent désespérément bas :

⇒ selon l’étude de conjoncture publiée le 31 mai dernier par l’Insee , le prix des animaux de boucherie a baissé de 2,1 % en avril. Le prix du porc a chuté de 6,7 % sur un mois et de 20,2 % sur un an. En bovins viande, le prix du kilo de carcasse de la vache de réforme charolaise cotait à 3,60 € le 18 juin 2018, soit 20 centimes de moins qu’en 2017 . Sur les mois de janvier et février 2018, le prix était d’ailleurs inférieur à 3,50 €. Face à cette situation dramatique , nous constatons avec peine que près d’un quart des animaux sont exportés et qu’en parallèle la France importe de la viande bovine pour satisfaire la demande sur le marché intérieur.

⇒ le prix du blé a été divisé par trois en monnaie constante depuis 30 ans. Le chiffre d’affaires d’un hectare de grandes cultures a chuté de 62 % pour cette même période. Les producteurs n’ont pas de revenu décent depuis 5 ans et 30 % d’entre eux sont en déficit depuis 2 ans !

⇒ après avoir faiblement remonté en 2017 par rapport à 2015 et 2016, le prix du lait de vache au départ de la ferme tourne autour de 300 les 1 000 litres en ce mois de juin 2018. C’est une baisse de 25 % par rapport à 2014 alors qu’en parallèle les coûts de production ont augmenté. La sortie des quotas qui régulaient la production de chaque pays membre de l’Union européenne depuis 1984 a débouché en 2015-2016 sur une surproduction laitière aux effets dévastateurs.

⇒ ces dernières semaines, viticulteurs et maraîchers ont été nombreux à subir d’importants dommages occasionnés par les inondations et les orages de grêle. Au moment même où la France gagnait la Coupe du Monde de football, certains agriculteurs assistaient impuissants à la perte de leurs productions...

Président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, Philippe Chalmin a fait état, le 26 juin 2018, d’une « forte instabilité des prix à la production » en France tandis que l’on observe « une grande stabilité des prix à la consommation ». Il a convenu que sur 100 de dépense alimentaire chez le consommateur, la part de la valeur ajoutée revenant à l’agriculteur n’est que de 6,50 . Il a tenté d’expliquer cette différence par le fait qu’actuellement, nous « consommons surtout du service » à travers nos achats de nourriture. Ainsi, quand nous achetons des cerises en promotion chez Carrefour ou Leclerc, il est possible que le prix de revient de la communication pour promouvoir les produits d’appel soit plus élevé que le prix du kilo payé au producteur. Nous trouvons cela totalement aberrant !

Par ailleurs, le rapport publié par l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires constate que les prix payés aux agriculteurs français pour des matières premières essentielles comme le lait de vache, les viandes ou les blés ont tendance à s’aligner en permanence sur un prix mondial fixé dans les salles des marchés selon la seule loi de l’offre et de la demande, sans prendre en considération la réalité des normes sanitaires imposées et des coûts de production induits. Le libre-échange entraîne d’importantes distorsions de concurrence or, nous considérons que l’alimentation n’est pas une activité économique comme les autres. De par sa fonction vitale, l'agriculture doit être protégée et les prix agricoles ne doivent pas être soumis aux fluctuations du marché mondial.

En tant que représentant officiel de la profession agricole, nous ne pouvons être indifférents face à ce constat alarmant. Pour rappel, lorsque la révolution alimentaire a été lancée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on a demandé aux agriculteurs de se moderniser et de produire plus pour nourrir la France. Aujourd’hui, nous condamnons tristement le manque de reconnaissance que nous témoigne une partie importante de l’opinion publique : l’État et les habitants nous négligent et nous méprisent parfois alors que paradoxalement, la France est un des rares pays pouvant encore se réjouir de la qualité de ses produits. Cependant, si rien n’est fait pour enrayer la disparition de ses agriculteurs, que restera-t-il de nos productions françaises ? Que restera-t-il de notre profession et quels produits nos enfants et petits-enfants seront-ils amenés à ingurgiter à l’avenir?

Madame, Monsieur, nous ne demandons pas la charité, nous souhaitons simplement vivre dignement de notre métier. C’est pourquoi à la CR, et depuis 1992, date de sa création, nous réclamons des prix et non des primes.

Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de ma très haute considération.

Jean-Louis OGIER

Président de la CR Auvergne-Rhône-Alpes

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