Lundi 12 juin, les Coordinations Rurales de l’Isère et de l’Ain ont eu le plaisir d’organiser une journée thématique sur l’agriculture de conservation des sols en présence de Sarah SINGLA, agricultrice aveyronnaise, ingénieur agronome adepte du non-labour et formatrice du réseau Hum’s. Installée sur une ferme en ACS (Agriculture de Conservation des Sols) depuis 1980, elle est aujourd’hui l’une des référentes nationales dans le domaine.

Après un petit-déjeuner d’accueil offert à tous les participants, la journée a débuté par une visite de terrain sur les parcelles de Jean-Luc Varnet (Saint-Savin), adhérent de la CR de l’Isère, en non-labour depuis plus de 30 ans. Face à une trentaine d’adhérents des CR de l’Isère et de l’Ain et à Fabien Durand, maire de la commune (également vice-président de la CAPI délégué au Cycle de l’eau), cela a été pour lui l’occasion de présenter son exploitation, de préciser ses orientations agronomiques et d’expliquer son itinéraire technique. Pour appuyer sa présentation et étayer ses conseils en matière de préservation et de régénération des sols, Jean-Luc a pu compter sur l’expertise de Sarah SINGLA.

Cette dernière a notamment insisté sur l’importance du choix, de la mise en place et de la valorisation des couverts végétaux : « ils s’adressent à tout le monde, en agriculture biologique ou non, avec ou sans travail du sol. Il représente un véritable « couteau suisse », qui va jouer dans la gestion des adventices, la lutte contre la battance et l’érosion, le piégeage des nitrates, la structuration des sols, la production de fourrage ou de biomasse et l’accroissement de la biodiversité. Le couvert végétal ne doit pas être considéré comme un coût, mais plutôt comme un investissement et constitue la porte d’entrée vers l’ACS » a précisé l’agronome.

Pendant plus de deux heures, les participants, initiés ou non à l’agriculture de conservation, ont revu les bases du fonctionnement du sol et appréhendé sa fameuse texture en « couscous » comme le décrit Sarah, signe d’un sol vivant, aéré, fertile, avec une activité biologique riche. « Pour avoir une structure correcte du sol, il faut préserver l’air qu’il contient, essentiel pour la bonne infiltration de l’eau. Dans un sol compacté, l’eau stagne, créant un phénomène d’anoxie (manque d’oxygène). La compaction est surtout due à la pression exercée par les engins agricoles », a-t-elle expliqué. L’agricultrice, pour laquelle il est « essentiel de remettre l’agronomie au cœur des systèmes », admet cependant que la transition vers ce type de pratiques n’est pas facile. Sarah SINGLA conseille de « commencer simplement, avec les couverts végétaux d’hiver et le colza associé par exemple ». D’après elle, l’autre étape nécessaire pour une transition réussie vers l’ACS est de « réaliser un diagnostic complet de la structure de son sol : cette parcelle a-t-elle besoin d’être fissurée ? d’être drainée ? ».

Après un repas convivial pris en commun entre les adhérents des CR de l’Isère et de l’Ain, l’après-midi s’est poursuivie par une conférence ouverte à tous intitulée « un sol fonctionnel pour une agriculture pérenne et rémunératrice ». Celle-ci s’est tenue dans une salle attenante à la Taverne Rustique (Saint-Chef) face à un public nombreux composé d’agriculteurs, d’habitants du territoire, d’élus, de responsables associatifs, professionnels et administratifs.

En comparant l’agriculture de conservation à des situations communes de la vie courante (cuisine, anatomie…), Sarah SINGLA a su captiver l’attention de son public. Avec son franc-parler et sa remise en question permanente des idées reçues, elle est parvenue à susciter une réflexion profonde chez les participants.

« L’agriculture est au centre des solutions, pas au cœur des problèmes »

Aucune civilisation agraire n’a tenu plus de 400 ans. En cause : le travail du sol qui finit par rendre la terre infertile. Sarah SINGLA prend l’exemple des terres asséchées d’Israël, dans une région qui était pourtant nommée « croissant fertile » il y a 2000 ans. Selon elle, si les pratiques culturales n’évoluent pas vers une réduction du travail du sol, la productivité des parcelles ne fera que diminuer.

Pour autant, l’agronome ne proscrit pas totalement le travail du sol, qui peut s’avérer nécessaire pour résoudre certains facteurs limitants, même en semis directs. Sa philosophie est claire : « je travail mon sol le moins possible, mais autant que nécessaire ».

Pour favoriser la fertilité des sols, « la clé, c’est la matière organique », a insisté Sarah Singla. « Un sol avec une teneur en MO entre 1,5 et 2 % peut retenir 20 kg d’eau, alors qu’un sol avec une teneur en MO entre 4 et 5 % peut en retenir 80 kg ».

Pour Sarah SINGLA, le travail du sol l’endommage, là où la vie (plantes, bactéries, vers de terre…) le protège et le nourrit. C’est pourquoi elle recommande la mise en place de couverts végétaux : « l’idée n’est pas nouvelle, on apprenait ça à l’école il y a 100 ans » a-t-elle rappelé. Le couvert est économiquement avantageux car il réduit le temps de travail, le besoins de main-d’oeuvre et la consommation d’énergie liée au travail du sol. À titre d’exemple, une ferme dans l’Oise étant passée de labour à semis direct constate un gain de +345 euros / hectare. À méditer…

Au sujet du glyphosate, Sarah SINGLA a précisé qu’il s’agissait d’un outil supplémentaire dans la boite à outils de l’agriculteur et en a profité pour faire un rappel : « Dans l’agriculture telle que nous la pratiquons, ce produit n’est pas utilisé sur une culture qui va être récoltée et ensuite consommée par des animaux ou des hommes. Il est employé, si besoin, pour stopper la photosynthèse des plantes présentes sur la parcelle juste avant le semis de la culture suivante. En d’autres termes, on stoppe la croissance du couvert afin de faciliter le développement de la culture qui viendra prendre le relais. Ce produit permet donc de réguler ou détruire un couvert végétal ou des mauvaises herbes sans travailler le sol. Actuellement, les alternatives existantes consisteraient à revenir au travail du sol ou à utiliser d’autres herbicides, potentiellement plus problématiques pour la santé ou l’environnement que le glyphosate. Interdire le glyphosate sans solution alternative véritable, serait donc prendre le risque d’un retour en arrière avec des sols nus et travaillés. Cela mettrait en danger une agriculture, qui pour la première fois, a montré que l’on pouvait produire tout en régénérant les sols et en favorisant la biodiversité. Le débat devrait surtout porter sur la vision que l’on a pour l’agriculture française et les objectifs qu’elle doit atteindre. »

« Les agriculteurs ne sont pas des consommateurs d’eau, mais des producteurs de pluie »

Les sols et les végétaux ont un rôle primordial dans le cycle de l’eau : 70% du volume des précipitations continentales proviennent de l’évapotranspiration de la végétation.

Cette eau, une fois dans l’atmosphère, forme des nuages, retombe sous forme de pluie, est captée par les végétaux, génère à nouveau de l’évapotranspiration et ainsi de suite. D’où l’importance de maintenir les végétaux en vie : à l’inverse, une plante sèche ne transpire pas, ne génère donc pas de vapeur d’eau dans l’atmosphère, donc pas de pluie. Un sol sec ou artificialisé monte bien plus vite en température qu’un sol végétalisé qui garde de l’humidité, et la sécheresse provoque ainsi la canicule avec un effet très pervers : plus il fera sec, plus il fera chaud et moins on aura de pluie. La disparition de la couverture végétale, c’est la spirale infernale de la désertification !

« Faisons vivre nos sols, nos producteurs et nos campagnes »

Sarah Singla a également insisté auprès des participants sur la nécessité d’adopter une attitude conquérante, qui leur permette d’aller de l’avant, de saisir leur chance et de ne pas regretter leurs prises de décisions.

Elle a conclu son intervention pas ces mots : « Tous les producteurs doivent être respectés et reconnus comme de véritables partenaires professionnels par l’ensemble des acteurs. Il est contre-productif que des opérateurs, avec du greenwashing, détournent notre image à leur profit et se servent de ce que nous faisons pour s’approprier la valeur qu’ils ne créent pas. Parce que l’agriculture est avant tout une histoire d’Hommes, de territoires et de projets collectifs, pour que notre métier reste une profession à part entière, viable et vivable aujourd’hui et pour les générations à venir : faisons vivre nos sols, nos producteurs et nos campagnes. »

Après plus de deux heures d’intervention, les CR de l’Isère et de l’Ain ont pris le temps de remercier chaleureusement Sarah Singla pour sa conférence et les échanges constructifs qui l’ont suivie.

Retrouvez l’article paru dans le Dauphiné Libéré du 14 juin 2023.

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