La Coordination Rurale de la Vienne et son Président Guillaume Poinot ont invité Madame la Préfète, la DDT, la MSA, la Chambre d’agriculture, les députés, sur l’exploitation de Jean-Claude Mercier, adhérent CR86 et producteur de bovins et de porcs bios. Le motif principal de cette rencontre est la disparition dans la Vienne d’un agriculteur qui a cédé au désespoir en se donnant la mort.

Monsieur Mercier a présenté son exploitation tout en indiquant qu’il avait multiplié les ateliers pour améliorer son revenu, mais que le "sur-travail" n’étant plus tenable, il a décidé d’abandonner les chèvres. Il a fait état des conséquences du confinement qui lui occasionnent une perte de 400 euros par bovin, puisqu'il n’a pas pu les vendre au bon moment pour cause de coronavirus. En fait, malgré tous ses efforts possibles, les résultats de son exploitation ne permettent pas de dégager un revenu suffisant et à la hauteur du travail fourni.

Une PAC hors-jeu

Guillaume Poinot a indiqué que la politique agricole européenne et la réglementation française n’aidaient en rien les agriculteurs, et il a signifié à Madame la Préfète qu’il n’était plus possible de se contenter de dénoncer les importations déloyales qui écrasent nos cours de vente et les contraintes franco françaises qui handicapent la compétitivité de nos exploitations.

Avant que la sœur de l’agriculteur disparu évoque la situation de son frère, Guillaume Poinot a demandé à l’assistance une minute de silence.

C'est avec la gorge serrée et le cœur gros qu'elle a pris la parole. C’est avec beaucoup d’émotion difficilement contenue et partagée par les personnes présentes qu’elle a indiqué que son frère était un agriculteur qui avait une solide formation, il était titulaire d’un BTS en production végétale. Il travaillait sur 120 ha. Il n’avait pas de difficultés financières. Comme il le disait lui-même : "Mon exploitation est saine mais sans rentabilité, je paye mes dettes mais je vis sans rétribution, je me fais traiter de pollueur, d’empoisonneur, je suis harcelé par des photographes qui se prennent pour des sauveurs de la planète, je suis sermonné par des voisins qui ne supportent pas le bruit des machines ni les canons d’effarouchement pendant les heures autorisées. Tout cela conduit à la lassitude et à l’écœurement".

Nous connaissons hélas la suite... Chaque agriculteur présent s’est reconnu dans chacune de ces paroles.

Débats nombreux et riches

S’adressant à Madame la Préfète, aux responsables administratifs DDT et MSA, aux élus de la MSA, au député présent Nicolas Turquois, le Président de la Coordination Rurale 86 a abordé de nombreux sujets :

  • Il a indiqué que des mesures avaient été prises à juste titre pour les "féminicides" mais que rien, pour la profession la plus touchée par les suicides, n’avait vu le jour pour traiter avec efficacité "l’agri-suicide". Quand dans d’autres professions chaque suicide est signalé dans la presse, pour le paysan c’est "rien", c’est la plus grande indifférence. Un rapport sur ce sujet serait en cours de préparation par des parlementaires, il ne serait pas acceptable que celui-ci soit fait à la va-vite, bâclé sans audition suffisante des agriculteurs ;
  • Concernant les OPA : CER, MSA, COOPS, Guillaume Poinot a dénoncé un comportement "d’aveugles", ils ne font que constater trop tard ;
  • Concernant les intrusions dans les fermes avec parfois des incendies criminels, des incivilités, des vols d’animaux et de matériels, combien de plaintes sont instruites en regard des plaintes déposées ? Lorsqu’un agriculteur fait une faute, il est sévèrement sanctionné financièrement, et des exemples ont été donnés par un délégué de la MSA. Lorsque les agriculteurs sont victimes, il n’y a pas de réponse pénale. Ceci est un encouragement aux malveillances envers notre profession ;
  • Guillaume Poinot a indiqué que les agriculteurs observent les lois et les réglementations, mais que les Pouvoirs Publics ne les respectent pas. En effet, nous demandons l’application de l’article 44 qui stipule qu’aucune denrée agricole étrangère ne peut pénétrer le marché français si cette denrée est produite avec des moyens interdits en France ;
  • Il a fait remarquer la pénurie de main d’œuvre en agriculture pour cause de Covid-19, et une découverte faite par les candidats au travail : la pénibilité du travail agricole ;
  • Face à la pénurie de paille, le Président de la CR 86 a demandé à Madame la Préfète de réquisitionner les 5 000 tonnes de paille de la ville de Poitiers, prévues pour le chauffage.

Madame la Préfète a souligné que les français ont pris conscience, à l’occasion du Covid-19, que se sont les agriculteurs qui nourrissent le pays en produits locaux. Elle a toutefois relativisé ses propos en reprenant les paroles de Monsieur Mercier qui n’a pas pu vendre en temps voulu. Elle a indiqué que l’Europe s’est faite trop vite avec des pays aux niveaux de vie très différents engendrant de facto des concurrences déloyales.

Pour Guillaume Poinot, "le seul revenu de l’agriculteur provient d’une partie de la compensation PAC et parfois rien. Pour les installations, il faut des chiffres de revenu et mettre en avant un projet de vie qui n’apparait jamais. Beaucoup d’agriculteurs cherchent à compenser le manque de revenu par une taille plus grande de l’exploitation, cela se traduit par des investissements lourds et des charges trop importantes de travail". François Criton, agriculteur, pense quant-à lui que "les revenus agricoles sont faussés par l’apport de main d’œuvre des parents, et parfois  des enfants non rémunérés, ce qui permet d’assurer la masse de travail nécessaire pour aboutir à un revenu illusoire qui divisé par la main d’œuvre présente sur l’exploitation est en fait un revenu dérisoire".

Pour le député Turquois, l’isolement de l’agriculteur est un problème. Il indique que pour désamorcer les problèmes de voisinage, il faut inviter les voisins et montrer son travail. En réponse, une intervenante questionne : "Quand vous êtes épuisé, comment vous faites ? Vous accueillez les parents et les enfants en pleurant ?".

Le député agriculteur indique qu’il appartient à la catégorie des agriculteurs qui s’en sortent, il y a selon lui des solutions…*

Une Chambre d'agriculture active

Philippe Tabarin, Président de la Chambre d’agriculture de la Vienne, a renforcé les propos de Guillaume Poinot en indiquant que le revenu était évidemment nécessaire pour assurer la transmission des exploitations, mais qu’il fallait inscrire dans les projets agricoles "un temps de vie" sans lequel il serait illusoire de prétendre conserver des agriculteurs sur le long terme. Il a ensuite présenté les lignes d’action de la Chambre d’agriculture :

  • La Chambre d’agriculture est très à l’écoute des agriculteurs en difficulté, l’association "Fertil" mobilise plusieurs personnels de la Chambre pour les accompagner ;
  • Les résultats agricoles montrent que des différences importantes apparaissent entre les exploitations. Le Président de la Chambre d’agriculture veut faire l’analyse des écarts et en rechercher les causes afin de mettre en œuvre tout ce qui serait possible pour réduire ces écarts.
  • Retrouver de la valeur ajoutée : le blé français a de la valeur ajoutée puisqu’il est produit sans substances interdites, avec des ZNT, et qu'il répond aux exigences environnementales  françaises (rappelons d'ailleurs que les ZNT n'existent qu'en France). Lorsque le marché aligne le prix du blé français sur d’autres blés importés sans traçabilité, les Pouvoirs Publics se rendent complices de concurrence déloyale, puisque dans le même temps ils ne retirent pas ce qui concoure à la distorsion de concurrence, ou ils ne taxent pas les produits déloyaux. Il faut choisir…
  • Il est nécessaire de se réapproprier les outils de transformation, de commercialisation pour ne pas être dépossédés de la valeur de nos produits (mettre en place des "drives", organiser la vente en ligne, favoriser les circuits courts, tout en sachant qu’il est toujours interdit en France de se vendre des céréales entre agriculteurs).
  • Développer des filières innovantes : Miscanthus, méthanisation, agri-voltaïsme, stockage du carbone, etc.
  • Sur le site internet de la Chambre d’agriculture, une page a été créée en 2019 pour faciliter la mise en relation céréaliers/éleveurs pour la paille, le foin.

Philippe Tabarin a ensuite fait un point de situation sur les récoltes en cours, avec une diminution des rendements de l’ordre de 10 à 15 % de la moyenne quinquennale et parfois plus en céréales, avec des prix qui sont ceux d’il y a 30 ans.

MSA schizophrène ?

Un chef de service de la MSA a souligné les efforts entrepris par la "sécu agricole", et il est question d’une cellule vigilante. La MSA envisage également de lancer des formations en fin d’année 2020 pour préparer les "sentinelles". Karyn Thiaudière et Véronique Guérin, élues à la Chambre d'agriculture, précisent tout de même que "pour une personne gravement malade (cancer) l’aide octroyée par la MSA est de 1 heure par jour, c’est-à-dire très peu de chose" et que "pour une personne accidentée du travail, l’aide MSA est de 1500 euros quelque soit la durée de la maladie". Quant à l'aide au répit, Guillaume Poinot déplore que l'enveloppe de 4 millions d'euros de la MSA nationale n'ait pas été reconduite en 2020...

Répondant a une critique de comportement de l’institution, la MSA admet un côté schizophrène lorsque l’agriculteur reçoit un courrier de mise en demeure le matin, et que l’après midi elle appelle ce même agriculteur pour lui demander s’il rencontre des difficultés… Elle répond aussi qu’aller sur le terrain, ce n’est pas forcément rencontrer l’agriculteur en difficulté, mais c’est rencontrer la banque, la Coop, Solidarité paysan.

Les responsables de la MSA ont invité au partenariat les OPA et syndicats agricoles afin d’avancer sur le douloureux problème des suicides en agriculture.

Madame la Préfète a ensuite évoqué  l’observatoire de l’agribashing. Cet observatoire permet de connaître le niveau de malveillance dans la campagne.

Dominique Pipet a rappelé la mort d’un agriculteur, jusqu’alors sans problème, qui a contesté un contrôle. "Il aurait été plus humain de ne pas lui courir après et de le sanctionner si nécessaire par des suppressions d’aides compensatoires PAC".

Le député Turquois  a enfin indiqué la difficulté d’identification des personnes en détresse, et la capacité qui doit être la notre de mettre en route la bonne méthode d’aide. Pour le député, les sujets importants sont le foncier, l’eau, les circuits courts, et aussi un préjudiciable cloisonnement des différentes OPA.

Guillaume Poinot à remercié toutes les personnes présentes, il a remercié Madame la Préfète pour son écoute et son engagement dans la remontée des doléances du terrain. Après les circonstances douloureuses qui ont conduit une nouvelle fois un agriculteur à commettre l’irréparable pour lui-même, le 10 juillet 2020 restera inscrit dans nos mémoires.

*Forte des remarques faites par le député Nicolas Turquois sur la façon de s’en sortir en agriculture, la CR86 sollicitera une visite de la ferme du député pour prendre modèle ou connaissance de ses solutions…

Rapporteur Jean-René Gouron

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