Vente directe, difficultés et opportunités

La vente directe consiste à vendre sans intermédiaire à l’utilisateur final. Elle connaît depuis quelques années un regain d’intérêt auprès des consommateurs soucieux de la qualité gustative et « environnementale » de ce qu’ils mangent : traçabilité, respect des saisons et des terroirs, la vente directe s’inscrit idéalement dans un contexte de recherche du bien manger au meilleur rapport qualité prix. C’est ainsi qu’on a vu se développer des initiatives comme les AMAP (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne), les marchés ou les magasins de producteurs, à tel point qu’on parle désormais de locavores pour qualifier ces consommateurs soucieux de s’alimenter au plus près.

Bien qu’à la mode, le phénomène n’en reste pas moins très marginal : ainsi dans les fruits et légumes, en 2009, la vente directe n’a représenté que 2,1 % des ventes, contre près de 60 % pour la grande distribution (chiffres FranceAgriMer) : la norme reste pour l’agriculteur la vente au grossiste, à la coopérative ou à l’industriel et pour l’acheteur la facilité du supermarché.

L’intérêt : reconquérir des marges

L’un des problèmes majeurs de l’agriculture aujourd’hui, c’est la répartition des marges : les agriculteurs ont le sentiment d’être floués par des transformateurs et des distributeurs qui, malgré leurs plaintes répétées, gagnent très bien leur vie avec les produits d’origine agricole, quand les agriculteurs eux-mêmes ne parviennent plus à couvrir leurs charges et quand les consommateurs se plaignent de prix sans cesse plus élevés. Beaucoup d’intermédiaires ajoutent leurs marges entre producteurs et consommateurs, la vente directe est donc un moyen pour l’agriculteur de « faire son prix » sans avoir à rémunérer tous ces niveaux : la question, c’est de savoir s’il n’y a pas moyen d’obtenir le même service (la commercialisation de ses produits) pour moins cher que ce que proposent ces grossistes, coopératives et autres négociants. Mais attention aux conséquences.

Un investissement rentable ?

En effet, si elle permet de retrouver de la marge, la vente directe réclame de gros investissements, notamment en termes de temps : pour Alain Queyral de la CR24, pionnier dans ce domaine (il est à l’origine du magasin de producteurs la Ferme du Père Igord à Monpazier, lancé dès le début des années 90), il faut compter 1h30 consacrées à la vente pour 1 heure consacrée à la production, souvent aux heures où les consommateurs sont disponibles, c'est-à-dire les soirs et week-ends. Agriculture et commerce sont deux métiers différents et il faut être prêt à assumer les deux, en tenant compte des attentes des consommateurs et de la régularité des débouchés (par exemple dans le cas des cantines, que faire des produits pendant les vacances scolaires ?). Il est impératif pour assurer la réussite du projet de cumuler des compétences comptables, relationnelles et organisationnelles. Pas toujours facile pour une seule personne.
C’est pourquoi le regroupement de producteurs en magasin peut être une solution. Il permet également de contourner les « mauvaises habitudes » des consommateurs qui ne veulent pas courir à droite et à gauche pour avoir tous les produits dont ils ont besoin et ont ainsi tendance à privilégier la solution de facilité du supermarché. Là encore, comme le souligne Alain Queyral, il est impératif de cadrer la démarche avec rigueur et professionnalisme, autour de 2 ou 3 meneurs dotés justement des compétences « commerçantes » nécessaires. Il convient d’anticiper les problèmes avec des règles strictes : planning des permanences, horaires d’ouverture, gestion de la caisse… Les problèmes potentiels sont nombreux et vont bien au-delà de la question du temps. Il faut compter environ 15 à 16 % de frais liés à la structure, voire 25 % si on envisage de prendre un salarié pour gérer la vente.
Face à tous ces contraintes et frais, il est donc important d’avoir bien pensé le projet en amont et d’être sûr de pouvoir compter sur un volant d’activité suffisant pour rentabiliser la structure : la situation du magasin, ses horaires d’ouverture et la clientèle potentielle à proximité sont, comme pour toutes les formes de vente directe, des éléments essentiels à la réussite du projet.

Une réponse aux inquiétudes des consommateurs

Les crises sanitaires, comme la vache folle ou plus récemment le lait mélaminé chinois, ont sensibilisé les consommateurs (au moins une partie) à la qualité de ce qu’ils mangent et à la notion de traçabilité. Les critiques répétées à l’égard de la grande distribution y ajoutent un sentiment de « se faire avoir » qui renforce l’intérêt de la vente directe : en ayant affaire directement au producteur, le consommateur se sent doublement rassuré et il est dans l’intérêt du producteur de renforcer ce sentiment « d’en avoir pour son argent » en capitalisant sur son image : animation, dégustation, explications sur la fabrication… En gros, toutes les recettes (parfois coûteuses) mises en place par les filières pour vendre leurs labels divers et variés ! C’est avec ce type d’outils commerciaux que les producteurs peuvent espérer séduire les consommateurs. Il est donc nécessaire, là encore, de mesurer toutes les exigences de l’exercice et d’être prêt à ajouter le commerce à ses (déjà longues) journées de travail.

Les ventes directes de grains entre agriculteurs céréaliers et éleveurs demeurent interdites, même si la législation s’assouplit. Un agriculteur produisant des céréales est obligé de vendre sa production à un organisme stockeur (OS) qui est seul habilité à prélever les taxes.

Depuis 2 ans, le statut d’OS est accordé par le bureau de FranceAgriMer régional suivant le respect de quelques modalités. Il n’y a plus de contraintes sur la capacité de stockage, mais il faut tout de même disposer d’un pont bascule, d‘un humidimètre et d’un appareil à PS (poids spécifique) homologués, et créer une structure commerciale séparée.
Cette nouvelle modalité, présentée comme assouplie, reste tout de même très sélective. L’amortissement des appareils et la gestion administrative d’une société commerciale sont trop lourds financièrement pour être rentabilisés sur une exploitation agricole moyenne.
La LMA vient d’assouplir les règles d’agrément des OS qui ne sont plus soumis qu’à déclaration.
Mais le monde agricole sait faire preuve de débrouillardise. Voici donc un panorama de quelques moyens de se préserver un embryon de liberté commerciale.

La vente de grains :

Pierre Céréalier traite avec un OS hors zone qui, moyennant 2 ou 3 € la tonne, fait la facture des céréales que Pierre a livrée chez Paul Eleveur. Paul paiera la facture à l’OS qui rémunèrera ensuite Pierre. Pour une telle opération, un surcoût de 3 € est faible par rapport au tarif qui pourrait être appliqué à l’éleveur sur un achat direct dans un OS. Le poste transport est en plus très souvent réduit sur une telle transaction entre deux agriculteurs de proximité.

La vente sur pied :

Si la vente directe de grains est compliquée, rien n’empêche de vendre X ha de blé sur pied. En s’accordant sur 6,5 tonnes de blé par hectare avec un prix de récolte intégré, on peut très bien échanger ainsi des grains de céréales. Attention, dans ce cas, la facture devra être datée préalablement à la récolte.
La vente d’aliment et non plus de graines :
Grâce à un mélangeur, même rustique, un assortiment de blé et orge (à des proportions variables) peut être considéré comme un aliment et non plus comme un lot de graines. Il ne sera pas dans ce cas soumis à une taxation FranceAgriMer et n’aura pas l’obligation d’être vendu par l’intermédiaire d’un OS.
La vente de grains par faible volume :
Il existe une dérogation pour des ventes facturées par voyage de 500 kg sur les cantons limitrophes. Cette mesure pourra amuser ceux qui sont prêts à remplir leur facturier.
Et il y a probablement d’autres solutions : n’hésitez pas à nous en faire part, nous nous ferons un plaisir de les diffuser si leur faisabilité est juridiquement cohérente.

Un réel pas toujours en accord avec la bonne volonté affichée

A travers la LMA ou le Grenelle, le gouvernement semble afficher sa volonté de promouvoir la vente directe. Dans les faits, le propos est à nuancer. Tout d’abord, ces textes évoquent plus volontiers la notion de circuit court que de vente directe : on sent ici l’influence des lobbies agroindustriels, soucieux de conserver leurs marges en jouant toujours les intermédiaires. Le texte de la LMA (en attendant les précisions qui seront apportées par les décrets d’application) qui impose à l’acheteur de proposer au vendeur un contrat menace notamment les carreaux de producteurs sur les Marchés d’Intérêts Nationaux (MIN) et la liberté de commercialisation sur les marchés aux bestiaux.
Derrière les beaux discours, apparaît très clairement la volonté de favoriser le « commerce » au détriment des circuits courts, pourtant plus favorables à une juste rétribution des producteurs. En fait, c’est à se demander pourquoi le ministère maintient officiellement son soutien aux circuits courts de commercialisation, quand, dans la LMA, il trouve aussi le moyen de soutenir et de faire passer une disposition prévoyant que les fruits et légumes frais doivent être accompagnés d'un bon de commande ou d'un contrat de commission. Cette contrainte devrait s’appliquer tant sur les MIN (marchés d'intérêt national), que lors du transport, la seule exception (dont on peut douter qu'elle s'applique un jour) concerne les « ventes en ferme », c'est-à-dire portant sur une quantité définie et conclues à des conditions d'ores et déjà arrêtées, lorsque de telles ventes sont réalisées sur des marchés physiques de gros (circonstances exceptionnelles).
La LMA évoque également, toujours dans le flou en attendant les décrets d’application, la notion d’obligations de capacité, en termes de diplômes ou d'expérience, imposées aux gens qui font de la « distribution de produits alimentaires », une disposition qui pourrait concerner la vente directe et contraindre les personnes concernées à faire une formation en matière d’hygiène alimentaire.

La vente directe est en fait une expression du problème de la répartition des marges en agriculture ; c’est une solution, à condition d’avoir les compétences requises, c'est-à-dire de se sentir commerçant autant qu’agriculteur. C’est pourquoi elle ne peut être une solution pour tous et ne remplacera en aucun cas le nécessaire rééquilibrage des pouvoirs au sein de la filière, un rééquilibrage qui passe, entre autres, par une maîtrise de la production qui redonne du pouvoir de négociation aux agriculteurs face aux transformateurs et aux distributeurs.

En restauration collective, une « discrimination positive » en faveur des denrées de proximité ?

Avec le Grenelle et et la LMA, l’Etat s’est donné comme objectif de recourir, pour 20 % en 2012 (15 % en 2010), « à des produits saisonniers, des produits à faible impact environnemental eu égard à leurs conditions de production et de distribution, des produits sous signe d’identification de la qualité et de l’origine, des produits issus des exploitations engagées dans une démarche de certification environnementale », prenant en compte « des produits faisant l’objet de circuits courts de distribution, impliquant un exploitant agricole ou une organisation regroupant des exploitants agricoles », pour l’approvisionnement de ses services de restauration collective. L’Etat fait ainsi clairement la promotion des circuits courts. Il n’en demeure pas moins que le droit communautaire empêche de favoriser les entreprises « locales », une telle préférence risquant de s’apparenter à une discrimination proscrite… il est par conséquent difficile d’apprécier la portée réelle de tels engagements, d’autant que la notion de « circuit court » est moins restrictive que celle de « vente directe ». On commence néanmoins à voir apparaître des initiatives intéressantes, comme par exemple l’agglomération de Saint-Etienne qui pour la cantine de ses écoles primaires impose depuis 2009 à son prestataire de s’approvisionner au maximum localement et justifie cette clause par les textes du Grenelle, a priori sans souci juridique pour l’instant.

Attention aux conséquences fiscales et sociales

Elles diffèrent selon que la vente directe ne porte que sur des produits de l’exploitation, ou qu’elle porte aussi, comme cela se produit souvent, sur des produits provenant d’exploitations tierces.

Vente directe de produits de l’exploitation seuls

Globalement, il faut partir de l’idée que la commercialisation par vente directe de produits issus de l’exploitation, en l’état ou après transformation, est en principe un acte qui se situe dans le prolongement normal de l’activité agricole. Les bénéfices en découlant sont donc des bénéfices agricoles  (« BA ») et ils entrent dans l’assiette des cotisations sociales de l’exploitant.
Il n’est fait exception à cette globalisation que lorsque l’activité agricole apparaît comme l’accessoire de l’activité commerciale, mais ce cas est assez marginal.
L’assimilation de la vente directe à une activité agricole s’étend d’ailleurs à la TVA, puisque les recettes provenant de la vente de produits agricoles en l’état ou après transformation, y sont assujetties selon le régime simplifié de l’agriculture, et non selon le régime général. 
En matière de cotisation foncière des entreprises (CFE) et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, due à partir de 152 500 € de CA) le législateur a transposé l’exonération dont bénéficiaient auparavant les agriculteurs au titre de la taxe professionnelle.
En matière de taxe foncière, la jurisprudence semble aussi assez clémente, dès lors que les produits commercialisés en vente directe proviennent exclusivement de l’exploitation. Seul bémol : les solutions ne sont pas identiques lorsque la vente directe présuppose une transformation dans des locaux spécifiques. La taxe foncière, l’imposition à la TVA selon le RSA, la CFE et la CVAE s’appliquent alors en principe à ces locaux, dès lors que les moyens qui y sont utilisés sont  ressemblent plus à ceux utilisés par des industriels que par des agriculteurs. En matière de TVA néanmoins, l’imposition selon le RSA n’est pas obligatoire lorsque les moyens utilisés sont d’usage courant pour des agriculteurs dans la région considérée (ex : transformation de lait en beurre, mise en conserve de foie gras).

Vente directe de produits provenant de sa propre exploitation et d’exploitations tierces

S’agissant de l’impôt sur le revenu, les bénéfices tirés de ces activités relèvent en principe des BIC (bénéfices industriels et commerciaux), mais les exploitants au réel peuvent opter pour un rattachement aux BA lorsque les  recettes commerciales ne dépassent ni 30% du CA agricole ni 50 000 euros TTC.  A l’approche de ce seuil, il est fortement recommandé d’anticiper et de créer une structure commerciale distincte, ce qui aura notamment pour conséquence de faire relever ses éventuels salariés du régime général et non de la MSA.

Lorsque c’est une société civile d’exploitation (EARL, GAEC, SCEA, SCL) qui réalise de telles recettes, et bien que ce type de structure n’ait pas le droit d’exercer d’activités commerciales (par ex. achat-revente, prélèvement de commissions sur les produits pris en dépôt-vente), il est fiscalement admis que les résultats de la société soient encore imposés entre les mains des associés en tant que BA et que les profits commerciaux accessoires y soient rattachés, tout du moins tant que  les recettes commerciales TTC ne dépassent ni 30 % du CA agricole ni 50 000 euros.  A défaut, la société doit déclarer et payer l’impôt sur les sociétés (IS). Là encore, la création d’une société distincte (ex : SARL ou SAS) est recommandée.
Pour les exploitants au forfait, de tels bénéfices constituent des BIC non rattachables aux BA.
Concernant la TVA, dans le cas général, l’exploitant est au RSA et ses recettes commerciales accessoires sont imposables distinctement, mais par mesure de simplification on peut les rattacher au RSA tant qu’elles n’excèdent ni 30 % du CA agricole ni 50000 € TTC.  A défaut, l’exploitant peut placer toutes ses activités commerciales sous le régime général. Attention cependant à ne pas perdre par la même occasion  le bénéfice de la franchise en base au titre des activités commerciales. 
S’agissant de la taxe foncière, de la CFE et de la CVAE, il existe un risque sérieux d’imposition et dans les quelques affaires qui sont allées devant les Tribunaux, les juges ont généralement considéré que ce type de taxe était dû dès lors que l’exploitant ne vendait pas exclusivement ses propres produits.

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