Mardi 17 octobre 2023, après deux années marquées par un contexte sanitaire incertain, la jeune association Allo Agri (créée fin 2020 avec le soutien de la Coordination Rurale) avait le plaisir d’organiser sa première Assemblée Générale en présentiel. Après plusieurs mois de préparation, celle-ci s’est déroulée à Bobigny (93), dans le centre des conférences de la Caisse Centrale de la Mutualité Sociale Agricole (CCMSA). Après une matinée d’échanges et de partages entre les membres de l’association, l’après-midi était ouverte à tous. Face à un public composé d’agriculteurs, de journalistes, de responsables administratifs, politiques et professionnels, elle a été rythmée par plusieurs temps forts : conférences, intervention vidéo d’Olivier Damaisin, signature d’une convention de partenariat avec la CCMSA et conférence de presse pour officialiser le déploiement du dispositif à l’échelle nationale. Retour sur cette journée décisive pour l’avenir de l’association.

Bilan de l’année 2022 : retour sur une année déterminante pour Allo Agri

Au cours de la matinée, après l’approbation des délibérations statutaires, comptables et administratives, Max Bauer a, en tant que président d’Allo Agri, dressé le bilan de l’année écoulée : : « Depuis avril 2022, après une courte période de veille, notre association connait une progression constante. En multipliant les envois de courriers, les opérations de communication, les actions de terrain et les rencontres institutionnelles, nous sommes désormais identifiés et reconnus par la quasi totalité des organismes qui gravitent de près ou de loin autour du monde agricole. Notre première phase de déploiement territorial (en Auvergne Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Occitanie) nous aura permis d’acquérir de solides compétences et de perfectionner nos procédés en matière de sensibilisation, d’orientation et d’accompagnement. Nous avons désormais mis au point un cheminement clair et cohérent, qui permet d’assurer une prise en charge rapide et efficace des agriculteurs en situation de souffrance. Ils sont malheureusement de plus en plus nombreux à composer notre numéro. »

Il a profité de l’occasion pour insister sur les réponses à apporter aux éventuelles remarques désobligeantes que pourraient proférer certaines personnes à l’encontre de l’association : « Nous ne sommes pas là pour prendre la place de qui que ce soit. Notre dispositif est complémentaire et compatible avec les organismes déjà existants, qui ont l’ancrage local, l’antériorité et le savoir-faire en matière de prise en charge des agriculteurs en souffrance. Nous souhaitons créer des ponts et des passerelles avec le plus grand nombre de partenaires possibles. C’est dans l’intérêt des agriculteurs que nous nous devons de préserver cette diversité de l’offre. »

Pour clore son intervention, Max Bauer a également souhaité évoquer la récente reconnaissance d’intérêt général de l’association, en vertu de son caractère social et éducatif : « C’est l’aboutissement d’un long cheminement semé d’embûches administratives. Je tiens à remercier toutes celles et ceux qui, avec rigueur et détermination, se sont impliqués de près ou de loin dans les démarches chronophages ayant abouti à cette décision. Il s’agit pour nous d’une fierté, preuve du sérieux et de l’application que nous mettons quotidiennement en œuvre pour mener à bien nos missions. »

Pour conclure cette matinée, un agriculteur ayant bénéficié du soutien de l’association a souhaité prendre la parole publiquement pour évoquer son cas personnel. Son témoignage, poignant, a notamment permis de mettre en avant la difficulté éprouvée pour « franchir le cap » et accepter de faire appel à une aide extérieure. Après avoir pris la décision courageuse de composer le numéro d’Allo Agri, il explique avoir fortement apprécié l’écoute active qui lui a été apportée. Orienté auprès des bons interlocuteurs au sein de son département, il a pu bénéficier d’un accompagnement personnalisé qui, d’après ses propres mots, lui a permis de pouvoir enfin « sortir la tête de l’eau après une succession d’années catastrophiques. »

Pour sa part, Thierry-James Facquer, administrateur de l’association, a présenté quelques unes de ses réflexions aux participants. Pour lui, la feuille de route interministérielle sur la prévention du mal-être en agriculture ne doit pas se cantonner à l’accompagnement des agriculteurs en détresse (sans minimiser en rien l’importance de ce volet) mais également s’intéresser la prévention, et donc s’attaquer aux causes profondes du mal-être agricole. Il a présenté la chaîne causes-effets dans laquelle s’inscrit le mal-être agricole, considéré comme une défaillance qui entraîne des effets (dépression, pulsions suicidaires, ect.), mais qui est lui même provoqué par des causes directes (problèmes économiques, solitude, dénigrement de la société, etc), ou des causes indirectes (politique agricole, décisions administratives, etc).

Mal-être : Approche psychosociale pour favoriser la détection des risques et proposer une prévention efficiente

L’après-midi, après un mot d’introduction de Max Bauer, l’après-midi a débuté par une intervention de François-Régis Lenoir, docteur en psychologie sociale, philosophe et paysan.

Au cours des dernières années, monsieur Lenoir constate que les conditions d’exercice de la profession agricole ont drastiquement changées. Si le mal-être est toujours la résultante de causes multifactorielles, il est tout de même possible de distinguer deux bases principales :

  • Le mal-être se crée tout d’abord lorsque les modifications exogènes entrainent une altération du jugement que l’individu porte sur lui-même, lorsque les éléments extérieurs bouleversent ces normes (changement climatique, regard de la société, évolution des obligations, etc.),
  • Le second volet se caractérise par la privation ou la restriction du champ des libertés. D’un côté, le caractère obsessionnel du travail peut conduire certains agriculteurs à négliger les autres sphères de vie, ce qui peut avoir pour conséquence d’exacerber les risques psychosociaux. D’un autre côté, plus les agriculteurs présentent des sphères de vie et des dimensions psychosociales dynamiques, moins ils souffrent du stress et plus le management de leur exploitation est salutogénique : ils sont alors indépendants face à leur histoire (caractère transgénérationnel) et ne se perdent pas dans une stratégie de faire face seulement axée sur le travail.

Pour l’intervenant, de part le stress qu’il génère, le temps de la transmission de l’exploitation apparait comme un enjeu déterminant dans le parcours personnel et professionnel de l’agriculteur. D’une part, il s’agit de penser à la pérennité d’un outil de travail auquel on est crucialement attaché, de l’autre, il faut accepter de plonger dans l’inconnu, avec toutes les incertitudes que cela suppose. Lorsque la transmission ne peut pas être assurée, il s’agit encore d’un problème différent. Au plan organisationnel, l’exploitation agricole est une entreprise particulière, souvent familiale. En cas de célibat, les risques psychosociaux dépassent l’isolement affectif : il génère un quotidien de surtravail et centre le psychisme sur le sentiment d’échec procuré par la compromission de la transmission transgénérationnelle.

Le psychologue a ensuite insisté sur la nécessité de favoriser le processus de détection précoce, bien que l’on soit actuellement au début du questionnement sur le sujet. D’après lui, « plus les rhumes et les cancers de la santé mentale seront détectés précocement, plus les chances de guérisons seront élevées ». En agriculture, l’organisation ainsi que la réflexion sur les variables qui apportent une valeur ajoutée, comme par exemple les relations inter-exploitations, le travail en équipe, la stratégie, sont des facteurs potentiellement salutogéniques pour une prévention des risques psychosociaux, voire un levier de bien-être.

Il regrette le tabou qui entoure la santé mentale : « Lorsqu’un individu se casse le poignet, on sait exactement comment le prendre en charge. Lorsque cette même personne évoque des pensées suicidaires, tout devient beaucoup plus compliqué, plus dérangeant. » Grâce à l’existence d’associations comme Allo Agri, il note une démarche de conscientisation positive. Pour lui, il est nécessaire de multiplier l’offre existante : « les patients peuvent changer de médecins généralistes s’ils ne sont pas satisfaits. En matière de soutien psychologique, il faut leur laisser la possibilité de choisir le dispositif qui leur convient le mieux. »

Enfin, dans le processus d’écoute, François-Régis Lenoir attire l’attention des participants sur le fait qu’il existe des biais cognitifs sur la manière dont la situation est vécue et la manière dont la situation est évoquée par l’interlocuteur.

CCMSA : prévention, détection, orientation et accompagnement des agriculteurs en difficulté

Magalie Rascle et Frédérique Jacquet-Libaude, respectivement directrice déléguée aux politiques sociales et responsable du programme de prévention mal-être de la CCMSA, ont pris le temps de présenter les principaux dispositifs déployés par la MSA en matière de prévention, de détection, d’orientation et d’accompagnement des agriculteurs en difficulté.

La CCMSA constitue, avec son réseau de 35 caisses de MSA, le deuxième régime de protection sociale en France. À ce titre, la MSA gère l’ensemble de la protection sociale obligatoire des non-salariés et des salariés agricoles : risques maladie, maternité, invalidité, accidents du travail et maladies professionnelles, vieillesse (retraite, décès), prestations familiales (y compris les prestations logement et les minimas sociaux) ainsi que la retraite complémentaire des exploitants agricoles.

Depuis la mise en œuvre du pacte de consolidation et de refinancement de l’agriculture (4 octobre 2016), la MSA est positionnée par les pouvoirs publics comme point d’entrée privilégié pour « faciliter les démarches des agriculteurs en difficultés et identifier les dispositifs les plus appropriés pour répondre à leurs besoins ». Elle intervient auprès de ses adhérents qui se trouvent en situation de mal-être, issue de difficultés multifactorielles : professionnelles, personnelles, économiques ou encore sociales ; difficultés qui peuvent conduire jusqu’au suicide.

Missionnée pour piloter les plans de prévention du suicide des agriculteurs depuis 2011, la MSA a développé plusieurs dispositifs au fil des ans, à savoir :

  • 2011 : pilotage par la MSA du premier plan de prévention du suicide des agriculteurs, missionnée par le ministère de l’agriculture ;
  • 2012 : mise en place progressive des CPP (cellules pluridisciplinaires de prévention) suicide ;
  • 2013 : première formations « Sentinelles » ;
  • 2016 : pilotage par la MSA du deuxième plan de prévention du suicide des agriculteurs, lancement d’ESOPT (Et Si On Parlait du Travail ?) ;
  • 2017 : lancement de l’aide au répit ;
  • 2021 : lancement du programme de prévention du mal-être agricole de la MSA et du plan interministériel de prévention du mal-être et d’accompagnement des agriculteurs en difficulté.

De la prévention à l’accompagnement, zoom sur les différents dispositifs existants :

  • ESOPT : démarche de prévention primaire des risques psychosociaux (RPS) mise en place par la MSA pour favoriser le dialogue chez les exploitants. En accompagnant les agriculteurs et les entreprises, la MSA aide à prendre conscience du lien travail / santé. L’organisation du travail et la valorisation des salariés permettent d’équilibrer performance économique et bien-être. En 2020, 1655 situations préoccupantes ont pu être signalées par ce biais (70% d’hommes, 30% de femmes).
  • Les caisses de MSA se sont dotées depuis 2012 de cellules pluridisciplinaires de prévention (CPP) du suicide, qui réunissent plusieurs métiers dont l’action sanitaire et sociale, le contrôle médical et la santé sécurité au travail. Les CPP mal-être permettent d’accompagner les assurés MSA en grande détresse qui leur sont signalés, de manière transversale et personnalisée. Regroupant des acteurs du front office, des cotisations et du recouvrement ainsi que des métiers, ces cellules permettent un accompagnement global et une action coordonnée de lutte contre le mal-être. Les CPP mal-être peuvent gérer des dossiers individuels, rediriger vers des acteurs compétents et également proposer un outillage au personnel des MSA sur la gestion de situations de mal-être agricole.
  • L’aide au répit : deux leviers d’action sont mobilisés : des aides au remplacement sur l’exploitation pour les non-salariés (permettre un temps de pause par rapport à leur activité) et des actions de prévention et d’accompagnement au répit pour les salariés et non-salariés (agir sur le syndrome de l’épuisement, encourager la prise de recul, etc). En 2022, 3 911 affiliés ont bénéficié de ce dispositif.
  • Le dispositif Agri’écoute est un numéro de téléphone unique (09 69 39 29 19) à disposition des assurés MSA en grande détresse et joignable 24h/24, 7 jours/7. Lancé en 2014, le service fonctionne avec la collaboration du prestataire Empreinte Humaine (depuis 2021), partenaire privé d’écoutants professionnels psychologues cliniciens. Ce prestataire mobilise jusqu’à 30 psychologues formés aux spécificités de la population agricole. Agri’écoute peut ainsi proposer jusqu’à 5 rendez-vous téléphoniques avec un même psychologue dédié, ainsi qu’une plateforme de discussion en ligne (tchat, mail et visio-consultation) permettant la prise de rendez-vous. En 2022, Agri’écoute a été sollicité en moyenne plus de 250 fois par mois (14% des appels donnent lieu à un suivi psychologique). Le secteur de l’élevage est le plus marqué. Actuellement, les appelants sont nombreux à indiquer être excédés et remettent en question leur orientation professionnelle.
  • Le réseau des sentinelles : Ce réseau est composé de bénévoles et de professionnels volontaires, en contact avec le monde agricole (retraités, conseillers en prévention, élus, travailleurs sociaux, vétérinaires, etc.) ayant disposé d’une formation animée par un professionnel et rattachée à l’ingénierie proposée par l’ARS. Le réseau des sentinelles est présent sur l’ensemble du territoire national et a pour principale mission de repérer et orienter les agriculteurs et travailleurs agricoles en situation de mal-être, voire en risque de crise suicidaire. Les réseaux locaux de sentinelles sont animés par les caisses locales de MSA, qui encouragent un partage d’expériences et le développement d’un outillage adapté à la prévention du mal-être. Plus de 3 500 « sentinelles » sont actuellement actives, l’objectif étant d’atteindre le nombre de 5 000 avant la fin de l’année 2023.

Signature d’une convention de partenariat Allo Agri / CCMSA

À l’issue de cette présentation, Max Bauer et Madame Rascle ont signé une convention de partenariat entre leurs deux structures. Celle-ci a pour objet d’optimiser la complémentarité des actions respectives de la MSA et d’Allo Agri.

Les deux parties ont pour objectifs communs de :

  • S’associer sur des actions d’information, de communication et de promotion en interne et auprès de leurs réseaux respectifs,
  • Renforcer la coordination et assurer la meilleure articulation dans la prise en charge de situations de mal-être en local, dans le respect des règles de confidentialité. Pour Allo Agri, cela se traduit notamment par la possibilité de disposer du fichier de contacts des responsables du programme de prévention du mal-être agricole au sein de chacune des 35 caisses locales MSA, à l’échelle du territoire national.

Mot de clôture d’Olivier Damaisin, Coordinateur national interministériel du Plan de Prévention du mal-être en agriculture

Ne pouvant être présent en raison d’une contrainte d’agenda, Olivier Damaisin a souhaité adressé une vidéo. Celle-ci a été diffusée en conclusion de cette belle journée d’échanges et de partages.

 

Allo Agri annonce son déploiement à l’échelle nationale

Lors de la conférence de presse qui s’est tenue à l’issue de la journée en présence de plusieurs journalistes (Terre Net, Agrapresse, la France Agricole, etc), Max Bauer et Thierry-James Facquer ont annoncé à la presse le déploiement du dispositif à l’échelle nationale.

Après une phase de lancement à compter du 31 octobre 2023, l’objectif est d’être « complètement opérationnel à partir de janvier 2024 » précise Max Bauer. Les deux mois à venir devront permettre de procéder à tout ajustement nécessaire au fonctionnement optimal du dispositif.

 

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