Tracteur sécheresse

Le mois de mai 2011 s’est révélé le plus sec des 50 dernières années. La pluviométrie a entamé son retour, plus ou moins timidement, sur une bonne partie du territoire, mais ces pluies n’ont pas permis de reconstituer les réserves (eau des sols, réserves collinaires, nappes phréatiques). Pour la plupart des cultures d'hiver (céréales, pois, colza), les rendements seront irréversiblement revus à la baisse dans de nombreuses régions.

Ce constat étant fait, que faire pour ne pas laisser sombrer l’agriculture encore un peu plus dans la crise ?

La sécheresse sur le terrain

Une situation hydrologique très critique

Le Comité sécheresse du 30 juin avance un déficit d'eau de 60 %. Fin juin, 60 départements étaient concernés par des restrictions d’eau. Pour nombre d’entre eux, ces restrictions s’appliquent aux irrigants, empêchés de préserver leurs productions estivales de la sécheresse.

Qui induit de grosses pertes de production

Le déficit fourrager français est sans précédent et s’élève selon l’Institut de l’élevage à 15 millions de tonnes de matière sèche, sans tenir compte des pertes éventuelles sur le maïs ou d’autres fourrages cultivés ! Ce déficit qui représente environ le tiers de nos besoins, ne pourra a priori pas être compensé par la mobilisation de paille (dont la baisse de production est évaluée à au moins 30 % et qui couvrira au mieux la moitié des besoins si elle est complémentée). Toutes solutions confondues, le coût pour compenser ce déficit fourrager est estimé à plus de 2 milliards d’euros.

Les éleveurs n’ont pas d’autre choix que de puiser dans leurs réserves d’hiver, de moins nourrir leurs bêtes et de les faire abattre plus tôt, et les céréaliers annoncent dans certaines régions des rendements deux fois moindres qu’habituellement. Le ministère réunit chaque semaine un Comité national sécheresse, censé analyser la situation pour prendre les décisions qui s’imposent afin de soutenir au mieux les agriculteurs. La CR y participe activement pour faire valoir ses analyses et propositions de bon sens.

Des actions de solidarité...

Mais la CR est aussi présente sur le terrain et participe comme en 2003 à des opérations de solidarité vers les éleveurs (voir encadrés ci-après). Elle propose notamment aux agriculteurs disposant de paille ou de fourrage de s’inscrire sur son site internet (www.coordinationrurale.fr) afin d’être mis en relation avec les éleveurs en manque de fourrage.

La solidarité à la CR

Deux exemples qui illustrent les nombreuses actions solidaires qui se sont mises en place, partout en France :

Solidarité interdépartementale entre l’Eure-et-Loir et l’Orne

La CR61 participe à l’opération « Orne Solidarité Sécheresse ». La CR28 a appelé à la solidarité et a demandé à chaque agriculteur de son département d’engager un pourcentage de sa surface pour aider leurs amis éleveurs. En effet, les éleveurs de l’Orne ont effectué une récolte de foin inférieure de 50% à la normale et recherchent 35 000 t de paille.

Don de paille du Gers vers l’Aveyron

Le Trésorier de la CR32 a donné 92 ha de paille à des éleveurs de l'Aveyron, qui s’étaient inscrits sur le site internet de la CR à la bourse à la paille et au fourrage. Bruno Bodart, qui met en avant le mutualisme de nos grands-parents, a fourni gratuitement cette paille qu'il broyait habituellement pour amender ses sols. Même si la sécheresse affectera ses rendements, il faudra a priori environ 17 tours de camion pour ramener la paille en Aveyron, après l’avoir bottelée.

...Et des coups bas

Hélas, la détresse des éleveurs fait naître la convoitise d’intermédiaires peu scrupuleux et est notamment l’occasion pour certains syndicats de recruter de nouveaux adhérents, en leur réservant les opérations de solidarité. Alors que la CR avait milité en faveur de la coordination des actions de solidarité par les Chambres d’agriculture, au nom de leur mission de service public, on voit dans de trop nombreux départements la Chambre « sous-traiter » en redirigeant les demandes vers la FDSEA.
Pour certains, le militantisme dans l’intérêt général a fait long feu...

Les contraintes et assouplissements réglementaires

Heureusement, l’administration ne reste pas totalement sourde à la détresse du monde agricole et a accordé des assouplissements réglementaires. Il vous faudra contacter la DDT et souvent transmettre le justificatif adapté (bordereau de modification d’assolement, déclaration de mise en place d’une culture dérobée sur papier libre, etc.).

Parcelles en gel fauchées ou pâturées depuis le 11 mai

C’est autorisé pour soi ou d’autres éleveurs. Les surfaces pourront compter dans la surface équivalent topographique (SET). Cela concerne aussi les parcelles déclarées en gel dans le cadre de la MAE « COUVER08 - Amélioration d'un couvert déclaré au titre du gel ».

Dérogation aux interdictions d’irriguer

Les préfets rechignent à lever les restrictions pour les irrigants qui produiront du maïs ensilage, la CR leur rappelle donc la nécessité de déroger rapidement.

MAE rotationnelle (MAER)

Les accidents de culture (impossibilité d’implanter ou non levée) ou modifications d’assolement liés à la sécheresse doivent être déclarés auprès de l’administration, qui a eu pour consigne de les considérer comme cas de force majeure. Ainsi, la MAER sera bien versée, la culture initiale figurant dans la déclaration PAC étant prise en compte pour la vérification du cahier des charges.

Mesure Système Fourrager Econome en Intrants (SFEI)

A titre dérogatoire, le niveau d'achat de concentrés peut être dépassé de 40 % : la limite maximale passe donc à 1 120 kg/ UGB bovine et équine et à 1 400 kg/UGB ovine ou caprine. Aucune démarche n’est à faire.
La part maximale en maïs consommé (18% de la surface fourragère) sera examinée sur la base de la déclaration PAC et non sur la situation réelle.

PHAE et CAD herbagers

1) Prairies permanentes

Le retournement des prairies permanentes (PP) engagées en PHAE reste interdit. Mais le préfet peut accorder une dérogation au cas par cas si la totalité de la Surface Fourragère Principale de l’exploitation est engagée en PHAE.
Une condition est de s'engager à y implanter à la place une culture fourragère dérobée. Il faudra ensuite remettre en herbe les parcelles, sinon le contrat sera résilié.
Pour les PP dégradées, il est possible de réaliser un travail superficiel du sol, pour reconstituer le couvert . Aucune démarche n’est à faire.

2) Prairies temporaires

Il est possible de retourner et/ou déplacer les prairies temporaires (PT) au delà du seuil des 20% de la surface engagée, mais seulement si une culture fourragère est implantée à la place.

Que ce soit pour les PP ou les PT, il faudra faire une déclaration de modification d'assolement auprès de l’administration.  Enfin, vous avez la possibilité d'apporter au maximum 50 unités d'N si le couvert reste en PT et 40 unités d'N en cas d'implantation d'une culture fourragère dérobée . Cela sera consigné dans le cahier d'enregistrement.

Dérogations pour l’utilisation d’alimentation non biologiques pour des animaux d’élevage bio

Pour les herbivores, des priorités quant à la qualité des fourrages sont établies :

  1. les productions fourragères d'une exploitation en 2ème année de conversion
  2. celles d'une exploitation en 1ère année de conversion
  3. celles issues de fermes conventionnelles, avec la part des aliments non bio inférieure à 50%.

La meilleure qualité possible sera réservée aux "animaux en production" (que sont les autres animaux ?!!!). En clair, les éleveurs bio peuvent nourrir les animaux avec le « meilleur » fourrage qu’ils trouvent, même s’il provient d’une exploitation conventionnelle (dans la limite évoquée).
Pour les monogastriques (volailles et porcs), la part maximale de céréales venant d'exploitations en conversion passe de 30 à 45 %. Il est possible jusqu’au 31/12/2011 d’utiliser jusqu’à 5% d’aliments conventionnels.

Dans tous les cas, il faut demander une dérogation individuelle à l’organisme certificateur.

Versement anticipé des aides

Certaines aides de la PAC seront versées à la mi-octobre, au lieu de décembre :

  • 80% de la PMTVA
  • 50% des DPU
  • 50% de l’aide aux ovins et de l’aide aux caprins.


La PMTVA ne peut être versée que si l’on justifie en face d’animaux éligibles. Or, les abattages induits par le manque d’alimentation risquent de poser problème aux éleveurs en cas de contrôle. L'UE prévoit des dérogations en cas de catastrophe naturelle grave et notre sécheresse rentre bien dans cette catégorie, mais comment prouver que les abattages des animaux sont bien liés à la sécheresse (l'effet n'est pas direct, contrairement à une inondation qui noie le bétail par exemple) ? Pour la CR, les textes sont mal faits et il faut les changer, mais ce n’est bien entendu pas l’opinion du ministère, qui compte jouer sur les animaux qui n'ont pas de droit à prime, en espérant que cela suffira.
Ce raisonnement ne tenant pas à titre individuel, le ministère propose donc de mettre en place des critères de dérogation pour ceux qui n’auront pas assez d’animaux non primés. La CR a refusé la proposition de réserver les dérogations à ceux qui auraient bénéficié du PSEA, mais les discussions restent en cours.

Report de versement des cotisations MSA

Les agriculteurs particulièrement touchés par la sécheresse (éleveurs en priorité) peuvent demander un report de leur 2ème appel provisionnel de cotisations 2011 (juin/juillet). Ce report ira au minimum jusqu’après l’été et des possibilités de prise en charge de cotisations (soumise au plafond de minimis de 7500 € sur 3 ans) seront étudiées à l’automne.

Les annonces de Sarkozy en Charente : décryptage et déceptions

Si l'opinion publique, relayée par le président de la FNSEA arrivé en Charente dans l’avion présidentiel, a accueilli avec satisfaction cette annonce, il en est différemment des agriculteurs qui ont décrypté la portée réelle des mesures proposées par l'Etat.

Report des emprunts : uniquement pour les 25 000 éleveurs déjà bénéficiaires du PSEA

Le Plan de Soutien Exceptionnel à l’Agriculture (PSEA) était surtout destiné aux céréaliers touchés par la baisse des prix de 2009 et avait laissé beaucoup d’agriculteurs au bord du chemin. En fait, l'annonce du décalage d’un an du remboursement des prêts accordés dans ce cadre ne concernera que les éleveurs et en nombre très limité (environ 25 000 exploitants). Cela est dérisoire et aggravera l’an prochain la situation de ceux qui en bénéficieront. Il faut savoir que l'endettement moyen des agriculteurs est estimé à 148 000 €.
Pour l'accès à ce PSEA, la difficulté est de savoir ce qui détermine la qualité de l’éleveur et l’administration n’a pas à ce jour déterminé les critères. La CR a proposé que cela soit basé comme pour l’ICHN, sur un nombre d’UGB supérieur ou égal à 3. Cela devrait permettre de n’exclure personne.

Des calamités agricoles peu généreuses

Quant à l’abondement de 200 millions d’euros du Fonds national de gestion des risques en agriculture (ancien Fonds de garantie des calamités agricoles), il ne permettra pas, contrairement à ce qu’affirme le ministre Bruno Le Maire, de bien indemniser les pertes.
D’une part, il ne concernera que les éleveurs. De plus, pour les fourrages, le taux d'indemnisation est de 28 % des pertes, qui seront estimées à partir d’un barème départemental. Outre les subtilités de calcul du déficit fourrager, c'est donc très loin d'une indemnisation totale !

Ainsi par exemple, d’après un calcul rapide pour une exploitation en viande bovine de 60 vaches allaitantes avec 40 % de perte sur la centaine d’hectares de productions fourragères (herbe et maïs fourrage), on pourrait avoisiner une perte de 15 000 € (sans compter les conséquences du manque d’alimentation pour les animaux). Cela donnerait donc dans le meilleur des cas une indemnisation inférieure à 5 000 € !

Quant aux céréaliers, ils devront passer par l’assurance récolte... pour ceux qui auront fait le choix de la contracter et aussi pour ceux qui ne se la seront pas vu refuser pour une question de délai imposée au dernier moment. Pour les autres, aucune indemnisation n’est prévue.

Attention, le ministère a prévenu : il ne faudra pas présenter des dossiers calamités avec des pertes surestimées, car les allers-retours habituels ne se feront pas et ces dossiers seront définitivement refusés. D'où l'importance de présenter des dossiers crédibles. Les dossiers de demande de reconnaissance déposés par les départements seront étudiés à partir du 12 juillet, pour un début des versements au 15 septembre.

Des questions restent en suspens

- Exonération de taxe sur le foncier non bâti :
Aucune précision n’est donnée à ce jour hormis le fait qu’elle concernera les zones sinistrées. On ne sait pas si elle sera ouverte à tous les agriculteurs.

- Transport de paille :
Il semble qu'on aille vers un transport routier à 90 %  (si ce n'est 99 % !). Sarkozy avait annoncé la gratuité des frais de péage, on attend en fait une rencontre entre le ministère des transports et les sociétés d'autoroute pour envisager des tarifs étudiés...
Il était prévu que la SNCF affrète 10 trains par semaine (500 T /train) pour un coût de 40-50 €/T de paille. Pour la CR, vu le coût et le fait de devoir charger puis décharger, il y a peu de succès en perspective. En outre, 5000 T / semaine par rapport aux 5 ou 6 MT au minimum pour couvrir les besoins, il va falloir du temps !

Enfin, l'administration reconnaît qu’évoquer le fret maritime ou fluvial est purement théorique, car les bateaux y sont en fait inadaptés.
Reste l’intervention de l’armée annoncée en grande pompe : ce sera sans aucun doute une opération de communication importante, mais cela ne concernera que 350 T de paille transportée par 20 véhicules, sur un trajet encore à définir.

Nos contre-propositions : il est urgent d’agir !

Chaque semaine, un "comité sécheresse" se réunit à Paris pour faire le point sur la situation. La CR, très impliquée dans ces réunions se veut force de propositions. Elle demande la mise en application d’un ensemble de mesures, destinées, au minimum, à contenir l’impact de la sécheresse sur l’ensemble des producteurs, sans lesquelles une catastrophe économique et sociale serait certaine.

1) Par un allègement des charges de trésorerie

  • Exonération de la TFNB (Taxe Foncier Non Bâti) pour tous les agriculteurs touchés par la sécheresse ;
  • Report des annuités financières de prêts en fin de tableau de remboursement.
  • Cautionnement par Unigrains ou Sofiprotéol des prêts des agriculteurs à qui la banque les refuse pour insuffisance de garantie.
  • Prise en charge des cotisations MSA à titre exceptionnel pour 2011.
  • Rallongement des découverts bancaires (au minimum 10 %).

2) Par la gestion de la relation céréaliers / éleveurs incluant le transport des fourrages

  • Les Chambres d’Agriculture doivent assumer leur devoir de service public et mettre en relation l’offre des céréaliers et la demande des éleveurs au niveau local, régional et interrégional via l’APCA, dans le respect du pluralisme syndical. A cet égard, la CR doit être intégrée à la cellule logistique de transport de la paille qui a été créée au niveau national.
  • L’Etat doit apporter son aide financière au transport de la paille et des fourrages.
  • Le prix de la paille (bottelée) raisonnable en sortie de champs se situe aux alentours de 40-50 €/T. C’est cette référence qui doit permettre de déceler et dénoncer les abus spéculatifs dans la situation actuelle très grave que nous traversons.

3) Par la mise en place d’un « aliment sécheresse »

  • Réquisition des sous-produits industriels agroalimentaires (mélasse, pulpe de betterave, drèches de blé et de maïs, déchets de haricots verts…) et des céréales destinées aux biocarburants pour faire l’apport énergétique de l’aliment sécheresse et enrayer toute spéculation. En effet, la paille n’est que le support de l’alimentation animale qu’il faudra compléter par des aliments plus énergétiques.
  • Prise en charge par l’Etat des frais occasionnés par la suspension de l’activité des unités de fabrication d’éthanol, grâce aux gains liés à la non-défiscalisation de ces biocarburants.
  • Vigilance de l’Etat vis-à-vis des spéculations éventuelles sur les sous-produits alimentaires et vis-à-vis de la traçabilité, empêcher l’incorporation d’ingrédients pouvant être dangereux pour les animaux ou la consommation humaine (sous-produits, déchets divers, farines animales, traçabilité OGM, etc.). L’éleveur est en effet responsable de l’alimentation donnée au bétail.
  • Possibilité pour un céréalier de vendre directement sa production à un éleveur sans être tenu de passer par un organisme stockeur agréé.

4) Par des aides d’urgence pour les filières d’élevage

  • Mise en place de mesures de stockage de viande pour éviter la surcharge des marchés.
  • Suspension pour 2011 des contrôles de chargement des surfaces en bétail.
  • Suppression de l’application de la modulation sur les aides animales, pour 2011.

5) Par des aides aux céréaliers

  • Autoriser l’échange de semences de ferme entre agriculteurs en vue des semis d’été et d’automne
  • Favoriser comme le demande la CR depuis toujours, la création de retenues collinaires afin de permettre aux agriculteurs de prévenir la sécheresse, plutôt que de tenter d’en gérer les conséquences désastreuses.
  • Accorder une dérogation à l’obligation d’implanter des CIPAN compte tenu de l’état de grande sécheresse des terres.
  • Accorder une dérogation à l’interdiction d’irriguer aux producteurs qui, à la place du maïs grain, feraient du maïs ensilage et le contractualiseraient avec des éleveurs.

 

Il est important de noter que ce n’est pas parce que les rendements des grandes cultures seront faibles que les prix seront hauts cette année. Avec les manipulations qui sont opérées sur les marchés, il se pourrait même que ce soit l’inverse… Ainsi, chute de rendement et cours bas se combinant, on risque fort d’aller vers une période très difficile pour les producteurs de grains, en plus des éleveurs.

Cette sécheresse met en évidence qu’il est indispensable de rendre aux agriculteurs des perspectives par des prix rémunérateurs afin qu’ils puissent assumer seuls les aléas climatiques inhérents à leur profession.

La CR rejette toute tentative de division ou de mise en opposition des céréaliers et des éleveurs. C’est à la PAC de redonner une cohérence aux prix agricoles (basés sur les coûts de production) pour permettre à tous les types de production de vivre correctement de la vente de leurs produits. Pour cela il faut considérer que la valeur guide doit être celle du blé et que les prix des autres produits doivent découler du prix du blé.

L’action publique est non seulement indispensable et urgente mais tout à fait possible. La situation financière des agriculteurs est catastrophique et bloque purement et simplement le fonctionnement normal de leur exploitation.

 

 

 

 

 

 

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