350 € c’est le revenu mensuel moyen pour près de 50 % des agriculteurs

139 € / 1 000 litres ce sont les pertes supportées par un éleveur laitier de plaine, en 2016, d’après l’Observatoire des prix et des marges (coût de production de 442 € et prix de vente de 303 €).

0,03 € c’est la part qui revient à l’agriculteur, sans couvrir son coût de production, sur les 90 centimes d’euros que coûte une baguette de pain

À chacun sa part du gâteau ?

La revente à perte est interdite aux commerçants, à l’exception des périodes de soldes. Mais la vente à perte par le producteur, également achat prédateur par le client, étant elle autorisée, force est de constater qu’en agriculture c’est tous les jours les soldes !

Les prix de vente des produits agricoles, y compris les aides compensatoires et les produits joints, sont inférieurs aux coûts de production. Les industriels, la grande distribution et la filière de la restauration hors domicile (RHD) ont recours aux importations privilégiant le moins-disant, qui constituent pour eux la référence. Malgré la mise en avant de la qualité de la production française, le facteur prix prédomine et la situation s’aggrave. La France est le pays le plus durement touché par la crise agricole, avec des coûts de production élevés liés au niveau des cotisations sociales, des normes sanitaires, environnementales, fiscales… Mais peu à peu, les producteurs d’autres pays de l’Union européenne, pourtant montrés en exemple, finissent eux aussi par s’enfoncer dans les mêmes difficultés. Au-delà des pays tiers, nos productions se concurrencent au lieu d’être complémentaires. Cette crise grave n’est pas conjoncturelle mais bel et bien structurelle, et fait suite à un empilement de mauvaises orientations de la PAC depuis 1992. Cependant, certains acteurs de la filière s’en sortent mieux que d’autres… Un rapport de l’Observatoire de la formation des prix et des marges (OFPM) révèle ainsi qu’en 2016, quasiment tous les secteurs observés ont produit à perte et que dans ce contexte difficile, les agriculteurs sont considérés par les transformateurs et distributeurs comme la variable d’ajustement leur permettant de tirer leur épingle du jeu dans cette guerre des prix. Pour preuve, ces deux maillons de la filière préservent des marges positives malgré une conjoncture peu favorable. Prenons l’exemple du lait demi écrémé bio vendu en grande surface : la marge des industriels a augmenté de 10 % et celle de la grande distribution de 8 %, alors qu’en parallèle le prix payé aux producteurs diminue. Cherchez l’erreur !

Le prix, le nerf de la guerre !

Différentes causes mais la même galère : aucune production n’est épargnée par cette course aux prix bas...

Du côté du lait, un récent rapport de l’OFPM révèle que le coût moyen de production atteint 364 € les 1 000 litres (hors rémunération de la main-d’œuvre) et qu’un montant de 450 € les 1 000 litres permettrait de rémunérer les producteurs à 1,5 Smic. À quelques exceptions près, les prix actuels, tout comme ceux revendiqués par certains à 340 € les 1 000 litres, sont bien loin de le permettre. Ces 450 €, la section Lait de la Coordination Rurale les revendique depuis plusieurs mois et l’inscrit dans une défense commune avec l’EMB de la préférence communautaire et de la recherche d’un équilibre offre/demande à l’échelle européenne.

La viande bovine a elle aussi souffert de la libéralisation du marché laitier. Les espoirs déçus de la fin des quotas ont entraîné un afflux d'animaux issus de réforme laitière sur le marché de la viande. De cette situation d'excédent, c'est le milieu de la filière qui tire son épingle du jeu. À partir de 2014 le coût entrée abattoir ne cesse de baisser alors que le prix sortie industrie et le prix au détail sont restés relativement stables. C’est pourquoi, la section Viande de la CR a demandé une révision du droit de la concurrence qui permette de rééquilibrer le rapport de force entre les producteurs et l’aval de la filière. Ce rééquilibrage doit aller au-delà de la contractualisation bipartite, qui ne sert qu’à sécuriser l’approvisionnement de la transformation. De plus, la distribution doit être intégrée dans la négociation des contrats pour garantir davantage de transparence tout au long de la filière. Il ne s'agit pas d'opposer les deux productions, mais au contraire de souligner qu'il faut une approche inter-filière de la régulation.

Depuis mars 2011, le recours à des contrats-types pluriannuels dans la filière fruits et légumes est obligatoire. Le législateur avait voulu aider l’agriculteur à peser sur la négociation contractuelle, lui assurer des débouchés durant 3 ans et un revenu, mais si l’idée est louable, la solution mise en œuvre n’est pas adaptée à un marché de l’ultra-frais. D’une part, les producteurs fonctionnent souvent en confiance depuis des années avec leurs acheteurs. D’autre part, ce ne sont pas forcément les producteurs indépendants les plus mal rémunérés. Il y a là matière à réfléchir, et l’obligation d’un contrat, paradoxale par rapport à la base juridique du contrat qui repose sur la liberté des contractants, n’est pas forcément une sécurité lorsque tout le monde en a un. Le vrai souci des fruits et légumes repose surtout dans la dérégulation du marché, les concurrences déloyales, les promotions abusives… et tout cela ne se règle malheureusement pas avec un contrat obligatoire !

En viticulture, la rémunération varie selon la notoriété de la zone de production, le cépage et sa couleur, le label de qualité, l’acheteur (coopérative, négoce, consommateur, importateur, ...), le millésime, la rareté, le contenant, etc. C’est pourquoi, d’un vin à un autre, les variations de prix peuvent être très importantes et c’est normal. Par contre, cela devient gênant lorsque les prix des vins étrangers tirent nos prix vers le bas et que les importations sont en perpétuelle augmentation. C’est ce que l’on peut observer avec les vins du sud de la France, dont les prix baissent drastiquement face à la concurrence des vins espagnols vendus sous des emballages évoquant de vins français près de 2 à 3 fois moins cher que les nôtres et dont les importations sont passées de 5,3 à 7,5 millions d’hectolitres ces 3 dernières années. Des vins vendus moins chers car produits à un moindre coût !

Depuis une trentaine d’années les filières françaises de grains ont misé sur les exportations vers les pays tiers alors que l’Europe reste très déficitaire en grains : nos importations de céréales secondaires, soja et autres aliments composés du bétail représentent le double de nos exportations de blé ! Ces importations torpillent notre marché européen car pour exporter du blé face aux moins-disants sur le marché mondial, la variable d’ajustement reste la même : le prix des grains payés aux paysans. Or, les produits des grandes cultures sont destinés en premier lieu à l’alimentation animale, puis à l’industrie agroalimentaire et enfin à des utilisations industrielles. Il serait donc vain de chercher à améliorer les marges dans de nombreuses productions agricoles sans volonté d’agir sur le prix des céréales…

Les marques de consommateurs : souci de l’équité ou marketing ?

Des initiatives fleurissent pour servir à la fois les attentes du consommateur et donner un revenu décent à l’agriculteur. La plus significative d’entre elles est « La Marque du Consommateur », avec son lait estampillé « C’est qui le patron ?! » suivi d’autres produits : steak haché, beurre (et beurre bio), compote de pommes, jus de pommes, pizza, crème fraîche, œufs, fruits, jambon, yaourt, pâtes, farine, salade… Et la marque ne compte pas s’arrêter là !

Comment ça marche ? Les consommateurs sont appelés à se prononcer, par sondage, sur les éléments du cahier des charges et à fixer le prix qu’ils consentent à payer pour cette qualité. Et surprise, à la majorité, les sondés ont décidé de payer le prix maximum proposé pour le lait, celui de 390 €/ 1000 litres (avec bonification supplémentaire pour la crème), une « rémunération qui permet au producteur de se faire remplacer et de profiter de temps libre ». En contrepartie, les vaches doivent pâturer 3 à 6 mois dans l’année, être nourries sans tourteau de soja OGM, avec du fourrage récolté à moins de 100 km...

Une alliance entre consommateurs et agriculteurs est-elle la solution ? Pas site vite ! Même si elle est astucieuse, la démarche reste néanmoins très fragile face à la demande erratique du consommateur : les ventes peuvent évoluer de 250 000 litres à 1 300 000 litres par semaine (chiffres LSDH). Ce qui fait qu’une exploitation engagée pour la marque livre tout son lait à la qualité exigée par le cahier des charges mais n’est payé 390 € que pour une partie seulement (42%, chiffre LDSH pour juin 2017, 93% sur le bassin pilote de la Bresse), en fonction des quantités écoulées en grande surface et du nombre d’éleveurs s’engageant dans la démarche.

On relève tout de même que sur 18 produits bientôt disponibles, tous ne sont pas « équitables ». La pizza étant un assemblage de produits déjà transformés, l’intérêt de l’agriculteur est absent du cahier des charges, au bénéfice de la qualité des ingrédients, tous d’origine française. En revanche, pour le blé dur, le consommateur devra fixer le prix dans une fourchette de 250 €/t (cours mondial) à 310 €/t (rémunération offrant du « temps libre » à l’agriculteur). Si l’itinéraire technique est « écoresponsable », ce seront encore 20 €/t de plus. Pour le steak haché, le consommateur doit choisir de rémunérer l’éleveur entre 3,78 €/kg (cours du marché du bœuf), 4,51 €/kg (revenu convenable) et 5,10 €/kg (avec supplément), avec une rallonge pour le pâturage, le bien-être animal et l’origine française des fourrages. Pour la compote de pommes, de 95 €/t (cours mondial « non rentable »), le prix payé au producteur peut monter jusqu’à 186 €/t (« temps libre »), avec rallonge jusqu’à 252 €/t en cas de culture « écoresponsable ». Enfin, pour le jus de pomme le consommateur s’est déjà prononcé et n’a pas choisi la tranche de prix la plus élevée pour l’arboriculteur.

Qu’en pense la CR ? Le syndicat trouve la démarche intéressante mais constate qu’elle ne suffira jamais en elle-même. Outre la faiblesse des volumes écoulés, le vrai danger est, contrairement à la volonté affichée, de ne toujours pas être suffisamment équitable et de ne pas toujours permettre à l’agriculteur d’en tirer un prix rémunérateur. En effet, couvrir les coûts de production c’est bien, et même mieux qu’actuellement, mais ce n’est pas suffisant : il faut aussi permettre à TOUS les producteurs de se dégager une rémunération.

Les prix rémunérateurs, qu’est-ce que c’est ?

Là où ses concurrents proposent de partir de l’assiette du consommateur (où même du cours mondial) pour la fixation des prix et le partage des marges, la Coordination Rurale, avec une évidente logique, propose de partir du champ de l’agriculteur, de ses charges et de son coût de production.

Une réorientation urgente de la PAC doit avoir lieu afin de placer la notion de prix rémunérateurs au cœur de son fonctionnement ! Prendre en compte les variations des coûts de production mais aussi assurer des prix suffisamment élevés pour permettre aux agriculteurs de se dégager un revenu : c’est tout simplement ça les prix rémunérateurs ! Utopiste la CR ? Non, seulement pleine de bon sens. Ce n’est pas impossible de dégager un revenu de ses 70 h de travail hebdomadaire, après tout d’autres y arrivent pour moins que ça ! Il suffit de s’en donner les moyens et de mettre en place de nouvelles mesures.

« Affirmer que 450 €/1000 L est un prix excessif, c’est se soumettre à ceux qui veulent condamner les producteurs à vendre du lait de très haute qualité à des prix très bas : nous le refusons !», Véronique Le Floc’h, responsable de la section lait de la CR

La régulation au cœur du système... L’agriculture a des caractéristiques de marché qui lui sont propres : grande élasticité de l’offre et rigidité de la demande. C’est pourquoi, la CR revendique la mise en place d’un marché européen régulé qui assure un équilibre offre-demande permettant de tenir un juste prix sans être contaminé par le prix du marché mondial. C’est bien là le seul moyen efficace et durable de stabiliser les prix et de redonner du revenu aux agriculteurs. L’instauration de réels outils de régulation des productions agricoles pour dimensionner la production européenne (conventionnelle, labellisée, bio) en fonction de débouchés stables, permettrait ainsi une collaboration positive entre les agriculteurs européens. Ce système supposerait alors de rétablir la préférence communautaire et des droits de douane pour protéger le marché intérieur européen. Rien d’impossible ! Un tel projet ne dépend que de la bonne volonté politique des dirigeants européens, qui pourraient, s’ils le souhaitaient, se prévaloir de l’exception agriculturelle auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), comme ils ont su se prévaloir, à l’initiative de la France, de l’exception culturelle pour le secteur audiovisuel.

Les marges sous haute surveillance ? C’est sur ces bases de prix assainies, car soucieuses des réalités économiques des exploitations agricoles, qu’il faut ensuite envisager un partage équitable de la marge au sein du reste de la filière, jusqu’au consommateur. Lors de sa rencontre avec Emmanuel Macron le 7 août dernier, la Coordination Rurale a exposé au Chef de l’État les actuels problèmes de répartition des marges entre les différents maillons de la chaîne. Alors que les intermédiaires font des bénéfices records, les prix payés aux producteurs, eux, n’évoluent pas. La traçabilité des produits, nécessaire pour assurer la sécurité alimentaire, doit servir d’exemple en s’appliquant également aux marges. Chacun doit pouvoir tirer son épingle du jeu, c’est une condition indispensable pour assurer des prix rémunérateurs aux agriculteurs. Sans cela, tous les efforts de la régulation ne profiteront qu’à un petit nombre.

Une harmonisation des normes à l’échelle européenne Comment jouer au même jeu et dans la même équipe si nous n’avons pas les mêmes règles ? L’harmonisation des cotisations sociales et des normes sanitaires, environnementales et sociales au sein de l’UE est primordiale. Comment les agriculteurs français peuvent-ils être tout aussi compétitifs que les producteurs espagnols dont les charges liées à la main-d’œuvre sont nettement inférieures, ou dont les normes sont beaucoup moins contraignantes que celles imposées par la France ? Le but est d’être partenaires, pas de se faire du tort...

Les consommateurs vont-ils devoir régler la note ? Les prix rémunérateurs, c’est possible, presque indolore pour le consommateur et compensé par une baisse drastique du budget de la PAC, qui coûte actuellement 117 €/an à chaque citoyen européen. Vu la part des produits agricoles dans le prix à la consommation des aliments et la part consacrée par les ménages à leur alimentation, le relèvement des prix agricoles à un niveau rémunérateur n’aurait pas d’incidence majeure sur les bourses des consommateurs. D’après les calculs de la Coordination Rurale, une hausse de 40 % des prix agricoles n’impacterait que de 0,51 % le budget global des ménages français. Par contre, cette hausse permettrait la suppression totale des aides compensatoires et de leur coûteuse gestion (sauf dans le cas des zones à handicap naturel). Ce sont des aspects majeurs du projet pour une PAC renouvelée que porte la CR, qui aurait comme autres effets bénéfiques : une alimentation garantie en quantité et qualité ; une relance de l’économie et du dynamisme rural, une stabilisation de la taille des exploitations par une relance des installations, un respect des agriculteurs des pays déshérités dont beaucoup disparaissent, voire meurent de faim, à cause des cours mondiaux insoutenables, une meilleure préservation de l’environnement et une relation à l’animal renouvelée.

À quand les États généraux européens de l’agriculture ?

Inaugurés en grande pompe le 20 juillet, les EGA réunissent au travers de 8 ateliers de réflexion, les transformateurs et distributeurs (noblesse), les consommateurs et écologistes (clergé) et les agriculteurs (tiers état). Il y sera beaucoup question d’écologie et de consommation et secondairement de meilleurs prix pour les agriculteurs. La Coordination Rurale est consciente que cette grande messe n’apportera pas de solution immédiate mais elle espère qu’elle constituera la première étape pour une remise à plat du système, car si les prix de base restent liés aux cours mondiaux, cela ne changera pas grand-chose à la situation actuelle. Les EGA doivent donc nécessairement aboutir sur une exigence de réforme drastique de la PAC et pour cela la CR attend un engagement sans failles du ministre. Mais, sans l’aval de l’Europe rien ne pourra se faire. L’agriculture doit certes faire l’objet d’un travail de concertation mais entre États membres car, pour réussir, le cadre de ces États généraux doit être européen et non national.

  Dossier du 100 % agriculteurs n°8 diffusé en octobre 2017

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