Le Plan algues vertes en Bretagne, qui concernera plus de 3 500 exploitations, a été présenté début 2010 en grande pompe par Bruno Le Maire et Chantal Jouanno. L’agriculture est dans une situation de crise sans précédent et de nouvelles contraintes ne cessent d’accabler les agriculteurs. Ce plan, basé sur la conviction que les nitrates agricoles sont polluants et dangereux, est pour la CR l’occasion de faire le point sur cette question épineuse.

Le problème de la prolifération des algues vertes en Bretagne

Le plan algues vertes

Le plan, auquel le gouvernement a prévu de consacrer 134 millions d’euros sur la période 2010-2014 (dont 94 millions de financement de l’Etat et 40 des collectivités), concerne 23 bassins versants associés à 8 baies du bassin Loire-Bretagne (120 000 hectares et 240 000 habitants). Le plan veut tendre vers un taux de nitrates de 10 mg/L dans les rivières (la norme actuelle pour la consommation humaine étant de 50 mg/L).

1) Gestion des algues vertes échouées : amélioration du ramassage et du traitement, en vue de supprimer tout risque sanitaire et de réduire les nuisances ; encadrement strict de l’épandage des algues.

2) Réduction des flux de nitrates de toutes origines vers les côtes : - préservation ou réhabilitation des « zones naturelles » (zones humides, « prairies extensives ») - modification des pratiques agricoles (mesures agro-environnementales, projets territoriaux volontaires puis obligatoires en l’absence de résultats) - traçabilité des flux d’azote : pour les agriculteurs, déclaration annuelle des flux d’azote incluse dans la conditionnalité en 2011 (sanction de 1 % des aides), mesure des reliquats, contrôles renforcés sur les plans prévisionnels de fumure et les interdictions d’épandage et pour les installations classées (ICPE) ; pour les stations d’épuration, renforcement du suivi du fonctionnement.

3) Amélioration des connaissances sur la prolifération des algues vertes et sur leur valorisation : création d’un groupement spécifique d’organismes de recherche ; avis de l’AFSSET sur la sécurité sanitaire des personnes ; plateformes de compostage, appel à projet « méthanisation ».

Extraits du plan : un aveu de méconnaissance…

« Bien que la mise en équation du phénomène de proliférations algales reste difficile et que les connaissances sont encore insuffisantes pour bien cerner l'ampleur des actions à mener, il est indispensable d'œuvrer d'ores et déjà vers une réduction des flux de nitrates. » … et malgré cela des affirmations fortes ! « L'agriculture ne peut ignorer sa part de responsabilité historique dans l’état de la ressource, ainsi que les nombreux contentieux et conflits d’usage liés à la qualité de l’eau en Bretagne ou aux nuisances induites par les activités d'élevage ». Ces extraits parlent d’eux-mêmes et montrent à quel point la communication d’une manière générale, et celle de nos gouvernants en particulier, est biaisée, pour ne pas dire mensongère !

Halte au dénigrement des agriculteurs : les actions de la CR

Les émanations de gaz (H2S, NH3…) dues à la fermentation des algues vertes sont malodorantes. A très forte concentration, le H2S parfois appelé « gaz des égoutiers » est toxique par inhalation. C’est ce qui s’est passé dans la baie de Lannion à l’été 2009, avec la mort d’un cheval et l’évanouissement de son cavalier, ce qui a relancé une tempête médiatique contre les agriculteurs. Des citoyens ont réagi en portant plainte contre X mais plus ou moins directement, les « élevages intensifs et productivistes » bretons sont mis en cause. La CR Bretagne a vivement réagi en demandant par communiqué « que l’objectivité scientifique retrouve enfin son droit », que l’on cesse « d’accabler les agriculteurs bretons » et que l’on s’engage enfin « sur la bonne piste qui permettra de bien traiter ce problème des ulves bretonnes » (23/10/2009). Par comparaison, le H2S est présent dans tous les réseaux d’égouts et cause chaque année des accidents mortels. Faut-il pour autant abandonner ce moyen de transfert des eaux usées vers les stations d’épuration ?

Des éléments concrets pour faire avancer le débat

Pour alimenter le débat de manière concrète, la CR des Côtes d’Armor a effectué des prélèvements d’eau en sortie de stations d’épuration de plusieurs villes, sous contrôle d’huissier. Les résultats montrent que la concentration en azote est 2 fois plus importante que la norme autorisée, et de 2,5 fois pour le phosphore ! La CR22 a transmis ces résultats à la Mission interministérielle sur les algues vertes et au Préfet, sans obtenir d’autre réponse que… le Plan algues vertes, qui se targue d’avoir été établi à travers une véritable concertation… ! Enfin, depuis plusieurs années, des CR départementales et régionales ont organisé des conférences visant à diffuser une information rigoureuse sur le plan scientifique, pour contrer les idées reçues. Hélas, ne dit-on pas qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ?

Point sur l’état réel des connaissances sur la prolifération des algues vertes*

Aucun lien entre développement agricole et prolifération des algues.

La présence d’algues vertes sur nos côtes est reconnue depuis le début du XXe siècle, bien avant le développement des élevages hors-sol. Leur répartition dans le monde n’est pas forcément associée à des activités agricoles « intensives ». On en trouve ainsi dans les fjords de Norvège. Quant à la baie de Lannion (qui a fait l’objet de l’attention des médias), les agriculteurs des bassins versants en amont pratiquent une polyculture-élevage (lait, viande bovine) s’appuyant sur des surfaces importantes en prairies, et quasiment pas d’élevage hors-sol de porc ou de volaille. Enfin, le phénomène ne s’observe pas dans l’estuaire de la Loire, la rade de Brest ou la baie de Vilaine, qui reçoivent de grandes quantités d’azote.

La responsabilité de l’azote agricole mise en doute

D’après des travaux de l’Ifremer, les quantités d’algues ne semblent pas dépendre des quantités d’azote apportées chaque printemps par les cours d’eau. Les teneurs en nitrates dans les cours d’eau bretons sont aujourd’hui de l’ordre de 25 à 30 mg/L (la norme imposée par la directive nitrates étant de 50 mg/L). En fait, l’estimation des besoins des algues montre qu’ils sont infimes (100 à 200 fois moindres) par rapport aux quantités apportées par les cours d’eau. Si l’azote en milieu marin ne provenait que des cours d’eau (ce qui est loin d’être le cas, ne serait-ce qu’en tenant compte de la fixation biologique de l’azote atmosphérique), il faudrait le réduire de manière telle que les objectifs seraient impossibles à atteindre, même en éliminant tous les élevages, voire même toute l’agriculture, de Bretagne !

L’autre explication possible : le phosphore

Les résultats des mesures en sortie de station d’épuration

Comme l’ont montré les résultats des mesures en sortie de station d’épuration, les taux d’azote et de phosphore peuvent « exploser » les normes autorisées. D’après des notes du FNDAE (Fonds national pour le développement des adductions d'eau, géré par le ministère de l’Agriculture) en collaboration avec le Cemagref, l’azote des eaux résiduaires provient des déjections humaines, mais aussi des eaux de cuisine et de certains produits ménagers. Quant au phosphore, les excrétions humaines en seraient la source principale dans les cours d’eau (Dernat et al., 1994), sans compter celui issu des produits ménagers et rejets industriels (effluents d’industries agro-alimentaires, laveries, abattoirs, industries chimiques, etc.). Pour ce qui est des phosphates agricoles, le FNDAE confirme qu’ils ne se retrouvent pas dans les eaux usées car ils sont fixés par les sols, sauf en cas d’érosion. Il faut préciser que les baies propices aux algues vertes présentent deux caractéristiques : la présence d’une plage de sable à faible pente et le piégeage de l’eau en fond de baie. Ces conditions favorisent l’effet de lagunage et limitent la dispersion vers le large.

Bilan

Prenons du recul par rapport aux actions menées depuis 30 ans : la quantité de nitrates dans les cours d’eau a bien diminué, sans que l’on observe de baisse sensible de la prolifération des algues. Il est surprenant que seul l’azote apporté par les cours d’eau fasse l’objet des recommandations actuelles. Les actions de terrain, s’appuyant sur la biologie des écosystèmes marins, semblent la voie la plus prometteuse pour comprendre et limiter le phénomène de prolifération des algues. Ainsi, tant que ce problème n’aura pas fait l‘objet d’approche scientifique et non partisane de la part des pouvoirs publics et de certains chercheurs, il ne sera pas résolu !

Les menaces de Bruxelles concernant les nitrates

La prolifération des algues vertes n’est pas le seul problème auquel sont confrontés les agriculteurs. Des textes européens établissent des normes en nitrates pour les eaux superficielles, mais aussi des règles contre la pollution des eaux (dont les eaux souterraines) par les nitrates d’origine agricole.

La teneur des eaux superficielles en nitrates

Le danger des nitrates pour la santé : un mythe éculé !

D’où vient le taux limite de 50 mg/L pour les nitrates dans l’eau potable ? Des cas de « maladie des bébés bleus » (respiration inefficace des nourrissons) ont été signalés en France jusque dans les années 70, lorsque des biberons étaient confectionnés avec de l’eau de puits polluée par des matières organiques, et, plus rarement, par le biais de conserves familiales de légumes, dans des conditions d’hygiène défectueuses. En effet, sous l’effet de bactéries, les nitrates se transformaient parfois en nitrites, avant l’ingestion par le très jeune nourrisson. Les nitrites se fixaient sur l’hémoglobine, le nourrisson ne disposant pas encore d’un système enzymatique adapté, d’où les insuffisances respiratoires. Grâce aux progrès de l’hygiène, les cas ont disparu dans les pays industrialisés ces dernières décennies. (source : F. Testud, Centre anti-poison de l’Hôpital Herriot de Lyon - Symposium national de médecine agricole de Tours, 2002). C’est ce risque, mal compris à l’époque, qui avait conduit les autorités sanitaires à établir, dans le cadre de la directive de 1975 et de façon complètement empirique, la norme de 50 mg/L, toujours en vigueur.

Les nitrates sont-ils toxiques ?

Il est aujourd’hui prouvé que l’effet soi-disant cancérigène des nitrates est en réalité inexistant. D’ailleurs, on estime que 80 % des nitrates ingérés par l’homme le sont par les légumes (certains comme la salade ou les épinards en contiennent des quantités très importantes, plus de 2 à 3000 mg/kg), qui sont fortement recommandés dans l’alimentation quotidienne. Les nitrates des légumes et ceux de l’eau, considérée comme dangereux au-delà de 50 mg/L, sont pourtant les mêmes molécules et bien malin serait celui capable de les distinguer !
Aujourd’hui, il est certain que les nitrates ne présentent que des effets bénéfiques pour la santé.

Une directive européenne de 1975 fixe le plafond pour les nitrates à 50 mg/L (voir encadré ci-dessus), pour l’eau des rivières destinée à la consommation humaine. Des dérogations existent, si les Etats membres mettent en œuvre des plans de gestion et restauration de la ressource, garantissant un retour rapide en deçà des 50 mg/L.

A partir de 1993, la France a fait l’objet de mises en demeure pour non respect de cette directive. Malgré des améliorations sensibles, les taux restaient hors norme pour certains cours d’eau bretons. En 2001, la France a été condamnée par la Cour de justice européenne et a pris de ce fait un certain nombre de mesures (agro-environnementales, protection des captages avec limitations d’épandage, bandes enherbées, etc.). La France était toutefois depuis 2007 sous la menace de lourdes sanctions financières (28 Mio€ d’amende avec une astreinte de près de 120 000 € par jour).

En juin 2010, la menace de sanction a été levée par la Commission européenne, enfin satisfaite : dans tous les points de captage faisant l’objet de son attention très particulière, les taux sont passés sous 50 mg/L et sont donc pleinement conformes.

Nitrates : une jurisprudence dangereuse pour la profession !

Suite à un taux de nitrates supérieur à 50 mg/L pour un captage d’eau potable dans la Marne, et à un rapport mettant en cause la mise en culture de parcelles à proximité, le Conseil d’Etat a estimé fin 2009 que ce « péril imminent » permettait au maire d’interdire la mise en culture des parcelles située à proximité. Voilà une jurisprudence dangereuse pour bon nombre d’agriculteurs, vu la quantité de captages qui existent en France. A l’heure où la « disparition » de terres agricoles fait l’objet de graves préoccupations (cf. projet de LMAP), ce seront autant de terres qui ne pourront plus être cultivées si de tels arrêtés se multiplient. La CR se battra pour qu’en pareil cas, les propriétaires ou exploitants de ces parcelles soient indemnisés. Quoi qu’il en soit, il devient clairement indispensable de réévaluer la norme nitrates !

La lutte contre les nitrates d’origine agricole

En 1991, les taux n’ayant pas évolué au goût de Bruxelles, le nitrate est devenu un « polluant », régi par une directive européenne. Ainsi, la France doit établir tous les 4 ans une carte des « zones vulnérables » (norme de 50 mg/L appliquée aux eaux souterraines, et risque de développement d’algues vertes), qui feront l’objet de programmes d’action (voir partie III).

Le 4e programme d’action de la directive de 1991

La CR a alerté les ministres de l’Agriculture (M. Barnier, puis B. Le Maire) afin de faire réviser le programme entré en vigueur en juillet 2009. En effet, l’obligation de couverture des sols par les cultures intermédiaires pièges à nitrates (CIPAN) peut s’avérer difficilement applicable, voire contraire au but recherché !

En effet, certains sols (argileux par ex.) risquent d’être impraticables ou dégradés par le passage d’un engin, si aucune souplesse n’est admise quant aux dates d’implantation. En outre, le coût de cette obligation s’avère très élevé (65 voire 100 €/ha). Enfin, parmi les plantes de couverture, les repousses de colza et des graminées comme le moha, le seigle, l’avoine ou le ray grass, sont acceptées, contrairement aux repousses d’après récoltes d’été (céréales, oléoprotéagineux, flore spontanée) que la CR a demandé d’inclure dans les CIPAN. Cette restriction est incompréhensible car une repousse de blé germant sitôt la récolte aura un effet aussi absorbant pour l’azote qu’un ray grass après un travail du sol, aussi léger soit-il… Ces demandes de la CR ne sont hélas toujours pas satisfaites. Pire, le Plan algues vertes prévoit de réviser le programme d’action pour les 23 bassins versants concernés et d’étendre le plafond d'apports d'azote organique et minéral à 210 kg/ha de SAU (seuil appliqué dans les zones d’aménagement concerté).

Les critiques de la Commission européenne concernent autant le 3e que le tout nouveau 4e programme d’action, dont font partie les CIPAN obligatoires (voir encadré). Les ministères de l’Ecologie et de l’Agriculture ont donc appelé à l’aide les organisations professionnelles agricoles en début 2010. La CR en a profité pour souligner les graves difficultés que font peser les directives européennes et a réitéré avec insistance sa demande d’un débat scientifique pour une révision de la directive « nitrates ».

Quelles solutions pour la France ?

Alors que les mises aux normes obligatoires et très coûteuses pour les élevages s’achèvent, la proposition de l'administration d’augmenter les capacités de stockage d'effluents paraît délirante ! D’autres idées sont avancées pour réduire le taux de nitrate : resserrer encore les contraintes de superficies d'épandage, de dates d'interdiction d'épandages de fumier, lisier ou engrais azotés, des dates de premier apport d'azote, de respect des calculs de bilans azotés, de stockage provisoire de fumier aux champs, etc.

La position de la CR est singulière parmi les autres organisations syndicales : malgré toutes les mesures plus ou moins inutiles qui s'ajoutent aux contraintes existantes, on ne pourra pas apporter satisfaction aux récriminations de la Commission ! En effet, de graves lacunes existent dans la capacité de traitement et l’efficacité des stations d'épuration. Les besoins des plantes en azote sont en outre proportionnels aux productions qu'on en attend. Or, le signal n'a pas été donné de réduire ces productions nécessaires par ailleurs.

Conclusion

Pour la CR, il faut cesser d’accabler les agriculteurs, car on se trompe de cible ! C’est à la révision de la norme de 50 mg/L qu’il faut s’attaquer. D’ailleurs, la directive de 1991 indique « qu'il convient d'instituer un comité chargé d'assister la Commission dans l'application de la présente directive et son adaptation au progrès scientifique et technique ». Il est donc plus qu’urgent d’organiser une conférence réunissant les experts de l'environnement et de la santé pour établir que la norme en vigueur n'est plus pertinente. La question centrale est finalement du ressort du courage politique : l’objectif est-il de défendre la production agricole face aux dérives et à la désinformation ou de faire imposer par la Commission des mesures que l’administration française peine à prescrire ?

Pour en savoir plus : http://www.institut-environnement.fr

Algues vertes

Dans la même catégorie

Environnement
Alimentation
Économie
Élevage