PAC 2013 pour une politique agricole durable

La PAC qui était un élément essentiel du traité de Rome a été le ciment de l’Europe. Ses outils de régulation, qui organisaient et protégeaient le marché commun, donnaient des perspectives d’avenir aux agriculteurs européens et leur permettaient de vendre leurs productions à des prix rémunérateurs tout en permettant aux consommateurs de bénéficier d’une alimentation sans cesse plus sûre et moins chère.

Le démantèlement de ces outils entraîne un véritable chaos des marchés de produits agricoles catastrophique pour les agriculteurs dont la disparition s’est accélérée. Cela alimente le chômage, la hausse du budget agricole européen et celle des prix à la consommation, nuit à l’économie européenne et à l’occupation harmonieuse de nos territoires, et porte atteinte à notre sécurité alimentaire (quantitative et qualitative). Cette situation accablante démontre que les missions assignées à la PAC par le traité de Rome, confirmées récemment par celui de Lisbonne ne sont plus remplies aujourd’hui.

En effet à l’opposé des mensonges réitérés sur les excédents agricoles, l’UE est en fait importatrice nette de produits agricoles (en valeur et en volume) et notre déficit global s’aggrave. Nos importations nettes ont quasiment doublé sur 1999-2008 : la dépendance alimentaire de l’Europe croît avec le temps alors que beaucoup de ses importations ne respectent pas nos normes (environnementales, sanitaires, etc.).

Face à cette réalité incontestable et dangereuse, il faut remettre radicalement en cause les choix opérés quant à la PAC depuis 1992 au nom de nos prétendus excédents. Nos conditions de production (système social, environnement, qualité des produits) engendrent des coûts incompressibles et qui ne permettent pas, et ne permettront jamais, d’atteindre les cours des moins-disants mondiaux.

La sécurisation de l’approvisionnement alimentaire de l’UE doit être la priorité de la nouvelle PAC. Il faut renforcer nos instruments de régulation pour le secteur agricole dans le cadre d’une préférence communautaire effective. La dépendance de l’Europe vis-à-vis des importations alors que les énergies fossiles vont coûter de plus en plus cher, est très dangereuse. La mise en place de protections aux frontières contre le dumping social, fiscal, économique et environnemental doit être considérée comme un préalable incontournable pour permettre d’atteindre l’autosuffisance alimentaire pour les besoins essentiels en rééquilibrant les productions en faveur d’aliments riches en protéines.

Dans un contexte géopolitique incertain, c’est le seul moyen de stabiliser les marchés et les prix agricoles en Europe à un niveau rémunérateur à la production et raisonnable à la consommation. L’UE doit convaincre le plus grand nombre possible d’Etats de sortir l’agriculture de l’OMC (exception agriculturelle) et de réfléchir ensemble à une organisation mondiale des marchés agricoles.

La PAC doit être intégrée dans un cadre économique orthodoxe en mettant fin au système virtuel des aides. Cela la rendra beaucoup moins onéreuse. Une telle PAC – durable, plus efficace, moins coûteuse, et intégrant les nouvelles contraintes environnementales - serait un atout majeur pour réconcilier les citoyens avec l’Europe et intégrer de manière apaisée les Etats membres rentrés dans l’Union.

La Coordination Rurale formule 10 propositions dans son mémorandum pour une PAC du XXIème siècle qui permettront à l’Europe d’affronter et de surmonter les obstacles qu’elle va trouver sur son chemin dans les prochaines décennies.

Sommaire

1. Succès et dérives de la PAC

2. Une autre PAC est possible : il faut revenir aux fondamentaux de la politique agricole

  • Les principes fondamentaux d’une bonne PAC
  • Une PAC efficace et puissante

3. Cette PAC est une nécessité vitale pour l’UE

  • La PAC du XXIème siècle permettra de développer une agriculture raisonnable et durable
  • Elle sera le socle d’un développement économique durable
  • Elle ouvrira un gisement de créations de richesses pour l’Europe et pour le monde.

4. La PAC du XXIème siècle est la clé du développement du monde en 10 points

  • Rééquilibrage de nos productions végétales et mobilisation de la recherche pour sécuriser notre indépendance alimentaire
  • Rétablissement de la préférence communautaire
  • Avancées significatives vers une harmonisation sociale et fiscale communautaire
  • La TVA sociale : Réforme en profondeur du financement de la protection sociale
  • Passer progressivement d’une politique d’aides à une politique de prix rémunérateurs
  • Réforme des organisations communes de marché dans différents secteurs
  • Une rationalisation des coûts de gestion de la PAC
  • Politique en faveur des circuits courts de commercialisation
  • Création de normes régionales / Uniformisation des exigences en matière de traçabilité et de normes des produits, source de distorsions de concurrence au sein de l’UE et pour les importations des pays tiers
  • Une politique qui favorise l’autonomie énergétique de l’agriculture et gère les flux de carbone
Succès et dérives de la PAC

1. Succès et dérives de la PAC

La PAC, qui a permis les progrès considérables de l’agriculture française, est un succès indéniable de la construction européenne dont elle a d’ailleurs constitué le principal ciment. Pendant 30 ans, elle a fonctionné de façon globalement satisfaisante même si, dès les années 1980, sont apparus des signes de dysfonctionnement provoqués par les brèches ouvertes dans la préférence communautaire. Durant cette période, l’agriculture a poursuivi sa révolution. La mécanisation, alliée au progrès scientifique, a permis de soulager les agriculteurs de nombreuses tâches pénibles et d’augmenter largement leur productivité, afin de nourrir la population. Dans les années 1970, l’exode rural et la baisse des prix agricoles ont permis de fournir les besoins en main d’œuvre créés par le développement industriel et de satisfaire les aspirations des consommateurs pour les biens d’équipement et de consommation. Il résulta de cette évolution une impression de sécurité s’accompagnant d’une perte du sens, d’un oubli des spécificités et des valeurs intrinsèques de l’agriculture, activité différente des autres parce qu’elle travaille sur la vie. C’est ainsi qu’au cours des années 80, la majorité des responsables politiques – mais aussi malheureusement beaucoup de professionnels agricoles – en vinrent à considérer l’agriculture comme une activité industrielle et les produits agricoles comme des matières premières comme les autres. L’agriculture pouvait donc être incluse dans les règles du GATT puis de l’OMC. Après la mécanisation heureuse, elle passait ainsi à la mondialisation malheureuse.

La CR estime que le naufrage de la PAC a commencé en 1992 avec la réforme Mac Sharry, qui n’avait plus comme objectif que de soumettre l’agriculture européenne à la mondialisation.

C’est ainsi que l’on a provoqué l’abaissement en quelques années des prix européens au niveau des cours mondiaux (prix des céréales divisés par 2, oléagineux par 3) nettement en dessous des prix de revient et, pour éviter la ruine des agriculteurs, on leur versa des primes (de moins en moins) compensatoires par hectare de production ou par tête de bétail. Pour réussir cette révolution, on déclencha une vigoureuse campagne de désinformation qui n’a d’ailleurs jamais vraiment cessé. On invoqua le coût faramineux de la PAC (alors qu’à l’époque cela représentait selon nos calculs le prix de 3 cigarettes par jour pour chaque Européen) et l’on reprocha soudain aux paysans d’avoir trop bien travaillé et englouti l’Europe sous des excédents monstrueux : les fameuses montagnes de blé, les fleuves de lait… Cela contribua, et contribue toujours aujourd’hui, à embrouiller les esprits, à diviser la population et à rendre les problèmes agricoles difficilement compréhensibles par le grand public.

Or, les chiffres parlent d’eux-mêmes : chaque année, l’Union Européenne publie les comptes de l’agriculture et il est aisé de constater que la balance agroalimentaire de l’Europe est constamment déficitaire. Il est aujourd’hui unanimement reconnu que l’Europe connaît un déficit considérable en protéines végétales (elle ne produit qu’un quart de sa consommation). Il faut savoir en outre qu’elle importe également plus d’un tiers de ses huiles.

C’est ainsi qu’à l'objectif initial d'indépendance alimentaire, qui avait suscité la création d’une PAC volontariste fondée sur la vocation de nourrir les Européens, dans le cadre privilégié de l'exploitation familiale, fut progressivement substitué un autre modèle, qui est la pure résultante de l'immersion de l'agriculture européenne dans le marché mondial, fondé sur une irréaliste et dangereuse vocation exportatrice.

Abandonnant une PAC qui permettait aux agriculteurs d’exercer leur métier dans un cadre économique normal et de disposer de revenus décents, grâce à des prix rémunérateurs et à une protection aux frontières adaptée, l’UE opta pour l'alignement à la baisse des prix agricoles. Cette politique favorisait la concentration sans fin des exploitations (disparition des unes, agrandissement des autres) pour gagner en productivité, les spécialisations régionales (monocultures, élevages intensifs), la désertification des zones de moindre productivité et la diminution drastique du nombre des agriculteurs.
Or, il n’y a aucune raison que les cours mondiaux servent de référence pour les prix de l’ensemble des produits agricoles, car seule une infime partie des denrées produites (évaluée globalement à 10 %, dont 7 % du riz, 20 % du blé, 8 % du lait…) est échangée sur ce marché mondial. Toutes les politiques d’installation des jeunes agriculteurs se sont d’ailleurs brisées sur cette réalité : face à la détérioration constante de la rentabilité agricole, les paysans se sont trouvés face à un choix incompatible avec l’installation : s’agrandir ou partir.

Par la suite, la réforme de l’« Agenda 2000 » puis la réforme Fischler de 2003 ont aggravé les dommages causés par celle de 1992. La réforme Fischler reposait sur le "découplage" des aides, c'est-à-dire la dissociation entre le fondement de l'aide publique (exploitation antérieure des terres, rachat des droits à produire…) et la production effective. Ce système a donné une orientation encore plus libérale que celle de 1992 (il n'y a plus de scrupule à laisser chuter les prix, le revenu de l'agriculteur ne dépendant que partiellement de sa production), avec des effets très incertains sur la qualité des produits. De plus, le nouveau système s’avère ingérable à terme, car les rentes ainsi constituées pour les agriculteurs les années de hausse importante de prix deviennent rapidement inacceptables pour le contribuable.

Même si cette dernière réforme, accentuée par le « Bilan de santé » adopté en 2008, s’est située dans la droite ligne des réformes précédentes, elle a marqué une nouvelle rupture de la politique agricole. Elle a en effet institutionnalisé le principe des aides découplées de la production. Comme la PAC 92, elle n’a qu’un seul objectif : être conforme à l’OMC. Elle a abandonné définitivement tous ses outils de maîtrise ou d’orientation des productions et expose ainsi l’UE à un marché alimentaire erratique caractérisé par des déséquilibres alternatifs entre offre et demande, accompagnés de fluctuations considérables de prix.

La baisse du revenu agricole dans l’UE de l’Ouest, consécutive de ces évolutions, en révèle un autre effet très pervers et dangereux : celui d’un ajustement vers le bas de la situation des agriculteurs de l’ancienne CEE à celle des agriculteurs des PECO. Cette situation crée des tensions de plus en plus perceptibles entre certains des 27 pays qui forment l’UE aujourd’hui et peut avoir des conséquences politiques graves sur leur cohésion, que la crise économique et monétaire mondiale rend pourtant plus que jamais indispensable.

Les projets actuels de verdissement des aides de la PAC, alors que l’agriculture européenne est déjà sans conteste de ce point de vue la plus performante du monde, n’iront pas arranger cette situation de déséquilibre, notamment vis-à-vis des pays tiers. Il est donc indispensable et urgent de réorienter la PAC vers un système raisonnable et durable, y compris sur le plan économique.

 

Une véritable PAC efficace et puissante

Les principes fondamentaux d’une bonne PAC

La dérive de la PAC vient de l’abandon des fondements de la politique agricole au profit des concessions successives consenties dans le cadre des négociations du GATT puis de l’OMC. La réorientation de la PAC passe donc par la réaffirmation, voire la réappropriation, de ces fondamentaux.

Une bonne politique agricole - et donc pour l’Europe une bonne PAC - doit remplir 6 missions :
Assurer son indépendance alimentaire : L’Europe n’a jamais été autosuffisante, ni hier, ni aujourd’hui. Elle traîne un énorme déficit en protéines accentué par le déséquilibre entre ses productions céréalières et celles d’oléoprotéagineux. La réalité, c’est que l’agriculture européenne ne dispose pas aujourd’hui de suffisamment de terres cultivables pour nourrir correctement ses habitants, humains et animaux.
Garantir la sécurité et la santé de ses populations : Celles-ci ne peuvent être garanties que si le préalable de l’autosuffisance est lui-même rempli. Cela ne suffit pas, puisqu’il faut ensuite une réglementation qui encadre les modes de production pour garantir l’innocuité des aliments mis à la disposition des consommateurs. Une bonne PAC doit donc s’armer d’une réglementation concernant les modes de production agricole que les agriculteurs accepteront, pourvu que les éventuels surcoûts puissent être répercutés à la vente.
Être économiquement durable en assurant un revenu correct aux agriculteurs : On ne peut pas susciter un dynamisme porteur de croissance et créateur de richesse avec une PAC anti-économique et révisable à tout instant. La durabilité économique est aussi liée à la compatibilité de cette politique agricole avec l’ensemble de l’économie. Il serait catastrophique pour nos pays d’être confrontés à des flambées de prix des denrées alimentaires, puisque l’économie générale s’en trouverait gravement déstabilisée.
Respecter l’équilibre social et occuper harmonieusement le territoire : Une bonne politique agricole doit permettre l’existence d’un noyau solide de paysans, cœurs de la vie rurale alternative à l’agrégation périurbaine. Toute obligation d’agrandissement des fermes due aux politiques agricoles successives entraîne une réaction en chaîne, aboutissant à la mort des villages après la phase de vieillissement de ses retraités : fermeture des commerces, disparition des artisans, détérioration des infrastructures, suppression des services publics, etc.
Préserver la fertilité des sols et l’agro-écosystème : La PAC du XXIème siècle doit permettre de remettre en cause les pratiques pénalisant la fertilité des sols au profit de celles qui réconcilient le progrès avec les contraintes qu’impose le devoir de transmettre une terre en bon état à ceux qui nous suivent. Cela s’inscrit pleinement dans la logique du développement durable.
Ne pas nuire aux pays tiers et respecter leurs droits à l’autosuffisance alimentaire : La bonne politique agricole commune devra se faire une raison et abandonner son concept de « vocation exportatrice » pour adopter celui de « l’exportation vertueuse », avec des produits et des prix qui ne ruinent pas les économies locales.

Une PAC efficace et puissante

Compte tenu de ce qui précède, la voie est donc clairement tracée pour l’agriculture européenne qui doit relever plusieurs défis majeurs pour l’avenir de l’UE. Les agriculteurs le veulent et le peuvent, mais à condition que la PAC leur permette d’œuvrer dans la bonne direction et que leur mission soit clairement définie et comprise par l’ensemble de la population européenne.

C’est ainsi que la PAC doit répondre aux exigences suivantes :
Satisfaire d’abord les besoins des consommateurs en leur fournissant les aliments en quantité et qualité nécessaires (plutôt que leurs « attentes ») ;
Etre pour cela fondée sur la préférence communautaire (avec une protection aux frontières adaptée), seul moyen de l’organiser à l’intérieur du cadre européen, et donc obtenir sa légitimité de la reconnaissance de l’exception agriculturelle par l’ensemble des gouvernements du monde ;
Etablie sur une logique économique de prix rémunérateurs, être financée en très grosse partie par les consommateurs et non plus par les contribuables.
La PAC que nous appelons de nos vœux sera donc simple d’application et peu coûteuse pour le budget de l’Union.


Cette PAC est une nécessité vitale pour l’UE

Elle permettra de développer une agriculture raisonnable et durable

Le marché régulé fournira aux agriculteurs le revenu nécessaire et les indications dont ils ont besoin pour gérer leur exploitation à moyen et long termes et assurer leur renouvellement. Les prix de ce marché intégreront les contraintes d’une agriculture écologiquement saine et garante de la sécurité des aliments.
La viabilité économique de l’agriculture permet l’harmonie sociale et l’occupation équilibrée des espaces ruraux qui représentent sans conteste un élément incontournable du développement durable.Pac 2013, les propositions de la CR

La PAC sera le socle d’un développement économique durable ouvrant un gisement de création de richesse

L’Europe est face à son déclin industriel, prise dans l’étau des bas coûts de la main d’œuvre abondante des pays défavorisés et de la dépendance en matières premières, pétrole ou minerais.
Face à cela l’agriculture européenne dispose d’un potentiel extraordinaire de création de richesses renouvelables. Grâce à la photosynthèse (énergie solaire) alliée à l’activité des paysans, elle produit du carbone tout en rejetant de l’oxygène et en « climatisant » l’atmosphère par l’évapotranspiration. C’est en fait la seule activité durable susceptible d’avoir un impact positif sur les ressources de la planète et de son environnement.
Une partie de l’industrie va trouver, grâce à la meilleure agriculture du monde, un souffle nouveau en y trouvant des débouchés, en y puisant des matières premières et en accompagnant son redéploiement.

Grâce à l’exception agriculturelle, la PAC sera libérée du carcan de l’OMC. L’agriculture européenne tournée vers l’autosuffisance alimentaire et l’exception agriculturelle reconnue, produiront leurs effets positifs sur les agricultures des pays défavorisés qui ne peuvent rivaliser avec les Etats-Unis, l’UE ou les pays émergents d’Amérique Latine. Le développement endogène de ces pays en panne de progrès pourra redémarrer.

La PAC du XXIème siècle est la clé du développement du monde


La « Vieille Europe » a un grand rôle à jouer dans l’avenir du monde, à condition d’assumer les responsabilités que lui confère son statut de zone privilégiée, tant sur le plan économique que géographique, culturel, social ou démocratique.

C’est à elle de créer les conditions nécessaires à la reconnaissance du caractère exceptionnel, stratégique et vital des agricultures du monde qui ne peuvent se soumettre à l’absurdité des règles du commerce international. L’Union Européenne doit faire pression, avec le plus grand nombre possible de pays, pour que l’agriculture soit retirée du champ de compétence de l’OMC (exception agriculturelle) et confiée à l’agence de l’ONU qui est en charge de l’alimentation et du développement : la FAO.

En faisant reconnaître l’exception agriculturelle, elle peut mettre un terme à ce scandale qui subsiste dans la plus grande indifférence : les 8 millions d’êtres humains, souvent des paysans, qui meurent chaque année de faim ou de malnutrition. C’est de l’UE, et de sa politique agricole en particulier, qu’il dépend, de mettre fin à cette difformité explosive d’un monde où se côtoient les repus et les faméliques.

C’est ainsi que l’Europe peut ouvrir la porte sur une nouvelle croissance mondiale en faisant naître des nouveaux marchés sur les terres des pays du tiers-monde redevenues nourricières pour leurs habitants.
L’UE trouvera dans le développement endogène de ces pays la possibilité de relancer son économie et ses industries enlisées dans les sables mouvants d’une société de consommation saturée jusqu’au dégoût. Ce sont là des arguments convaincants pour rendre un idéal à la jeunesse de l’Europe nantie et qui n’aurait plus besoin d’eux, qu’on entretient dans l’illusion d’un monde fini et condamné à la décroissance.

Dix propositions concrètes :
pour une PAC du XXIème siècle

 

1. Rééquilibrage de nos productions végétales et mobilisation de la recherche pour sécuriser notre indépendance alimentaire

  • Réduction des superficies de céréales correspondant à l’excédent vis-à-vis de nos besoins.
  • Développement des cultures oléagineuses et protéagineuses pour l’alimentation des animaux (et non pas pour les biocarburants) sur les surfaces libérées par les céréales et sur l’ensemble des surfaces gelées. La jachère disparaît.


Cette conversion des surfaces alliée à la suppression de la jachère permettrait :

  • d’améliorer significativement notre taux d’approvisionnement en protéines végétales, celui-ci n’étant que de 25 % actuellement ;
  • de réduire nos importations d’aliments du bétail riches en protéines, souvent issus de plantes OGM, en provenance du continent américain ;
  • de redéployer de manière plus rationnelle le développement de l’élevage sur l’ensemble du territoire agricole ;
  • de développer la production des huiles végétales pour favoriser l’autonomie énergétique de l’agriculture et diminuer la dépendance énergétique de l’Europe.


Dans le contexte de baisse de la disponibilité en énergie fossile et donc d’une forte augmentation des coûts de transports qui seront nécessairement répercutés sur les prix de vente, ces propositions présentent de nombreux avantages sur le long terme.
Il est important de souligner qu’en matière de biocarburants, les directives européennes induisent de mobiliser des surfaces si importantes que les objectifs visés par Bruxelles seront irréalisables, à moins de grever plus encore notre autosuffisance pour l’alimentation animale et en huile alimentaire.
Compte tenu du niveau de production agricole actuel et de ce qui précède, il est indispensable de mobiliser la recherche scientifique publique dans les domaines agronomiques, génétiques et chimiques pour augmenter les productions dans le respect de l’environnement et dans une logique de développement durable.

2. Rétablissement de la préférence communautaire


Les productions européennes doivent être favorisées et protégées des importations des pays tiers, qui n’interviendraient qu’en cas de déficit de nos productions par rapport à nos besoins. Par contre, il reste bien entendu nécessaire d’ouvrir nos frontières aux productions non concurrentes des nôtres.

3. Avancées significatives vers une harmonisation sociale et fiscale communautaire


Les niveaux de salaires et d’impôts sont très variables d’un pays de l’UE à l’autre, ce qui implique une distorsion de concurrence au sein même de l’UE. Il est faux de penser que l’ouverture des marchés est suffisante pour provoquer les correctifs nécessaires. Même si cette idée était vraie sur le long terme, on ne peut pas faire abstraction de la situation actuelle des entreprises et risquer de ruiner nos dispositifs de protection sociale – voire de placer nos Etats en quasi faillite - par une concurrence sans règles, qui est en fait plutôt un dumping social et fiscal.
Si l’on ne progresse pas vers une telle harmonisation, il faudra réguler le marché européen en fixant des quotas d’importations intra-européennes, des calendriers, des quotas de production, etc.

4. La TVA sociale : Réforme en profondeur du financement de la protection sociale


La protection sociale des agriculteurs et de leurs salariés constitue une charge extrêmement lourde en France et une source de distorsion de concurrence importante par rapport à l’ensemble de nos concurrents directs. Un autre moyen de compenser ces distorsions au sein de l’UE et avec les pays tiers réside dans la mise en place d’une TVA sociale permettant en outre l’allègement du coût du travail et de la protection sociale.

En effet, il est évident que le financement de la protection sociale, dont les règles ont été établies dans une période de plein emploi, est devenu tout à fait inadapté à la situation de l’économie. La Coordination Rurale porte depuis 1997 l’idée de la TVA sociale qui consiste à faire financer la protection sociale non plus sur le coût du travail mais par la consommation. Cette TVA serait appliquée sur tous les biens vendus sur le territoire national, qu'ils soient fabriqués sur ce territoire ou importés de l'étranger. Elle ne s'appliquerait pas aux exportations.

De nombreux arguments militent en faveur de cette mesure :

  • l’évolution démographique du secteur agricole fait que le régime social agricole est déjà en très grande partie alimentée par la fiscalité. La réforme ne changerait donc pas profondément la nature de ce régime ;
  • la spécificité de ce secteur permet un test pilote en grandeur nature sans heurter les résistances générales induites par une réforme globale de la protection sociale ;
  • la compression du revenu agricole du fait de la baisse des prix agricoles est intervenue au bénéfice des consommateurs : le transfert du coût de la protection sociale vers la consommation représenterait donc un juste retour des choses ;
  • la TVA agricole est extrêmement basse ;
  • les agriculteurs français souffrent d’un problème aigu de compétitivité, essentiellement lié au coût de la protection sociale.


Cette 4e proposition est une des voies possibles de l’harmonisation sociale que nous appelons de nos vœux au sein de l’Union Européenne (voir notre 3e proposition). En effet, la TVA sociale pourrait être un outil d’harmonisation progressive en fonction de l’évolution des systèmes sociaux des pays membres. Appliquée d’abord en France, elle pourrait ensuite être étendue progressivement aux autres Etats membres pour devenir à terme le mode de financement de la protection sociale au sein de l’UE.

L’idée de la TVA sociale fait son chemin mais elle a aussi certain nombre de détracteurs, qui sont notamment opposés à l’idée d’augmenter le taux de TVA en estimant que cette mesure serait injuste ou inflationniste. Ces critiques nous semblent infondées, car elles ne tiennent pas compte du fait que le prix de revient des biens baisserait dans une mesure importante (effet de la diminution du coût du travail), ce qui modifierait la formation des prix d’une manière également importante. Il faut donc intégrer la dynamique nouvelle - à nos yeux infiniment plus vertueuse que ce que nous connaissons actuellement – apportée par une vraie réforme structurelle en matière de coût du travail. D’après Henri Guaino, ancien Commissaire au Plan, une telle mesure pourrait apporter près de 30 % de compétitivité à l’économie française. Combien de temps estimera-t-on encore avoir le luxe de pouvoir se priver d’un tel gain de compétitivité – qui ne se ferait pas pour une fois avec la disparition d’un grand nombre d’agriculteurs et le laminage progressif de notre potentiel agricole et alimentaire - dans un contexte de mondialisation effrénée ? Nous pensons qu’il s’agit également d’une vraie mesure structurelle pour lutter contre le chômage, peut-être même de la seule mesure structurelle qui soit aujourd’hui à notre portée.
Remarquons également, pour conclure sur ce point, que l’on peut aussi procéder d’une autre manière – ou d’une manière complémentaire - que par la hausse du taux de TVA, en conservant la logique d’une réforme visant à diminuer le coût du travail. Il s’agirait d’asseoir les cotisations sociales des entreprises sur la valeur ajoutée et non plus sur la masse salariale. On introduirait par ce fait un correctif important à notre système actuel qui pénalise lourdement les entreprises de main d’œuvre.

5. Passer progressivement d’une politique d’aides à une politique de prix rémunérateurs


Une augmentation des prix à la production et une répartition plus équitable des marges permettrait d’atteindre un niveau de prix normalement rémunérateur de la production et donc de supprimer les aides dites compensatoires à la baisse des prix, sans nuire au consommateur (on se rappelle de la faible part de l’alimentation dans le budget et de la part infime des produits agricoles dans cette dernière). D’ailleurs, celui-ci admet parfaitement d’acheter au « juste prix » ses autres biens de consommation ou ses services, car il ne lui viendrait pas à l’esprit de demander une prise en charge par l’Etat d’une partie du coût d’achat de sa voiture ou de sa facture de plomberie sous prétexte qu’il y a moins cher dans d’autres pays du monde.

Nous affirmons qu’il est possible d’augmenter les prix à la production tout en diminuant les prix payés par les consommateurs car les prix agricoles ne représentent qu’une faible part du prix à la consommation (20 % maximum, 4 % pour le pain). Il faut pour cela intervenir sur la formation de la valeur ajoutée dans les filières agro-alimentaires (ce qui implique une grande transparence et un pluralisme syndical au sein des interprofessions) et contrôler les marges abusives pratiquées par les intermédiaires. L’Observatoire des prix et des marges doit à cet égard jouer pleinement son rôle de transparence sur les marges nettes à chaque stade (dont le stade de la production, avec une étude des coûts de revient agricoles), l’Etat ayant ensuite soin de corriger les abus, éventuellement en appliquant des coefficients multiplicateurs maxima entre les prix payés aux producteurs et les prix à la consommation. Les statistiques de l’INSEE crédibilisent notre position : depuis 1992, les prix à la production ont augmenté de 5 %, et ceux à la consommation de 32 % (hors inflation et hors tabac), au grand bénéfice des intermédiaires.

De plus, cette politique enclencherait un cercle vertueux que l’on peut tenter de décrire : augmentation du revenu à l’hectare et donc à terme augmentation du revenu des agriculteurs (alors que les aides vont irrémédiablement diminuer puis disparaître), revalorisation du métier, particulièrement sur le plan moral, avec une dignité retrouvée pour les agriculteurs, maintien des exploitations et attractivité du métier pour les jeunes, augmentation des installations, productions orientées vers la qualité et dans le respect de l’environnement (recherche de la qualité au lieu de la quantité alors que le seul moyen actuel de dégager du revenu est souvent lié au couple surface/rendement), occupation harmonieuse du territoire, dynamisation de l’espace rural, meilleure prospérité de l’économie liée à l’agriculture en amont et en aval …

6. Réforme des organisations communes de marché dans différents secteurs


Une véritable gestion communautaire est nécessaire pour un certain nombre de productions comme, par exemple, la viande (porcine, bovine, ovine, volaille), le vin ou les fruits et légumes. En effet, il n’existe pas à l’heure actuelle de régulation efficace de l’offre pour ces productions, qui subissent une crise profonde depuis de nombreuses années. Il faut donc mettre en place des OCPM par secteur – Organisations Communes des Productions et des Marchés – et organiser non seulement les marchés, mais aussi et tout d’abord les productions qui l’alimentent.
Quant aux secteurs laitier, l’abandon programmé des quotas pour 2015 doit impérativement être compensé par un système beaucoup plus efficace de régulation européenne de la production permettant un ajustement permanent de la production aux besoins de la consommation européenne en n’alimentant le marché pays tiers que lorsque celui-ci est rémunérateur par rapport aux coûts de production intérieurs.
Enfin, on observe déjà les dégâts de la réforme du secteur sucrier vis-à-vis de notre approvisionnement : plus de 15 % de nos besoins sont importés (nous étions en excédent de 15 % en 2005-2006) alors que le cours mondial du sucre subit très régulièrement des flambées historiques. Il est encore temps de revenir, avant qu’il ne soit trop tard, sur l’orientation visant à déréguler totalement la production en faisant également disparaître les quotas sucre en UE.

7. Une rationalisation des coûts de gestion de la PAC


Suivant l’exemple de ce qui se passe en France à l’heure actuelle du fait d’un surdimensionnement de la technostructure agricole par rapport au nombre d’agriculteurs, il est nécessaire de procéder à une réduction des coûts engendrés par cette inadéquation.
Un retour à une PAC de bon sens basée sur des prix rémunérateurs à la production et donc sans aides (et surtout sans aides découplées !) permettrait sans aucun doute de diminuer la coûteuse charge administrative actuelle (et à venir !).

8. Politique en faveur des circuits courts de commercialisation


La grande distribution avec ses 5 principales enseignes occupe une place démesurée dans la commercialisation des produits, ce qui joue très défavorablement sur les prix. Il est nécessaire de rendre aux agriculteurs une certaine maîtrise de la commercialisation de leurs produits, pour le maintien d’une saine concurrence.

Cette situation conduit souvent les responsables agricoles à défendre l’idée d’une concentration parallèle de l’offre, afin de mettre les parties à égalité dans la négociation. C’est pourquoi tout est fait, y compris parfois même avec le soutien du législateur, pour favoriser les organisations de producteurs, et la concentration de l’offre et la contractualisation. Nous pensons que cette concentration et la contractualisation sont de mauvaises réponses à la dérégulation des productions et des marchés. On a d’ailleurs maintenant, avec le recul du temps, la preuve que l’intégration que cela engendre n’a pas permis d’améliorer les prix et le revenu des agriculteurs, loin s’en faut. La réponse à cette situation est plurielle et passe d’abord par des outils d’organisation et de régulation de la production. Indépendamment de ces outils , nous proposons une politique de soutien des circuits courts permettant aux agriculteurs de dégager de la valeur ajoutée. L’existence de ces circuits est essentielle pour permettre aux agriculteurs de comparer les prix et de trouver les meilleures conditions de commercialisation de leur production.

9. Création de normes régionales / Uniformisation des exigences en matière de traçabilité et de normes des produits, source de distorsion de concurrence, au sein de l’UE et pour les importations des pays tiers


Le respect du consommateur et sa sécurité imposent les mêmes exigences donc les mêmes règles pour produire, identifier et tracer les produits agricoles. Il n’est pas admissible, par exemple, de proposer à la consommation des animaux en provenance d’un autre pays, ayant reçu des traitements avec des produits vétérinaires non autorisés en France et dont le producteur d’origine ne peut être identifié avec certitude. Ces distorsions de réglementation induisent des distorsions de concurrence qui font disparaître les éleveurs.
Il est particulièrement absurde de mener une politique aussi contradictoire, car les normes, faites pour protéger les consommateurs, ne jouent plus leur rôle et deviennent des obstacles permanents pour les producteurs européens.

Enfin, pour protéger les petites productions traditionnelles de type artisanal ou fermier vendues sur place et éviter une excessive standardisation des produits, nous demandons la création de normes régionales adaptées.

10. Une politique qui favorise l’autonomie énergétique de l’agriculture et gère les flux de carbone


L’agriculture est actuellement totalement dépendante des énergies fossiles et partage avec les océans la capacité de fixer le carbone de l’atmosphère. La raréfaction puis la disparition des ressources en pétrole est une certitude dont le terme se rapproche. Au contraire de certaines idées reçues, l’agriculture ne permettra pas de produire à la fois les biocarburants et l’alimentation nécessaires aux populations.

La politique actuelle en matière de biocarburants est donc inappropriée car elle se concentre sur une filière industrielle dont ni la ressource en matières premières ni la compétitivité ne sont assurées. Le vrai défi posé à l’agriculture de demain est celui de son autonomie énergétique.

La PAC du XXIème siècle doit pouvoir garantir que l’agriculture demeure en capacité de nourrir de manière durable les hommes, même sans pétrole. Il est donc extrêmement urgent de mettre en œuvre une politique de recherche et de développement de la bioénergie en circuit court plutôt que de monter d’illusoires raffineries vertes à diester ou éthanol dont l’approvisionnement ne pourra pas être assuré ni en quantités, ni en conditions économiques acceptables.
Le développement des productions bioénergétiques ne peut cependant pas s’envisager au mépris de la capacité de production des sols et de leur stabilité face aux risques d’érosion. Ces deux points essentiels dépendent du taux de matière organique, elle-même constituée à partir du carbone de l’air par l’intermédiaire de la photosynthèse.

La PAC du XXIème siècle doit donc désormais prendre également en compte les flux de carbone et les gérer dans la durée, ce qui impose de façon définitive de libérer la PAC de l’UE de la tutelle de l’OMC, aveugle et sourde à ce type de contrainte.

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