G20

En 2009, les émeutes de la faim ont marqué le monde entier en faisant ressurgir au premier plan un spectre que l’on affirmait disparu : le manque de nourriture. Mais le scandale perdure et la FAO (Organisation de l’ONU pour l’agriculture et l’alimentation) estime que 925 millions de personnes  dans le monde souffrent de la faim en 2010.

Ainsi, lorsque le président de la République Française qui préside le G20 a décidé d’y mettre à l'ordre du jour la question agricole en général et la question de la volatilité du prix des matières premières en particulier, on n’a pu  que se féliciter de ce retour au bon sens. L’agriculture est enfin unanimement reconnue pour ce qu’elle est : un secteur stratégique et vital.

Qu’en est-il aujourd’hui, à moins d’un mois de la tenue du G20 agricole en France ? Quels sont les espoirs soulevés par cette prise de conscience des enjeux cruciaux par les plus grandes puissances du monde ? Que devons-nous, agriculteurs européens, attendre - ou craindre - de cette réunion au sommet ?

La question posée par le G20 sur l’agriculture : un mauvais départ !

Pour préparer le plan d’action en matière agricole, la question posée a été la suivante : « comment mieux atténuer et gérer les risques associés à la volatilité des prix des aliments et autres matières premières agricoles, sans créer de distorsion du fonctionnement du marché, dans le but de protéger les plus vulnérables ? »
Même si l’ambition humanitaire de venir en aide aux plus démunis est admirable, la question ne contient-elle pas déjà les limites de l’exercice ? Nous pensons que oui. En effet, elle part de deux postulats que nous rejetons fermement : d’une part, qu’il ne faut surtout pas déstabiliser le fonctionnement actuel du marché agricole, et d’autre part que l’objectif doit se réduire à limiter les conséquences humaines dramatiques de la volatilité des prix agricoles et alimentaires.
Pourquoi cette frilosité ? Cela est très simple et relève de l’idéologie. Nos dirigeants restent persuadés que le libéralisme basé sur la toute-puissance du marché reste la voie souhaitable que doivent emprunter et soutenir les grands pays. Plutôt que de reconnaître que le système est mauvais et de tenter de le réformer en profondeur, ils se contentent de tenter d’en limiter les effets pervers, avec plus ou moins de bonne volonté.
Seule une bonne compréhension pourra nous permettre d’établir un diagnostic fondé et ainsi de faire des propositions adaptées. En fait, la véritable question à se poser est la suivante : quels sont les grands mécanismes qui entrent en jeu dans la volatilité des prix agricoles et quelles en sont les véritables conséquences ?

Les pays du G20 Le G20 vise à favoriser la concertation internationale sur le principe d'un dialogue tenant compte du poids économique croissant pris par un certain nombre de pays. Il s’agit en fait de 19 pays auxquels s’ajoute l’Union Européenne : les membres du G8 (Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Canada et Russie), 10 pays émergents, ainsi que l’Australie et la Corée du Sud. Les pays du G20 représentent 54 % des surfaces agricoles et 65 % des terres arables mondiales. Ils concentrent 80 % des exportations et importations agroalimentaires en valeur. On comprend mieux leur volonté de ne pas agir pour réguler les échanges ! Les pays émergents, comme l'Argentine et le Brésil, s’opposent à toute limitation des prix des matières premières agricoles. En effet, il y a quelques années alors que les cours étaient bas, ils devaient exporter de plus en plus de matières premières pour importer des produits manufacturés. Maintenant que le prix des matières premières leur est plus favorable, ils refusent la régulation.

 

Les axes de réflexion du G20 : une approche superficielle et des espoirs déçus

Alors que la Présidence française du G20 affichait de prime abord une volonté forte de résoudre le problème de la volatilité des prix agricoles, on a vu peu à peu ses positions s’affaiblir…

De la régulation des marchés agricoles internationaux…

Début 2011, la France avait rédigé ses premières propositions en matière agricole, qui reposaient sur deux piliers majeurs : d’une part l’aide financière et la recherche favorisant l’investissement et le transfert technologique dans les pays en voie de développement pour les aider à produire ; d’autre part une meilleure régulation des marchés agricoles internationaux.
Cette reconnaissance implicite de la responsabilité du fonctionnement du marché des matières premières agricoles dans la problématique de la faim dans le monde constituait une avancée considérable sur le plan théorique : cela faisait bientôt 20 ans que la CR le martelait, sans pour autant parvenir à convaincre les pouvoirs publics.

Hélas, les pistes envisagées par le G20 témoignent d’une vision bien trop superficielle pour parvenir à une véritable régulation du marché :

  • Améliorer la coordination internationale dans des situations de crise sur les marchés ;
  • Renforcer la transparence des marchés, en particulier sur l'état des stocks agricoles ;
  • Réhabiliter des politiques de stock d'urgence ;
  • Réguler les marchés financiers dérivés des matières premières agricoles ;
  • Protéger les pays pauvres importateurs, grâce au développement d'instruments de couverture des risques.

Concernant l’état des stocks, il existe des statistiques mensuelles sur le sujet publiées par le Conseil International des Céréales et on dispose donc déjà d’une très bonne information (voir graphique à la page 4). Des informations sur les stocks ou le marché ne remplaceront jamais la régulation effective, qui implique bien l’existence d’une coordination internationale. De la même manière, la couverture des risques ne fera pas manger ceux qui ont faim.

…à la volonté d’empêcher toute restriction aux exportations !

Globalement, les organismes internationaux (FAO, OCDE, Banque Mondiale, FMI, etc.) ont confirmé les pistes avancées par la France. Mais ils évoquent aussi une réglementation à mettre en place … pour les décisions qui bouleversent le libre commerce ! En fait, il s’agit de limiter les restrictions aux exportations, ce qui revient à s’opposer aux pays (comme l’Argentine il y a quelques mois) souhaitant œuvrer pour leur sécurité alimentaire. L’idéologie libre-échangiste a encore pris le pas sur les bonnes volontés affichées ! Le fait que la FAO soit partie prenante de cette position montre que le combat est loin d’être gagné pour les agriculteurs du monde entier.

Développer la production agricole et mettre en place des stocks d’urgence

Pour les Etats-Unis et l’Argentine, c’est en augmentant la production agricole que l’on stabilisera le marché et résoudra le problème de la faim dans le monde. Du coup, la France a revu sa copie présentée au Conseil de l’UE en y ajoutant ce point.

Cela sous-entend que le problème central est le manque de nourriture. C’est vrai ponctuellement à un endroit et un moment donnés, mais ne serait-ce pas plutôt un problème de répartition de la nourriture et d’accès à des prix raisonnables pour les populations pauvres ?

Le paradoxe est que ceux qui souffrent de la faim dans le monde sont pour la grande majorité des paysans. Certes, investir pour les aider à augmenter leur productivité est intéressant, mais cela sera-t-il suffisant ? Quand on voit les difficultés économiques graves que traversent les agriculteurs européens – malgré leurs performances techniques et les aides -, on peut en douter… La crise touche toutes les agricultures, elle n’épargne personne. Cela témoigne de la profondeur du malaise.

Le problème central réside bien dans les prix. Souvent trop faibles au moment de la récolte lorsque les agriculteurs vendent leurs produits, ils sont ensuite trop élevés lorsqu’ils achètent leur nourriture. D’où l’importance de développer les capacités de stockage individuelles pour attendre un marché plus favorable, mais aussi de créer des stocks tampons pour absorber les flambées des cours. Ces stocks peuvent résoudre une partie du problème, mais ne peuvent pas garantir à eux seuls de stabiliser des prix.

Réguler les volumes et le marché pour réguler les prix : nos propositions

Et les agriculteurs de l’UE dans tout ça ? Sont-ils considérés comme devant bénéficier eux aussi du G20 ? C’est peu probable. Pour eux, pas de régulation en vue puisque la préférence communautaire  est synonyme de protectionnisme, et que c’est un gros mot pour le G20, voire le pire des maux !

Faut-il des règles plus claires ou changer le système ?

Il est évident que le marché à lui seul ne permet pas de gérer les stocks de produits agricoles et alimentaires, de réguler les prix de ces produits, ni d’en contrôler la qualité. D’où la nécessité d’une intervention publique avec une politique agricole qui apparaît donc comme un équilibre : une sorte d’alliance entre les consommateurs et les agriculteurs. Notre but n’est pas de critiquer globalement la mondialisation, mais de démontrer que le secteur de l’agriculture, très spécifique, est absolument incompatible avec le libre-échange mondial et doit donc faire l’objet d’une politique particulière.

 

Pourquoi persiste l’idéologie folle consistant à vouloir maintenir les règles du commerce international sur les produits agricoles ?

La raison plus évidente est que les secteurs agro-industriel et commercial réalisent de gros bénéfices à court terme, en jouant sur les énormes différences de prix des matières premières agricoles entre les pays.

La 2ème raison résulte du poids très importants des pays d’Amérique, d’Océanie et plus récemment d’Asie, qui sont structurellement exportateurs sur certains produits et veulent donc supprimer tout obstacle aux frontières des autres nations pour asseoir leur domination économique.

La 3ème raison, plus perverse, découle du fait qu’en agriculture, un faible excédent suffit à “ casser ” les prix à la production (une importation de 5 % du volume d’un marché en équilibre suffit pour créer cet excédent). C’est ce que décrit la « loi de King ». Cette sanction du marché est souvent brutale et ample et la baisse des prix à la production est rarement répercutée à la consommation. Les intermédiaires spéculateurs, de plus en plus nombreux sur le marché des matières premières agricoles, empochent le bénéfice de l’opération.

En fait, le prétendu libre-marché mondial est incapable d’approvisionner les peuples et d’établir des justes prix : il n’est en réalité qu’un casseur des vrais marchés (qui sont régionaux) au profit des intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs, également victimes de ce laisser-faire.

L'exception agriculturelle à l'OMC

Tant que les produits agricoles ne feront pas l’objet d’un traitement spécifique à l’OMC, par l’exception agriculturelle, toute tentative de régulation du marché – qu’elle parte d’une volonté réelle ou simplement affichée - sera vouée à l’échec. Mais n’est-ce pas finalement la volonté des dirigeants de maintenir le statu quo sur ce point tout en donnant l’impression de le prendre comme un objectif primordial ? La volonté de nos gouvernants de résoudre le problème a des limites et des tabous. Hélas, la régulation du marché en fait partie !

Les dangers liés à la dépendance des importations

Les spécificités des produits agricoles par rapport aux produits industriels impliquent qu’ils ne peuvent pas faire l’objet du même traitement du point de vue du marché. Ils dépendent des conditions locales, sont soumis à de nombreux aléas et surtout, autant on peut vivre sans tel ou tel produit industriel, autant il est impossible de vivre sans manger !

Or, les règles actuelles du commerce mondial dictées par l’OMC obligent les pays ou groupes de pays comme l’UE à importer une certaine quantité de produits sur le marché mondial. Même si ces quantités ne sont pas forcément la majorité, la distorsion de concurrence induite avec le même produit local, dont le prix est plus cher puisque le marché mondial est un haut lieu de dumping (voir plus bas), entraîne progressivement la disparition des producteurs locaux, qui sont donc remplacés par des importations.

Le danger pour un pays d’être largement dépendant des importations pour l’approvisionnement alimentaire de sa population est réel. Après les émeutes de la faim, la très forte volatilité des cours des céréales de 2010, alimentée par un accident climatique non prévisible tel que la sécheresse en Russie, nous l’a encore rappelé. Aucun pays ou groupe de pays ne devrait donc raisonnablement accepter de renoncer à gérer souverainement sa sécurité alimentaire quantitative et qualitative.

Le cours mondial ne doit pas servir de référence pour les prix agricoles

La logique du commerce mondial des produits agricoles n’est pas basée sur celle de l’économie qui veut que le prix de vente soit déterminé par le coût de production. Il s’agit ici d’un ajustement de l’offre et de la demande sur le marché mondial, sachant qu’une faible proportion de produits agricoles y est échangée. Comme la demande solvable y était souvent un peu moins importante que l’offre, les prix pratiqués étaient des prix de braderie, ce qui a ruiné et fait disparaître de nombreux agriculteurs. Les états riches et puissants voyaient là un coup de pouce à la consommation intérieure autre qu’alimentaire, grâce à une alimentation supposée moins chère.

Stocks mondiaux : Blé et céréales secondaires, en jours de consommation et nombre de personnes mal nourries sur la planète

Mais depuis 2007, la tension sur les stocks de céréales a révélé l’insuffisance de la production agricole pour nourrir correctement le monde. La variation des cours mondiaux est considérable et les mouvements spéculatifs accentuent  les effets de cette tension. Les prix qui étaient montés en 2007 ont été cassés par la crise économique et ont retrouvé un niveau de braderie jusqu’à l’été 2010, puis ont repris leur hausse qui perdure.

La volatilité n’a intéressé le G20 que parce que les prix mondiaux élevés contrarient leur stratégie de baisse du prix de l’alimentation. Il continue d’ignorer qu’on ne peut établir un “ juste prix ”, entre des producteurs dont les coûts de production varient énormément dans le monde, et une poignée d’acheteurs qui dictent leur loi.

Le G20 vise donc une stabilité des marchés mais avec des cours mondiaux agricoles bas qui ne reflètent qu’une valeur virtuelle. Tant que le marché mondial (très faibles quantités) et les marchés locaux (majorité des produits) ne seront pas cloisonnés grâce à des politiques agricoles nationales ou régionales stabilisatrices, on n’aboutira qu’à l’échec.

L’Union européenne est déficitaire sur le plan alimentaire

Recentrons-nous un peu sur l’Europe. Peu  de gens savent que l’agriculture européenne ne produit pas à hauteur des besoins de la population. Ce déficit alimentaire qui existe sur le plan global – il manque selon certaines études l’équivalent de la  surface agricole française pour le combler -, touche également des produits de première nécessité comme le sucre (depuis 2007) ou la viande bovine (depuis 2002) par exemple.. Mais notre déficit le plus grave concerne l’alimentation animale pour laquelle nous importons 75 % des protéines, le plus souvent d’Amérique latine, et qui sont donc OGM.

Certains organismes se sont félicités d’un excédent de la balance commerciale européenne en 2010. Nous tenons à relativiser. D’une part cela serait uniquement en valeur et non pas en volume, ce qui signifie que concrètement, nous ne produisons toujours pas assez pour satisfaire nos besoins, mais en outre la nomenclature utilisée par l’UE pour faire ses statistiques comprend des produits qui n’ont rien à avoir avec des produits alimentaires. On peut d’ailleurs s’interroger sur le fait que cette classification des produits soit privilégiée par l’UE au détriment d’autres, utilisées par de grands organismes internationaux, qui seraient beaucoup plus pertinentes et fonctionnelles.

 

Pour une autre organisation mondiale des agriculture

Tout paysan doit pouvoir vivre dignement de son travail en vendant à des prix supérieurs à ses coûts de revient. Il s’agit de revenir à une réalité économique qu’on ne nie pas aux autres secteurs. Pour ce qui est des pays développés, il serait d’autant plus facile de relever les prix agricoles (ce qui solutionnerait la plupart des problèmes) qu’aujourd’hui le prix de la matière brute agricole est devenu dérisoire par rapport au coût de l’aliment acheté par le consommateur.

La CR porte la proposition de créer « une organisation mondiale de l’agriculture » qui devrait être établie sous l’égide de la FAO et aurait comme objectif d’établir une paix commerciale nécessaire pour obtenir une agriculture  et un développement durables. Le système serait basé sur une sorte de bourse mondiale ou chaque pays ou union économique ferait part de ses offres et de ses besoins, en définissant des prix d’achat minimum afin de ne pas entrer en concurrence avec la production intérieure, l’objectif demeurant de tendre autant que faire se peut vers l’indépendance alimentaire.

Les énormes dégâts provoqués par les politiques actuelles sont devenus évidents. Au-delà du scandale de la faim dans le monde, la ruine des paysans conduit finalement à se priver de la moitié des consommateurs du globe... Hélas comme on l’a vu, le G20 est bien loin de prendre le taureau par les cornes et se contentera au mieux de mesurettes qui ne changeront rien au problème de fond.

L’exception agriculturelle à l’OMC doit être admise comme moyen indispensable à mettre en œuvre pour sauvegarder nos cultures, nos terres, notre environnement et pour mettre un terme à la faim et au sous-développement dont souffre la moitié de l’humanité. A défaut de remettre en cause le joug de l’OMC sur lagriculture nourricière du monde, le prochain « sommet agricole » du G20 ne sera qu’une coûteuse et vaine opération de médiatisation politique.

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