La Commission européenne a présenté en novembre dernier sa communication pour la Politique Agricole Commune (PAC) après 2013, à l'horizon, très court, de 2020. Alors que la sécurité alimentaire est annoncée comme un défi majeur, les options envisagées ne résoudront en rien l’échec unanimement reconnu d’une PAC qui ne respecte plus les objectifs des traités fondateurs de l’Europe.
La PAC, politique qui consiste à mettre l’économie au service de la paix, de l’intérêt général des citoyens et des états, a perdu peu à peu de son essence pour devenir « une PAC au service de l’OMC ».

Une PAC en contradiction avec le Traité de Lisbonne

Avec la PAC, les agriculteurs vivent une erreur historique et en sont malgré eux les acteurs. Les responsables politiques français et européens affirment que ce n’est pas la bonne route, mais ils ne remettent pas en cause les fondements qui mènent sur ce mauvais cap et continuent invariablement dans cette direction.

L’administration et les parlementaires européens ont la mission d’appliquer tous les articles du Traité de Lisbonne. Or, il faut bien constater qu’il y a un énorme problème dès le premièrement de l’article III-227, qui stipule que la politique agricole commune a pour but :

1.    « d'accroître la productivité de l'agriculture en développant le progrès technique et en assurant le développement rationnel de la production agricole ».

Il n’est aucunement question ici de compétitivité qu’on met systématiquement en avant comme argument central pour se tourner vers le marché et faire disparaître les agriculteurs les plus faibles, mais bien de productivité qui pourrait en sauver beaucoup et qui n’est par contre jamais évoquée...

2.    « d'assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l'agriculture ».

Les candidats au RSA sont de plus en plus souvent des agriculteurs qui ont su surmonter leur répugnance à s’y inscrire pour tenter de survivre.

3.    « de stabiliser les marchés».

La volatilité actuelle des marchés des matières premières agricoles, dénoncée par tous, est une injure au Traité. La régulation des marchés, qui seule peut résoudre ce problème de fond, est parfois évoquée par les mêmes qui désarment les outils de régulation des productions, indispensables pour stabiliser les marchés. Les moyens proposés sont des outils financiers (marchés à terme) ou assurantiels. Les premiers seront, au mieux, inefficaces dans un marché équilibré, au pire, accélérateurs de volatilité en cas de déséquilibre. Les seconds constitueront quant à eux un coût supplémentaire pour réparer des dégâts prévisibles mais n’ayant pas fait l’objet de prévention.

4.    « de garantir la sécurité des approvisionnements »

On ne peut garantir que la quantité et la qualité de ce que l’on produit. Or, le déficit agricole de l’Union est évalué à une superficie équivalente à 35 millions d’hectares par une étude allemande récente, soit largement plus que la Surface Agricole Utile française. En valeur, il s’est situé constamment autour de 8 milliards d’euros depuis 2000. Malgré cet état de fait, le mythe des excédents européens reste soigneusement entretenu…

5.    « d'assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs »

salade

Là aussi, c’est l’échec total quand on sait que les prix à la consommation n’ont jamais cessé de grimper alors qu’ils se sont effondrés à la production. Le blé étant aujourd’hui au prix de 1988 et il y a quelques mois à celui de 1973, les consommateurs voudraient bien retrouver du pain au prix de ces années-là...

L’erreur majeure de la Commission est de vouloir placer tout le monde sous l’autorité de la main invisible du marché et pour y parvenir elle tente de réécrire la partie agricole du traité.
Elle a lancé très discrètement une consultation publique par Internet le 23 novembre dernier (en anglais uniquement…) pour analyser l'impact des trois scénarii dévoilés le 18 novembre par la Commission européenne et qui forment le socle de ses propositions. L’introduction rappelle que le Traité de Lisbonne a confirmé les objectifs de la PAC, mais ajoute aussitôt : « Cependant, les défis à relever par l'agriculture de l'UE sont devenus plus larges et plus complexes à cause de l’interdépendance des questions économiques, sociales et environnementales et de leur dimension globale ». Cela justifierait de substituer de nouveaux objectifs aux objectifs initiaux de la PAC…

Un projet de PAC intolérable

Les premières propositions de la Commission, dans la continuité de la réforme de 1992, confondent cause et conséquence et ne traitent que de la manière d’utiliser le budget en omettant de fixer au préalable les missions de la PAC.

Le scénario « moyen » privilégié, est celui d’une PAC axée sur une surenchère environnementale. Il punira ceux qui ne pourront y faire face, en réduisant leurs aides. Les autres verront certes l’aumône de l’Europe augmenter, mais sans pouvoir compter couvrir leurs coûts de revient, puisque aucune régulation des productions et des marchés ne viendra les protéger de la concurrence du marché mondial.

Dans le détail, cette communication de la Commission est un des documents les plus superficiels et aberrants qu’elle a produit depuis 1992.

La Commission a une approche uniquement budgétaire de la PAC. Le mot « équitable » n’est associé qu’aux aides et hélas à aucun moment aux prix agricoles. Il n’est nullement mentionné que les agriculteurs doivent vivre du fruit de leur travail.

tournesol

La notion de « production de biens publics » répétée 8 fois dans le texte, est issue d’une dialectique très idéologique. « Paysan, un métier d’utilité publique », fait maintenant partie du vocabulaire de la commission européenne et bizarrement aussi de celui du syndicalisme officiel comme dernier argument pour justifier les aides compensatoires de baisses de prix, devenues primes PAC, puis DPU. Des noms qui changent comme ceux de mauvais produits commerciaux que l’on tente de relancer.

Le bilan désastreux de l’OMC pour l’agriculture mondiale est totalement omis par la Commission. Le solde de la balance commerciale agro-alimentaire de l’UE qui a toujours été négatif, n’est jamais évoqué, tout comme le fait que l’UE est le premier importateur mondial de produits alimentaires (la dépendance à l’égard du continent américain en matière de protéines végétales ne fait l’objet d’aucune proposition, les importations des pays tiers qui ruinent de nombreux secteurs de productions sont ignorées), sans compter la chute vertigineuse du nombre d’agriculteurs.

La répétition de l’expression « changements climatiques », 22 fois en 14 pages, souligne l’incapacité à traiter les sujets centraux.

Une alternative est possible pour la PAC du XXIe siècle

« Il est possible d’inverser le cours » a martelé Michel-Jean Jacquot, avocat et spécialiste du droit communautaire et ancien directeur du FEOGA, lors de notre dernier Congrès National de la Grande Motte le 8 décembre. Une autre PAC est envisageable : une PAC assurant durablement aux consommateurs la sécurité alimentaire avec des prix stables et raisonnables, pourvoyeuse d’emplois, permettant une occupation harmonieuse de nos territoires. Cette PAC administrativement simplifiée, serait beaucoup moins coûteuse et permettrait à l’immense majorité des agriculteurs de vivre de leurs productions sans dépendre d’aides. Pour l’atteindre, la CR présente 10 propositions fidèles aux idées qu’elle défend depuis sa création.

1.    Le rééquilibrage de nos productions

Il faut réduire les superficies de céréales correspondant à l’excédent vis-à-vis de nos besoins et développer les cultures oléagineuses et protéagineuses pour l’alimentation des animaux (et non pas pour les biocarburants) sur les surfaces libérées par les céréales et sur l’ensemble des surfaces gelées.

2.    Le rétablissement de la préférence communautaire

Les productions européennes doivent être favorisées et protégées des importations des pays tiers, qui n’interviendraient qu’en cas de déficit de nos productions par rapport à nos besoins. Par contre, il reste bien entendu nécessaire d’ouvrir nos frontières aux productions non concurrentes des nôtres.

3.    Une harmonisation sociale et fiscale communautaire

Les niveaux de salaires et d’impôts sont très variables d’un pays de l’UE à l’autre, ce qui implique une distorsion de concurrence au sein même de l’Union. Il est faux de penser que l’ouverture des marchés est suffisante pour provoquer les correctifs nécessaires.

4.    La TVA sociale : une réforme en profondeur du financement de la protection sociale

La protection sociale des agriculteurs et de leurs salariés constitue une charge extrêmement lourde en France et une source de distorsion de concurrence importante par rapport à l’ensemble de nos concurrents directs.
La Coordination Rurale porte depuis 1997 l’idée de la TVA sociale qui consiste à faire financer la protection sociale non plus sur le coût du travail mais par la consommation.
La TVA sociale pourrait être un outil d’harmonisation progressive en fonction de l’évolution des systèmes sociaux des pays membres.
Tri prunes

5.    Un passage progressif d’une politique d’aides à une politique de prix rémunérateurs

Une augmentation des prix à la production et une répartition plus équitable des marges permettrait d’atteindre un niveau de prix normalement rémunérateur de la production sans nuire au consommateur.
Il est possible d’augmenter les prix à la production tout en diminuant les prix payés par les consommateurs car les prix agricoles ne représentent qu’une faible part du prix à la consommation (20 % maximum, 4 % pour le pain). Il faut pour cela intervenir sur la formation de la valeur ajoutée dans les filières agro-alimentaires (ce qui implique une grande transparence et un pluralisme syndical au sein des interprofessions). Les statistiques de l’INSEE crédibilisent notre position : depuis 1992, les prix à la production ont augmenté de 5 %, et ceux à la consommation de 32 % (hors inflation et hors tabac), au grand bénéfice des intermédiaires.

6.    Une réforme des organisations communes de marché dans différents secteurs

Une véritable gestion communautaire est nécessaire pour un certain nombre de production comme, par exemple, la viande (porcine, bovine, ovine, volaille), le vin ou les fruits et légumes. En effet, il n’existe pas à l’heure actuelle de régulation efficace de l’offre pour ces productions, qui subissent une crise profonde depuis de nombreuses années. Il faut mettre en place des Organisations Communes des Productions et des Marchés par secteur et organiser non seulement les marchés, mais aussi et tout d’abord les productions qui l’alimentent.

7.    Une rationalisation des coûts de gestion de la PAC

Il est nécessaire de procéder à une réduction des coûts engendrés par le surdimensionnement de la technostructure agricole par rapport au nombre d’agriculteurs et la coûteuse charge administrative engendrée par les aides.

8.    Une politique en faveur des circuits courts de commercialisation

Face à la concentration de la grande distribution sur 5 enseignes, des responsables agricoles défendent l’idée d’une concentration parallèle de l’offre, afin de mettre les parties à égalité dans la négociation. Ainsi, tout est fait pour favoriser les organisations de producteurs, la concentration de l’offre et la contractualisation.
Ce sont de mauvaises réponses à la dérégulation des productions et des marchés. La solution passe d’abord par des outils d’organisation et de régulation de la production, qui seraient utilement complétés par une politique de soutien des circuits courts permettant aux agriculteurs de dégager de la valeur ajoutée.

9.    La création de normes régionales et l’uniformisation des exigences en matière de traçabilité et de normes des produits

Il n’est pas admissible, par exemple, de proposer à la consommation des animaux en provenance d’un autre pays, ayant reçu des traitements avec des produits vétérinaires non autorisés en France et dont le producteur d’origine ne peut être identifié avec certitude.
Les normes, faites pour protéger les consommateurs, ne jouent plus leur rôle et deviennent des obstacles permanents pour les producteurs européens.

10.    Une politique qui favorise l’autonomie énergétique de l’agriculture

L’agriculture est actuellement totalement dépendante des énergies fossiles. La raréfaction puis la disparition des ressources en pétrole est une certitude dont le terme se rapproche.
La PAC du XXIe siècle doit pouvoir garantir que l’agriculture puisse nourrir durablement les hommes, même sans pétrole. Il est urgent de mettre en œuvre une politique de recherche et de développement de la bioénergie en circuit court plutôt que de monter d’illusoires raffineries vertes à diester ou éthanol dont l’approvisionnement ne pourra pas être assuré ni en quantité, ni en conditions économiques acceptables.


Il est indispensable de faire évoluer la réflexion et l’action. C’est à la fois simple et très compliqué car c’est essentiellement du ressort des acteurs politiques. Le préalable serait de mettre un terme aux concessions faites par les négociateurs européens à l’OMC et de reprendre tout ce qui a été abandonné.

La France qui préside cette année le G20, peut et doit être le fer de lance de cette réorientation. Le secteur stratégique qu’est l’agriculture doit être défendu contres les agressions de l’OMC. A l’heure de reconstruire la PAC, l’Europe a un rendez-vous crucial avec l’histoire. :

  • soit elle rompt avec la direction prise en 1992 et elle sort l’agriculture des griffes de l’OMC en faisant reconnaître l’exception agriculturelle : ses agriculteurs seront alors « la solution » pour un XXIe siècle de prospérité économique et sociale.
  • soit elle se couche et l’agriculture passera aux mains de quelques grosses multinationales qui auront accaparé la première puissance agricole du monde en asservissant ses paysans et en tenant sa population en otage.

Comment en est-on arrivé là ? (d’après l’intervention de Michel-Jean Jacquot au Congrès de la CR de 2010)
Depuis près de 25 ans, le commerce agricole est considéré par l’OMC, à tort, comme identique au commerce des autres marchandises.
En 1986, la Déclaration de Punta del Este marque le début du cycle d’Uruguay, négociation qui durera sept ans et demi (presque deux fois plus que ce qui était prévu à l’origine). L’objectif des parties (133 pays, dont les États-Unis et la Communauté Européenne) est de pallier le « désordre » des marchés agricoles mondiaux. Si l’idée semble bonne, la réalité montrera hélas que le « désordre » ne s’améliorera pas ! L’erreur fondamentale est commise par le Ministre de l’agriculture français de l’époque, François Guillaume, qui fut Président de la FNSEA de 1979 à 1986 : accepter de mettre en place un système de commerce des produits agricoles axé sur le marché. C’est ainsi que l’agriculture rentre au cœur des négociations qui libéraliseront officiellement le commerce des produits agricoles, avec l’accord de 1994 qui transforme en outre le GATT en OMC. La Communauté  Européenne s’opposera timidement à certaines propositions, mais l’adoption de la réforme catastrophique de la PAC en mai 1992 était déjà le signe de sa soumission idéologique...
A partir de là, les prix des produits agricoles entament leur tendance à la baisse et leur instabilité est désormais la règle.
Le nouveau cycle de négociation entamé en 2001, appelé cycle de Doha, n’a pas laissé espérer un quelconque changement positif : la libéralisation des échanges agricoles reste un des principaux objectifs.
En novembre dernier, les Etats du G20 ont pris un engagement fort pour conclure positivement le cycle de Doha.
« Si nous laissons encore faire les choses, nous aurons une PAC à l’horizon 2020 axée sur le marché de dupes pour les agriculteurs ! » a prévenu Michel-Jean Jacquot. Il est temps de mettre un terme à ce cercle vicieux et de faire entendre raison aux interlocuteurs décideurs !

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