La Coordination Rurale (CR) s’oppose aux dispositions et à la rédaction de la Loi de restauration de la nature, et reste vigilante sur la suite du processus législatif qui va se poursuivre par les négociations entre le Parlement et le Conseil. La CR espère que la France saura faire entendre sa voix pour limiter au maximum les impacts de ce règlement sur l’agriculture et surtout à ne pas revenir à la première version de la Commission.

La semaine dernière, le Parlement européen a adopté, d’une courte majorité en première lecture, un règlement relatif à la restauration de la nature (consulter le texte : format docformat PDF). Les députés européens ont retenu divers amendements qui, heureusement, édulcorent le texte initial de la Commission. La Coordination Rurale salue cette attitude plutôt positive mais regrette qu’ils n’aient pas tout simplement retenu l’avis de la commission agricole et du développement durable qui proposait de rejeter le texte(1).

Si la suppression par le Parlement européen de l’article 9 sur la restauration des écosystèmes agricoles est un signal fort envoyé à la Commission européenne et au Conseil, qui l’avait lui conservé dans sa position ; un compromis devra toutefois être trouvé sur cet article lors des trilogues…

Ce texte, qui va poursuivre le processus législatif européen, est suffisamment flou et imprécis pour devenir un fléau pour notre agriculture. La Coordination Rurale s’inquiète en effet de la forte l’utilisation d’un vocabulaire imprécis (« bon » ; « suffisant » ; « favorable »…), lequel peut laisser place à des interprétations variées.

C’est le même type de vocabulaire qui est utilisé pour la conservation du loup, et on ne sait toujours pas définir, ou s’entendre, de manière chiffrée sur ce qu’est « un état favorable de conservation ».

La Commission européenne devrait s’assurer que les textes qu’elle produit (notamment ceux qui découlent du Green Deal) ou qu’elle doit faire appliquer (la PAC en particulier), garantissent des revenus « suffisants » aux agriculteurs, et des conditions « favorables » à l’exercice du métier…

Les points négatifs

Le texte donne pour objectif aux États membres de mettre en place des mesures de restauration sur les zones :
• Natura 2000 (article 4.1)
• Les zones type Natura 2000 qui ne sont pas couvertes par la protection Natura 2000 (article 4.2)
• Habitat des espèces énumérées aux annexes II, IV et V de la directive 92/43/CEE et de la directive 2009/147/CE (article 4.3)

En 2030, ces zones doivent représenter 20 % des zones terrestres et 20 % des zones marines. Pour 2050, ce sont l’ensemble des écosystèmes ayant besoin d’être restaurés qui seront concernés.

Il est donc à craindre un renforcement des mesures contraignantes pour les exploitations situées en zone Natura 2000 ; elles représentent actuellement 12.9 % de la surface terrestre métropolitaine – 18.5 % en Europe(2)). La CR est tout particulièrement inquiète au regard du dernier point ci-dessus. Ces annexes couvrent une liste pléthorique d’espèces animales et végétales qui pourrait conduire à mettre en place des mesures sur une grande partie du territoire. Par exemple, le loup figure en annexe IV (« intérêt communautaire qui nécessite une protection stricte »). Comment définir l’habitat de cette espèce qui est justement capable de coloniser tous types d’écosystèmes ?

L’annexe VII du règlement donne des exemples de mesures pour aboutir à la restauration de ces zones dont certaines visent directement le secteur agricole.

15) Installer des particularités topographiques à haute diversité sur les terres arables et les prairies exploitées de manière intensive, telles que des bandes tampons, des bordures de champs à fleurs indigènes, des haies, des arbres, des petites forêts, des murs en terrasses, des étangs, des corridors d’habitats et des sentiers dallés, etc.

16) Augmenter la superficie agricole gérée selon des approches agroécologiques telles que l’agriculture biologique ou l’agroforesterie, la polyculture et la rotation des cultures ou la gestion intégrée des ennemis des cultures et des nutriments.

17) Réduire l’intensité de pâturage ou le régime de fauche dans les prairies, le cas échéant, et rétablir le pâturage extensif du bétail domestique et des régimes de fauche extensive dans les cas où ils ont été abandonnés.

18) Arrêter ou réduire l’utilisation de pesticides chimiques ainsi que d’engrais chimiques et d’effluents d’élevage.

19) Mettre un terme au labourage des prairies et à l’introduction de semences de graminées productives.

Les agriculteurs appliquent déjà certaines de ces mesures, à travers la conditionnalité de la PAC ou les BCAE. Elles peuvent être particulièrement contraignantes et limiter la production agricole. Leur renforcement, sans en connaître l’intensité à ce stade, pourrait être très pénalisant. Quant aux deux dernières citées ci-dessous, elles sont totalement déconnectées des enjeux agricoles et de la nécessité d’œuvrer pour la sécurité alimentaire.

Des exemples de mesures concernant l’eau, inquiètent également la Coordination Rurale :

1) Restaurer les zones humides en remettant en eau les tourbières drainées, en supprimant les structures de drainage
6) Supprimer les obstacles longitudinaux et latéraux (tels que les digues et les barrages), donner plus de place à la dynamique des cours d’eau et rétablir des tronçons à courant libre.

Durant plusieurs années, la France a encouragé la destruction des retenues d’eau en rivière. Ces petites retenues d’eau, constituées pour l’essentiel de milliers de chaussées de moulins à eau (petits barrages en rivière de faible hauteur), retiennent depuis des siècles des centaines de millions de m3 d’eau douce dans nos rivières, ralentissent les écoulements et jouent un rôle majeur dans le cycle de l’eau de nos vallées. Sans parler du fait que ces barrages sont aussi grands que ceux réalisés par les castors et ne perturbent en aucun cas le passage des poissons.
Leur destruction en France a représenté une perte de plusieurs dizaines de millions de m3 d’eau douce soustraite à nos rivières et qui ne participe dorénavant plus à l’alimentation de nos nappes comme elle le faisait pourtant depuis des siècles. Les études sont claires, les sécheresses et les canicules vont succéder aux inondations, il est fondamental de conserver ces mini-retenues qui sont comme une éponge en été. Pour la CR, il est impensable que cette erreur écologique, que nous avons réussie à stopper en France, soit approuvée au niveau européen.

Enfin, la CR s’interroge sur le calendrier de mise en œuvre du règlement, et surtout sur son financement, puisque rien n’est prévu dans le cadre financier actuel pour ce texte.

Dans l’article 18.6bis, le Parlement a adopté un amendement qui indique que « dans les 12 mois à compter de l’entrée en vigueur du présent règlement, la Commission présente des propositions de mesures adéquates supplémentaires, y compris financières, pour remédier aux lacunes recensées, comme la création d’un instrument spécifique, et sans préjuger des prérogatives des colégislateurs pour l’adoption du cadre financier pluriannuel pour l’après 2027 ».

Dans l’intervalle entre l’entrée en vigueur du texte et l’éventuelle création d’un instrument financier adéquat, qui va supporter les charges financières et leurs conséquences ?

Les points positifs

L’abandon de l’article 9 est certainement le point le plus positif. De plus, beaucoup d’amendements adoptés visent à limiter les impacts de ce texte. L’impact socio-économique des mesures devra être estimé (article 12). La Commission devra s’assurer qu’elles n’occasionnent pas une délocalisation de la production agricole en dehors de l’UE (Article 14). Le texte évoque également la nécessité d’adapter la politique commerciale de l’UE (accords de libre-échange) aux exigences de ce texte par l’application de clauses miroirs. La CR ne peut que saluer cette volonté qui n’est malheureusement présente que dans les considérants.

Le règlement n’est pas explicite sur le financement des mesures de protection, mais l’article 11 stipule clairement qu’il ne doit pas être fait usage des crédits de la PAC pour mettre en place les mesures de restauration. Est-ce un vœu pieux puisque, comme indiqué précédemment, le texte pourrait s’appuyer sur le renforcement de mesures déjà imposées aux agriculteurs via la PAC justement ?

Dernier point positif, qui est essentiel pour la CR : la cohérence des différentes réglementations. Cette nécessité de cohérence avec la PAC et le PSN est clairement mentionnée et pourra permettre d’avancer des arguments concrets et non-opposables lors de la mise en œuvre de texte.

Les craintes d’une application française stricte et aveugle (comme d’habitude)

C’est souvent le problème avec la législation européenne, elle est suffisamment floue pour s’adapter à l’ensemble des États membres et il faudra donc attendre la version française décrite via un Plan Stratégique de restauration. La CR reste très fébrile, malgré l’atténuation de la portée du texte, sur la lecture que pourra en faire l’administration française qui est bien souvent coupable de surtransposition provoquant des distorsions de concurrence avec les agriculteurs des autres pays de l’UE. Avant que la France ne se penche en détail sur l’application de règlement, celui-ci sera acté et servira certainement de justification à des mesures contraignantes pour les agriculteurs.

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