Tracteur

Les interprofessions sont méconnues des agriculteurs. Et pourtant, elles fixent de nombreuses règles qui interviennent dans le travail quotidien : règles de commercialisation, prix, critères qualitatifs…

Création d’une interprofession

La création des interprofessions agricoles est fondée sur la volonté d’impliquer les différents maillons dans les problèmes de la filière à tous ses stades (production, transformation, commercialisation et distribution).
En agriculture, les interprofessions doivent être composées par les syndicats « les plus représentatifs ». Or, faute pour le législateur d’avoir imposé le pluralisme et d’avoir précisé au regard de quels critères devait s’apprécier cette représentativité, les interprofessions demeurent – sauf exception – le monopole de la FNSEA via ses syndicats spécialisés. Bien qu’aucun texte réglementaire ne consacre leur représentativité, elle leur est pour autant acquise « au regard de celle de la FNSEA »*.

La naissance d’une interprofession est « factuellement » indépendante des pouvoirs publics, même si ceux-ci peuvent inciter au regroupement. Une structure interprofessionnelle peut très bien, si elle n’est pas reconnue comme organisation interprofessionnelle, mener ses actions sans que l’Etat n’intervienne jamais. Dans ce cas, l’ensemble des décisions et cotisations ne s’imposent qu’à ceux qui ont choisi d’adhérer à la structure – souvent associative – de manière « volontaire ».
Les interprofessions ont pour objet, entre autre, de conclure des accords qui peuvent avoir des incidences importantes tant sur le plan social qu’économique pour l’ensemble ou une partie des partenaires. Cela peut aller notamment jusqu’à imposer des contributions financières, des contraintes de production ou de commercialisation.

*Officiellement, d’après la jurisprudence, la notion de représentativité est appréciée sur une base quantitative, tenant au nombre d’adhérents des organisations et aux parts de marché qu’elles détiennent. Cette démonstration « chiffrée » est d’ailleurs exigée à l’égard de tout jeune syndicat qui chercherait à démontrer sa représentativité. Dans les faits, les exigences à l’égard des « filiales » du syndicat d’Etat sont autres. Pour exemple, en 2003, dans le dossier présenté au Conseil Supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire – chargé de donner son aval – pour qu’INAPORC soit reconnue en tant qu’interprofession, toutes les organisations professionnelles constituant INAPORC ont dû justifier de leur nombre d’adhérents et de leur part de marché, toutes sauf la FNP à l’égard de laquelle le dossier se bornait à mentionner « La FNP : La Fédération Nationale Porcine est une Association Spécialisée de la FNSEA. C’est le syndicat d’éleveurs spécialisé sur le secteur porcin. » …

Reconnaissance d’une interprofession

C’est lorsqu’une interprofession souhaite solliciter l’extension de ses accords, qu’il faut qu’elle ait fait l’objet d’une reconnaissance préalable. A ce moment, les pouvoirs publics vérifient que divers critères sont satisfaits. Les ministres disposent d’une liberté d’appréciation… et peuvent même opérer un choix entre organisations « représentatives ».

L’extension des accords interprofessionnels

On parle « d’accord étendu » lorsqu’un accord conclu par une interprofession reconnue est, à sa demande, rendu obligatoire par arrêté interministériel à l’ensemble des membres des professions qu’elle couvre.

Au sein d’une interprofession, la règle veut que les décisions soient prises à l’unanimité ou au moins sans opposition de l’un des membres. C’est pour cela que notre entrée au sein des interprofessions n’est pas voulue par les autres représentants de l’agriculture.

Existence, missions et fonctionnement des interprofessions

Les interprofessions sont des personnes morales de droit privé, en général des associations régies par la loi du 1er juillet 1901.

Les interprofessions ont pour rôle de favoriser le dialogue et les relations entre les différents intervenants d’une filière donnée. Plutôt que la seule confrontation sur le marché, elle rassemble les producteurs et leurs partenaires pour évoquer les questions et les problèmes posés dans la filière et apporter des solutions ou des améliorations dans l’intérêt général. De nombreuses actions sont possibles concernant la connaissance de l’offre et de la demande, la promotion, l’adaptation et la régularisation de l’offre, la mise en place de procédures de contrôle de la qualité ou de critères de qualité des produits, l’établissement de normes techniques, la recherche appliquée et le développement… Leurs prérogatives ont d’ailleurs été renforcées par la dernière loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.

Quelques interprofessions…

  • Céréales : INTERCEREALES
  • Oléagineux : ONIDOL
  • Protéagineux : UNIP
  • Fruits et légumes : INTERFEL
  • Pommes de terre : CNIPT
  • Fleurs : Val’Hor (ex CNIH)
  • Semences : GNIS
  • Lait : CNIEL
  • Bovins et Ovins : INTERBEV
  • Volailles et produits carnés : CIPC
  • Porcs : INAPORC
  • les interprofessions des vins et spiritueux
  • et les autres !

Les CVO

Le financement des interprofessions est assuré par les cotisations du secteur concerné, les cotisations volontaires rendues obligatoires (CVO). Les modalités de la collecte et répartition des CVO sont réglées individuellement par chaque accord interprofessionnel. Le taux de la CVO est fixé par l’interprofession et réactualisé régulièrement. Celles-ci ne sont pas perçues sur les importations, mais peuvent en revanche être appliquées aux exportations.

Les interprofessions sont des personnes morales de droit privé. Ainsi, leurs actes de gestion, comme leurs créances et cotisations, y compris lorsqu’elles sont étendues, sont soumis au droit privé. C’est ce qui explique l’absence de transparence* des interprofessions, qui est mise en évidence même par la Cour des Comptes.
Le rapport de la Cour de Comptes 2010 estime le montant total des CVO collectées à 317,7 M€ pour 2008 et pointe que près de 20 % du montant des CVO ne rentre pas dans le régime cadre des actions pouvant être financées par des CVO. Pourtant, avant d'étendre un accord, l'administration doit contrôler les actions et les conventions concernant cette CVO, afin d’éviter que les CVO ne financent les organisations professionnelles membres… en théorie !

Lorsque la cotisation volontaire est étendue, elle porte alors l’étrange nom de Cotisation Volontaire  Obligatoire : CVO. Ironique non ?

*Une instruction interministérielle du 15 mai 2007 prévoyait notamment :

  • de rendre public sur le site Internet du ministère de l’agriculture, les accords étendus ;
  • de mettre en place un tableau relatif aux montants annuels des CVO.

S’agissant du premier, cette publication a été mise en place que très récemment, et encore, elle n’est que partielle puisque nombre d’anciens accords n’y figure pas et que sa mise à jour n’est que trimestrielle.
S’agissant du second, le ministère indiquait à la Cour des comptes (rapport 2010) que l’élaboration de cet instrument avait pris du retard. Nous ne savons pas où en est ce tableau, en tous les cas, il n’est pas accessible aux « cotisants ».

La CR a toujours pointé du doigt ces manipulations, qui n’existeraient pas avec le respect du pluralisme syndical. Il est inadmissible que la FNSEA puisse décider pour l’ensemble des professionnels, car elle ne représente au final que 54 % des votants, soit moins de 50 % des agriculteurs ! Quelques juges français ont jugé quant à eux le système des CVO illégal (mais leurs décisions n’ont pas fait jurisprudence).

La CR a fait de nombreuses propositions pour faire évoluer les interprofessions : dernière en date, un amendement proposé à la LMA

Comme les textes sont vagues sur ce que sont les syndicats « les plus représentatifs » (article L.632-1 du code rural), c’est par décisions jurisprudentielles que cette représentativité s’est progressivement appréciée au regard du nombre des adhésions des différentes organisations professionnelles, de l’importance des cotisations perçues et de leur pouvoir économique. Mais ces critères ne sont opposés qu’aux «nouveaux » syndicats, créant ainsi une discrimination entre les « anciens » dont la représentativité n’est pas « vérifiée » selon ces critères, et les « nouveaux » qui doivent en faire la démonstration.

Surtout, comme rien n’impose que tous les syndicats représentatifs siègent au sein des interprofessions, cela rend impossible l’intégration d’une organisation professionnelle devenue « plus représentative », celle-ci étant subordonnée à l’accord des membres initiaux, réunis en association loi 1901, qui n’est jamais obtenu.

Dans les faits, le caractère inadapté des textes ou leur application « partiale » empêche purement et simplement l’accès des syndicats professionnels pourtant représentatifs du point de vue de la loi aux interprofessions, alors même que tous leurs adhérents cotisent au financement de ces structures par l’intermédiaire des CVO.

C’est pourquoi, la CR a proposé un amendement à la LMA tendant à ce que les « représentativités » des membres composants les interprofessions soient réévaluées régulièrement et ainsi, instaurer le pluralisme au sein des interprofessions en imposant l’intégration de tous les organismes qui satisferaient des critères de représentativité objectifs, - nonobstant le caractère privé des interprofessions.>

 

Une interprofession dissoute : le CNIH

PépinièreLe Comité National Interprofessionnel de l’Horticulture et des pépinières (CNIH) a été dissout en  septembre 1996 suite à un long combat juridique de l’Uniphor (syndicat horticole proche de la CR), pour s’être détourné de sa mission première : servir la totalité de la filière. En effet, le CNIH levait une cotisation volontaire obligatoire qui a débuté par de petits prélèvements pour en arriver ensuite à des sommes faramineuses.

Une interprofession « pluraliste » qui fonctionne : le BNIC

En juillet 1998, la CR obtient du Préfet de Charente, responsable de la région viticole du Cognac, un test de représentativité des syndicats agricoles. Chaque syndicat agricole a alors présenté des listes de candidats. A l’issue de ce scrutin, les syndicats agricoles ont décidé de se regrouper au sein du SGV : le Syndicat Général des Vignerons du Cognac. Depuis le SGV Cognac a 224 délégués de la viticulture, qui élisent les 33 membres du Conseil d’administration. Le Conseil d’administration se réunit 10 fois par an et prend les grandes décisions. Aujourd’hui, le Président du SGV est FNSEA et le Secrétaire Général est CR. Le SGV siège au BNIC, l’interprofession du Cognac, au sein de laquelle la CR a prouvé son implication…et le Cognac et ses producteurs s’en portent très bien !

Les interprofessions porcine et céréalière : toutes portes fermées

En 2004, l’OPG et l'ONEP ont intenté une action en justice pour siéger à INTERCEREALES et INAPORC. Ce faisant, elles ont demandé au Conseil d'Etat d'annuler les arrêtés reconnaissant à INTERCEREALES et INAPORC la qualité d'organisation interprofessionnelle. Par deux arrêts du 18 mai 2005, le Conseil d’Etat a rejeté leurs demandes, estimant que le code rural n'imposait "pas que les groupements reconnus en qualité d'organisations interprofessionnelles réunissent la totalité des organisations professionnelles représentatives du secteur concerné, ni qu'elles respectent des principes de pluralisme et d'indépendance syndicale".

Interprofession laitière : une situation délétère

La situation de l’interprofession laitière (le CNIEL) constitue un bel exemple susceptible de justifier à elle seule le besoin d’un changement radical. En septembre dernier, La France Agricole publiait une note interne émanant des transformateurs laitiers. Son contenu était sans appel : le CNIEL est d’abord au service des industriels transformateurs et la FNPL (syndicat laitier de la FNSEA) accepte cette situation sans broncher ! Pire, la note indiquait que les transformateurs s’inquiètent du « pouvoir de nuisance de certains syndicats contestataires » !

Dans ces conditions, où se trouve l’essence même des interprofessions : discuter des problèmes d’une filière et y apporter, ensemble, des solutions ?

Interprofession bovine : une ouverture envisageable ?

Au niveau de l’interprofession bovine (Interbev), là encore, la CR bouscule les conservatismes. Elle a rencontré, en novembre dernier, Pierre Chevalier, président de la Fédération Nationale Bovine (syndicat spécialisé de la FNSEA). A cette occasion, les producteurs de viande bovine de la CR avaient demandé à participer, eux aussi, au bureau de l’interprofession de la viande bovine. M. Chevalier y avait alors clairement affiché sa « non-opposition ». Hélas le bureau de cette interprofession s’est réuni récemment et aurait décidé « démocratiquement » de ne pas accepter de faire rentrer en son sein la CR. Les déclarations de bienveillance ne doivent pas rester de simples paroles en l’air, et tous les autres partenaires, au premier rang desquels, l’Etat, doivent prendre leur responsabilité !

 

Les interprofessions : quelle légitimité ?

Les interprofessions seraient un bon outil si une condition préalable était respectée : le pluralisme syndical, afin que leur légitimité soit incontestable vis-à-vis de tous ceux qui sont soumis au respect des règles qu’elles édictent. Il faudrait en outre, une transparence au niveau de la gestion des fonds permettant à chaque cotisant de connaître le montant des CVO collectées et à quoi celles-ci ont servi. A ce jour, les comptes des interprofessions ne sont pas publiés. L’Etat se refuse à les y obliger, alors qu’une assimilation aux organismes faisant appel à la générosité publique serait amplement méritée, le paiement des CVO relevant bien davantage d’une forme de don forcé que du paiement d’une cotisation !

Un milieu fermé et opaque

Actuellement, le seul syndicat agricole représenté au sein des grandes interprofessions est la FNSEA, par l’intermédiaire de ses syndicats spécialisés. De fait, les accords interprofessionnels, qui s’imposent à 100% des producteurs, sont conclus par les représentants de la FNSEA : ni la CR, ni la Confédération Paysanne ne sont autorisées à participer aux débats qui s’y tiennent… Bien que légales, ces interprofessions sont illégitimes parce que non représentatives.

Vers une ouverture des interprofessions ?

B. Le Maire est comme le sphinx : très énigmatique sur les interprofessions. Lors de la LMA, il est intervenu à plusieurs reprises devant les députés et sénateurs sur ce sujet. En voici quelques extraits :

"Les interprofessions doivent-elles être ouvertes à l’ensemble des syndicats représentatifs ? J’ai la conviction que, dans le monde nouveau dans lequel nous entrons, il est plus que jamais nécessaire que l’esprit de rassemblement l’emporte sur les divisions. Il est plus que jamais nécessaire que tous les professionnels travaillent ensemble et confrontent leurs points de vue, dans un esprit de responsabilité. C’est à eux de prendre librement cette décision."
«Ouvrir les interprofessions à toutes les organisations est un vrai sujet que l'on ne peut régler d'un revers de main. J'ajoute qu'elle est souhaitable.»
Pour lui «les organisations les plus représentatives de la production agricole sont les JA, la FNSEA, la Coordination rurale, la Confédération paysanne et le MODEF»


S’il semble que le Ministre soit favorable au pluralisme syndical dans les interprofessions, il en laisse cependant l’appréciation aux interprofessions elles-mêmes, qui doivent prendre cette décision à l’unanimité… ce que la FNSEA ne permettra pas !

Un accès pour tous les syndicats !

La CR exige le droit de siéger dans les interprofessions au titre du pluralisme syndical. Chaque syndicat a une place légitime au sein des interprofessions. Il s’agit tout simplement de respecter un principe démocratique élémentaire.

Pluralisme syndical

Si la CR demande à siéger au sein des interprofessions, c’est pour porter la voix des agriculteurs qu’elle représente. A cela, la FNSEA répond qu’il sera impossible de prendre les décisions à l’unanimité. Pourtant, si les décisions prises sont dans l’intérêt de la filière, pourquoi nous y opposerions-nous ? Si nous sommes entre gens de bonne volonté, qui veulent tous faire avancer la filière et donc les agriculteurs, il n’y aura aucun problème et la CR votera les décisions. Par contre, la CR n’acceptera jamais de voter des décisions n’allant pas dans le sens des agriculteurs, car ce sont ces derniers qu’elle représente et non pas l’industrie agroalimentaire.

La CR souhaite également que le mode de décision actuel des interprofessions, à savoir la règle de l’unanimité au sein de la famille des producteurs soit maintenu, y compris après l’entrée de toute la représentation syndicale française. C’est à cette seule condition que les interprofessions, obligées de trouver des consensus satisfaisants pour toutes les parties, rempliront réellement le rôle qui leur est dévolu.

Il serait en effet inconcevable qu’au titre de la majorité une partie de l’interprofession puisse imposer des décisions dont les conséquences pourraient aller jusqu’à faire disparaître l’autre partie minoritaire !

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