Madame la Ministre,

La Coordination Rurale a participé depuis octobre 2014 à un groupe de travail sur les cours d'eau sous l'égide de votre ministère. Au cœur des discussions, comme vous le savez : travailler sur l'identification des cours d’eau en matière de police de l’eau (qui détermine les modalités d'entretien, la soumission à la police de l’eau, l'interdiction de certains travaux...). Malgré nos alertes à ce sujet, la cartographie des cours d'eau avait déjà démarré dans plusieurs départements, sans attendre les conclusions du groupe.



Lors de cette « concertation », la CR a mis en avant la jurisprudence abondante, basée sur 3 critères cumulatifs, pour fixer cette détermination en cours d'eau :

  • un caractère permanent du lit
  • un caractère naturel avec alimentation par une source
  • un débit suffisant.
Cette définition, déjà inscrite dans le projet de loi pour la prévention des inondations qui attend son examen parlementaire, a été d'ailleurs très clairement reprise dans le projet de loi sur la biodiversité voté par l'Assemblée Nationale en première lecture. Vous avez vous-même, Madame la Ministre, soutenu cette définition.



Lors des réunions et dans ses contributions (dont la dernière le 9 mars 2015, à télécharger sur ce lien), la CR a maintes et maintes fois souligné que la caractérisation des cours d’eau ne peut se faire que conformément aux critères jurisprudentiels, en excluant de facto les critères dits « techniques ». Un représentant du ministère de la Justice avait confirmé notre analyse. Pourtant, les services du ministère de l'Ecologie ont, en toute connaissance de cause, élaboré des instructions destinées aux services de police de l'eau, mettant justement en avant l'utilisation de critères supplémentaires, tous contestables sur le plan du droit, mais aussi pour certains d'entre eux, établis de manière arbitraire.



Ces textes sont en signature sans que la profession agricole n’en soit avertie. Les organisations agricoles consultées auraient dû recevoir la version finale, mais vos services refusent de les transmettre arguant que chacun les découvrira « en temps et en heure ». Pourtant, la CR a travaillé de manière constructive et a transmis « en temps et en heure » (à savoir le 9 mars 2015) sa contribution, sachant que les documents ont été communiqués quelques jours avant (soit un mois après la tenue des la dernière réunion). La CR tente une fois encore de faire valoir le droit en s'adressant directement à vous, Madame la Ministre.



La CR soutient que la cartographie doit avoir lieu partout en France en respectant scrupuleusement le droit, pour repartir sur de bonnes bases et enfin, éviter les contentieux. Pour être efficace, elle doit se fonder sur un travail de terrain considérable, associant les différents acteurs. La cartographie ne peut pas consister en une addition de plusieurs références cartographiques disponibles, lesquelles comportent souvent des erreurs.



Ainsi, les tribunaux ont déjà déclassé des cours d’eau pourtant mentionnés sur la carte IGN qui manque de fiabilité. Quant aux cartes de Cassini (qui datent du XVIII ° siècle) également évoquées comme référence pour vérifier l'existence d'un écoulement dans la durée et donc le caractère naturel de son lit, ce sont des cartes de guerre qui n’ont pas à interférer avec l’application de la police de l’eau. Il existe des photos aériennes anciennes qui seront amplement plus parlantes.



Le fait que les cours d’eau identifiés dans différentes réglementations instaurant des catégories de cours d’eau : BCAE, ZNT, Grenelle, continuité écologique (SDAGE, Trame Bleue) puissent être repris dans la cartographie est absurde. En effet, ces « cours d'eau » n'ont pas été définis selon la jurisprudence : s'ils doivent être repris, il faut alors vérifier préalablement que chacun d'entre eux répond aux 3 critères principaux.



Contrairement à ces que vos services affirment, une source (qui sort de terre, jaillit sous pression, par résurgence) ne peut être une nappe (il n’existe pas de nappe aérienne !!!) ou une zone humide (alimentées par le débit d'un cours d'eau et/ou par les remontées de nappes phréatiques). Le glossaire d'Eau France, le service public d'information sur l'eau, conforte pleinement notre position.



Par ailleurs, le chiffre de 10 mm (sur quel fondement ?) est évoqué comme niveau de précipitation permettant de juger du caractère suffisant du débit. Pourtant, étant donné que le cours d'eau ne dépend pas exclusivement des épisodes pluvieux, alors il est bon de ne pas faire entrer en ligne de compte un niveau de précipitations quel qu'il soit. Par ailleurs, le MEDDE ne cesse de prôner les spécificités de chaque région en matière de cours d’eau, pourquoi alors établir un chiffre au niveau national ? Le caractère ponctuel des observations à certaines dates particulières pourrait nuire à une bonne appréciation. Pour la CR, en cas de doute sur le fait que ce critère soit bien respecté, alors l'écoulement ne sera pas considéré comme respectant ce critère (le doute ne doit pas « bénéficier » au cours d'eau).



Enfin, les services du ministère souhaitent abusivement utiliser des critères s’inspirant de ceux retenus dans les guides méthodologiques d’agences de l’eau ou de l’ONEMA (substrat, végétation, présence d'invertébrés, continuité amont-aval, etc.), qui ne sont selon la jurisprudence que de simples indices complémentaires aux 3 critères principaux qui doivent chacun être respectés pour qu'un écoulement soit qualifié de cours d'eau. L'utilisation, à tort, de ces indices, conduirait à classer le maximum d’écoulements en cours d’eau, en prenant de court les acteurs de terrain. Une fois le classement effectué, comme c’est le cas par exemple pour des fossés classés à tort dans la catégorie BCAE, il est difficile voire impossible de revenir en arrière, ce qui est lourd de conséquences.



Vous le savez Madame la Ministre, le ministère de l’Ecologie et ses services ont, comme l'ensemble de notre administration, un devoir d’exemplarité vis-à-vis du respect du droit. C'est pourquoi nous plaidons pour que les textes qui sont soumis à votre signature soient conformes au droit.



Nous nous tenons à votre disposition à ce sujet et vous prions d'agréer, Madame la Ministre, l'expression de notre haute considération.



Bernard Lannes
Président national de la Coordination Rurale



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