Ami agriculteur, où vas-tu ? Ton travail ne t’apporte plus un revenu décent. Et tu ne dis rien. Tes produits sont tellement déconnectés des réalités économiques que le transport, le séchage, les réfactions et les prestations annexes dépassent parfois les 40 % de ton prix de vente. Et tu ne dis rien. Chaque jour, on parle de ton métier comme une aberration contre l'environnement et qui produit de la mauvaise nourriture, te rabaissant encore un peu plus au quotidien. Et tu ne dis rien. Ton litre de lait est vendu moins cher que le litre d’eau minérale. Et tu ne dis rien. Chaque jour qui passe, on te rajoute de nouvelles contraintes et tu t’y « adaptes » sans cesse en courbant le dos. Et tu ne dis rien. Tu fais appel parfois, pour t’aider, aux organismes d’État, à des organismes coopérateurs qui t’entourent. Hélas, aujourd’hui, ils vivent de tes contraintes pour mieux te rabaisser et te contrôler. Et tu ne dis rien. Tes parents se sont « auto-assurés » durant toute leur carrière par des revenus suffisants pour faire des réserves pour les années difficiles et aujourd’hui, tu ne peux plus le faire. Et tu ne dis rien. Toi, tu vas devoir payer un prestataire pour tenter de te protéger mais surtout de s’assurer que tu paieras bien tout ce que tu dois à ceux qui t’entourent sans préserver forcément ton salaire. Et tu ne dis rien. Les aides compensatoires que l’on t’avait accordé en 1992 pour tenter de compenser une partie des pertes engendrées par un prix de vente de tes produits virtuels ont été divisées par deux depuis. Dans un même temps, le prix de tes produits a encore diminué de plus de 20 %. Et tu ne dis rien. Ta famille est mise à rude épreuve sans cesse par un style de vie particulier lié au climat, avec de grandes périodes de travaux intenses et des horaires à rallonge, mais aussi et surtout par des revenus fluctuants et parfois inexistants. Et tu ne dis rien. Ceux qui entrent dans ta cour ont souvent des revenus plusieurs fois supérieurs au tien et ils n’ont pas tous pour toi le respect que tu mérites. Et tu ne dis rien. Le matériel que tu achètes n’est plus adapté à ton coût de production et l’augmentation de plus de 30 % en 5 ans de leur prix de vente reste sans équivalent. Et tu ne dis rien. Tu n’as plus de reconnaissance de ton travail, ni par la société, ni par les personnes qui t’entourent. Toi, si libre et fier, tu deviens triste et démotivé et tu ne crois plus en ton avenir et certains de tes collègues vont jusqu’à mettre fin à leurs jours. Et tu ne dis rien. Tous les jours on critique, on juge cette agriculture qui a bien nourri les hommes en leur apportant plus d’espérance de vie que jamais auparavant. En apportant plus de sécurité alimentaire que nulle autre part dans le monde et surtout un prix si accessible qu’il est inférieur à 20 % du budget des ménages. Et tu ne dis rien. L’agriculture biologique, qui a permis à certains agriculteurs de pouvoir enfin gagner leur vie, va être mise à mal par l’augmentation de l’offre et la volonté d’en baisser le prix pour reproduire le même système qu’en agriculture « classique ». Et tu ne dis rien. Pour un peu plus de confort de travail, tu n’as obtenu que tracas, asservissement et endettement. Et tu ne dis rien.   Quand à toi, ami consommateur, ami citoyen, les agriculteurs sont des professionnels qui travaillent avec la nature au quotidien et ils ont plutôt intérêt à la protéger. Des milliers d’entre eux essaient chaque jour d’améliorer leurs pratiques en ayant la passion du travail bien fait. Aucun autre métier n’a évolué de façon aussi radicale et rapide. Si tu te crois un droit pour lui dire comment il doit faire son métier, tu te dois aussi de lui donner une vraie rémunération de son travail et de lui montrer l’exemple par ton comportement. Achète des produits français et montre ton engagement. Pour le Bio , il doit rester à un niveau de prix supérieur pour rémunérer les agriculteurs qui la pratiquent et si tu n’es pas prêt à le payer, tu verras la fin de cette agriculture dans notre pays. Mais si tu ne dis rien toi non plus, les agriculteurs disparaîtront, rapidement et sans bruit. Lheure Laurent Président de la Coordination Rurale du Loiret

Dans la même catégorie

CR 41
Centre-Val de Loire
CR 41
Centre-Val de Loire