La fin des quotas décidée par l'Union Européenne approche, il est donc urgent de s'interroger sur l'évolution du secteur laitier européen.
D’une part, la contractualisation annoncée comme le système de régulation d'avenir, montre particulièrement ses failles : vu la faiblesse du prix du lait, elle n'enraye pas la désaffection des agriculteurs pour la production laitière et les différents acteurs de la filière se contentent jusqu'alors de se renvoyer la balle pour savoir qui pourrait ou devrait assumer le coût d'une hausse.

D’autre part, de nombreuses réunions ont lieu dans les instances de concertation pour réfléchir à un nouveau système européen qui succéderait aux quotas. Cependant, ces réunions s'enlisent rapidement puisqu’il est difficile pour certains d'abandonner le dogme libéral qui fait pourtant tant de mal à notre agriculture.
Déterminée, la CR participe activement et de manière constructive à toutes les réunions, elle y défend ses analyses et le projet qui en découle.

 

I) La crise : oui, mais pas pour tout le monde

Outre les chiffres d'affaires en hausse présentés par certaines laiteries, les industriels et les coopératives investissent et modernisent leurs outils. Ce n'est pas un mal, bien au contraire, mais cela montre qu'ils ont non seulement des moyens, mais aussi et surtout des perspectives d'avenir.
Cela contraste évidemment avec les éleveurs qui eux manquent cruellement de perspectives, la faute à des prix bas, fluctuants, peu ou pas rémunérateurs qui ne permettent pas de dégager un revenu équitable, ni d'investir sereinement, voire conduisent à la cessation.
Pour la CR, il y a crise dès lors que les producteurs produisent à perte et ne perçoivent aucune rémunération du fruit de leur travail. Le secteur laitier est donc enfoncé dans une crise grave.

 

a) L'industrie alimente la surproduction

Les laiteries, qu'elles soient coopératives ou privées, organisent depuis des années la surproduction par leurs mauvais choix stratégiques, leurs recours aux importations et par les allocations provisoires de quota en fin de campagne. Elles évitent ainsi d'avoir des tensions sur le marché, et cela leur permet donc un approvisionnement en lait au meilleur coût. La contractualisation est une bonne occasion pour elles d'aller d'inciter un peu plus encore les éleveurs à augmenter leur production.

Le volume de production semble être la seule préoccupation de nombreux irresponsables syndicaux qui poussent pour avoir la plus grande référence laitière possible au moment de l'après-quota.
Un jeune qui s'installe peut avoir d'importantes rallonges de quotas, et il est encouragé par "la profession" à produire toujours plus. Mais quid du prix, du taux d'endettement et de la durée des emprunts ? Ces inquiétudes pourtant légitimes en matière de durabilité des projets et de la production ne semblent pas avoir le vent en poupe. L'idée sous-jacente est que les plus forts subsisteront (il faut donc en faire partie en allant à la course au volume), tant pis pour ceux qui resteront sur le bas-côté...
Si le volume faisait tout, il y aurait plus d'installations en lait, moins de cessations d'activité laitière (cf partie "cessations laitières et perspectives"), phénomène grandissant même pour des structures modernes (robotisées), aux normes et avec des quotas importants.

 

graph lait


Cessations laitières et perspectives

Quand on parle de cessation d'activité laitière, il est impossible de ne pas faire de parallèle avec la culture de céréales. En effet, bien souvent, ceux qui arrêtent le lait se spécialisent en grandes cultures si la structure, les surfaces et les conditions pédo-climatiques le permettent, choix dicté par des prix actuellement favorables dans le secteur céréalier.
La promesse de meilleures conditions de travail (astreinte liée à l'élevage laitier) pèse aussi beaucoup dans la balance.
Néanmoins, cette réorientation des choix productifs est limitée dans bon nombre de zones géographiques : comment bien produire des céréales en montagne, en zone humide ? Car il faut pouvoir produire des céréales sur une surface suffisante (et avec des rendements corrects) pour atteindre le seuil de rentabilité. Pour lors, une dérogation en matière d'interdiction de retournement des prairies existe pour les exploitations en cessation laitière. Mais rien ne permet d'affirmer qu'elle perdurera, d'autant plus si les cessations se poursuivent à leur rythme effréné et si cela pèse trop négativement au goût de l'administration sur l'évolution globale de nos surfaces en herbe...
La reconversion en "tout céréales" pour des structures qui ne sont pas, a priori dans les zones les plus céréalières, n'est pas la solution, car c'est miser sur des cours des céréales encore favorables de longues années. Qu'adviendrait-il si, comme le laisse présager le caractère de plus en plus erratique des prix des céréales depuis des années, les cours des céréales baissaient à nouveau ?

 

b) Les coopératives ont oublié leur mission initiale

Il est temps que les coopératives retrouvent leur mission économique de valorisation de la production de leurs adhérents... car si elles sont capables d'acheter du lait spot en Italie à 390€/T elles devraient arriver à mieux payer leurs éleveurs adhérents.
Le problème est que les coopératives sont souvent tiraillées entre conflits d'intérêts, volonté de s'agrandir (souvent au point de prendre une dimension internationale, par des filiales privées) et surtout de conserver leur rente. La plupart ont une activité de nutrition animale, et répercutent la hausse des matières premières sur le prix de l'alimentation vendue aux éleveurs, tout en ne s'empêchant pas de répercuter aussi cette hausse sur la vente des produits transformés. C'est ce qu'on appelle être gagnant sur tous les tableaux... d'autant plus si l'on considère que l'expansion de la coopérative passe avant la bonne rémunération des adhérents.

 

c) Industriels et distributeurs se renvoient la balle

Le partage de la valeur ajoutée est très défavorable aux producteurs, comme l'ont constaté les pouvoirs publics... récemment ! Face à ce constat, on assiste à un jeu de ping-pong entre les industriels et les distributeurs, chaque camp assurant ne pas pouvoir donner plus à l'éleveur.
Syndicalement, on remarque que le syndicat majoritaire n'a pour cible que la grande distribution (en particulier Leclerc), quelquefois  les laiteries privées, mais surtout pas les coopératives qu'il contrôle.

 

d) Quelques aides et effets d'annonce savamment orchestrés

Face à la crise laitière, les réactions des pouvoirs publics continuent de se faire attendre. Avec la volonté de toujours lisser le prix du lait en France, on s'y perd entre les effets d'annonce, les faits, la saisonnalité, les critères de qualité, etc...
La hausse du prix du lait avant l'été sur laquelle s'est engagé le gouvernement prend différents noms selon qui l'évoque : hausse dans la presse, ou "avance exceptionnelle" selon certaines laiteries, avance qui sera récupérée ultérieurement, certainement entre juin et septembre.
Finalement, l'avance mise en place d'office par certaines laiteries ne vise-t-elle pas à éviter que le prix ne flirte en été avec les 400 € (sachant que la hausse du prix de l'aliment a induit une hausse des coûts et qu'un prix rémunérateur actuel serait aujourd'hui de 450 €), soi-disant si utopiques aux yeux de certains... ? On peut s'interroger...
En effet, il ne faut pas oublier que compte tenu de la conjoncture et des hausses habituelles saisonnières, le prix du lait était de toute façon voué à augmenter cet été.

 

II) La pseudo-solution à l'incertitude de l'après-quota : la contractualisation

Pour préparer l'après-quotas, le gouvernement sous la pression des industriels a mis en place la contractualisation.
La contractualisation est un système à l'avantage exclusif des transformateurs dans sa forme actuelle. Les laiteries font tout ce qu'elles peuvent pour avoir un maximum de signataires. Cela a commencé par de la désinformation sur le caractère obligatoire de la contractualisation, et cela continue maintenant à travers des pressions, comme en a témoigné le combat mené par Olivier Chemin en Mayenne. Refusant de céder aux pressions pour l'obliger à signer le contrat proposé, il s'était vu à plusieurs reprises menacer d'arrêt de collecte par la laiterie Lactalis et avait manifesté son indignation en bloquant le camion. Son refus de céder à l’intimidation a payé et la laiterie continue aujourd'hui à collecter son lait.
La prudence doit en effet être de mise en matière de contractualisation. Une fois le contrat signé, les éleveurs sont plus que liés à "leur" laiterie : ils ne peuvent plus entamer une grève du lait, ni même bloquer un camion de collecte, puisque ces manifestations constitueraient des motifs de rupture de relations contractuelles. Quand bien même le désaccord concernerait le prix... non stipulé dans le contrat !

La suppression des quotas si elle est confirmée serait un tournant majeur dans l'histoire de la production laitière européenne.
Alors que les producteurs de lait perdent leur accès assuré au marché, le danger persiste d'un excédent de production qui continuera de peser sur les prix. En effet, les laiteries ont intérêt à poursuivre leur politique de l’excédent pour plomber le marché global même si cela peut conduire à l'export à perte de poudre de lait issue de ce surplus, ce qui ne les empêchera pas de chercher de nouveaux débouchés sur le marché mondial. C'est justement pour cela que le double (voire triple) quota a été mis en place.
Mais même mal payé, le lait européen sera encore "trop cher" face au lait des pays émergents, et le lait européen qui n'aura pas trouvé preneur sur le marché mondial ira alimenter toujours un peu plus la surproduction européenne.
Toutes les laiteries européennes n'ont pas encore dévoilé le système de prix et de "régulation" qui sera mis en place à l'instar des certaines laiteries comme Sodiaal sur le modèle du double  prix A/B, dans lequel le prix B serait payé en fonction du marché (15 % du volume chez Sodiaal). Le modèle fixe une segmentation des prix, mais pas de restriction des volumes.
Cette stratégie offre une grande flexibilité aux laiteries, qui auraient grâce au volume B une quantité disponible à moindre coût.
Contraint par des volumes à livrer inscrits dans son contrat, l'éleveur n'aura, individuellement, plus de marge de manœuvre pour réagir aux signaux du marché. C'est pour cela que les éleveurs doivent se prendre en main et assumer collectivement la responsabilité de la gestion des volumes.

 

III) La solution de la CR : prévenir les crises plutôt que les gérer

Pour la CR, il est temps de sortir de la logique de gestion des crises pour enfin investir dans un système de prévention. Après le Comité économique et social européen en 2010, c'est aujourd'hui le Comité des régions de l'Union européenne qui considère que le secteur laitier, est stratégique et devrait nécessairement faire l'objet d'une régulation au niveau européen, rejoignant ainsi nos positions de principe pour l'agriculture dans son ensemble : « Il semble particulièrement surprenant de s’en remettre aux signaux du marché mondial pour assurer l’avenir de la filière laitière européenne. »

 

a) L'observatoire européen

Face à l'échec de la contractualisation portée par le ministre Bruno Le Maire ainsi que la FNPL et la FNSEA, la CR et l'OPL défendent leur projet concret de régulation européenne porté depuis 2009 aux côtés de l'EMB,  pour redonner un avenir aux éleveurs et assurer l'approvisionnement des Européens.
Ce système de régulation repose sur un observatoire européen qui ne doit pas servir qu'à détecter la crise : il doit également permettre de mettre en œuvre des actions de régulation pour la résorber. Il existe en France, comme dans d'autres pays européens, des structures qui permettent de suivre les cours et les niveaux de production. Ces « observatoires » pourraient être insérés et coordonnés dans un contexte plus large qu'est l'Union Européenne dans le projet que nous proposons.

Cette instance européenne serait constituée de l’autorité publique, des transformateurs, des distributeurs, des consommateurs et des producteurs laitiers.
Cette instance d'observation et de régulation aura pour mission :
•    de fixer et répartir les « droits de production » de lait à chaque Etat membre et de veiller à leur respect.
•    d’observer le prix du lait sur le marché européen, d’en analyser l’offre et la demande, puis d'estimer les quantités nécessaires à produire de manière à rester au sein d’une fourchette de prix prédéterminés, couvrant les coûts de production.
•    de relayer aux organismes de régulation nationale - qui pourraient être les interprofessions si elles étaient pluralistes - les orientations à la hausse ou à la baisse de la production de lait.

 

b) La régulation de la production pour réagir aux signaux des prix

L’intérêt de cette régulation est de stabiliser le marché et le prix du lait dans des limites qui conviennent tant aux producteurs qu’aux consommateurs.
Pour que ce système soit efficace, il doit fonctionner de manière fluide et réactive. Il convient donc d’établir :
•    Au centre de la fourchette de prix (qui doit être la plus resserrée possible), le prix d’objectif vers lequel le marché doit tendre.
•    Au sommet de la fourchette se trouve un prix d’alerte d'excès de demande qui lorsqu’il est atteint, doit déclencher une augmentation de la production.
•    Au bas de cette fourchette se situe le prix d’alerte d'excès d'offre qui doit déclencher une réduction de la production.

Le prix d’alerte d'excès d'offre doit être établi par l’instance européenne de régulation et doit être révisé régulièrement : il doit être égal au coût de production moyen européen du lait établi en fonction des données statistiques européennes actualisées, y compris la rémunération du travail et des capitaux des producteurs.
Le prix d’alerte d'excès de demande doit être calculé en proportion du prix d’alerte d'excès d'offre, avec un coefficient à établir au sein de l’instance européenne de régulation en concertation avec l'ensemble de ses membres.

Il sera nécessaire dans le cadre de la mise en œuvre de cette régulation que nous appelons de nos vœux, d’harmoniser tous les critères de qualité du lait standard entre les différents pays européens : taux de matières grasses, matières protéiques, nombres de cellules, critères bactériologiques... de manière à ne pas induire des critères de distorsions de concurrence entre les producteurs et donc à concrétiser la notion d'offre européenne de lait.

 

c) La nécessaire régulation des échanges aux frontières européennes

Ce système repose sur une protection douanière adaptée aux frontières européennes qui seule peut permettre une régulation des marchés par le biais d'orientations de la production à la hausse ou à la baisse en cas de crise. En effet, un marché européen ouvert à toutes les importations quel que soit leur prix ne peut prétendre réguler les marchés. Les débats actuels à propos des panneaux photovoltaïques chinois prouvent bien que ce type de régulation est envisageable. Le courage  politique et la clairvoyance devraient donc enfin permettre de dépasser ce qui est hélas, devenu tabou pour l'agriculture depuis la réforme de la PAC de 1992.

 

d) L'application nationale

  • Un CNIEL rénové, pluraliste

L’instance européenne de régulation confiera aux instances nationales, qui serait le CNIEL pour la France, la responsabilité des modalités de répartition du volume national aux producteurs. Une certaine flexibilité devra être rendue possible afin de prendre en considération les spécificités régionales (zones de montagne, AOC...). Ces aménagements seront proposés par les bassins laitiers
mais la décision définitive sera prise par la structure nationale.
Pour assurer cette mission de régulation nationale, l’interprofession laitière devra être modernisée et détenir une légitimité vis-à-vis de tous les acteurs de la filière. Il conviendra pour cela de modifier sa composition, en l'ouvrant à l’ensemble des syndicats d’exploitants agricoles représentatifs, mais
aussi aux distributeurs.
A cet égard, Thierry Roquefeuil, président de la FNPL et du CNIEL a souhaité rencontrer la CR et l'OPL pour parler d'une ouverture. C'est une nouvelle étape dans la discussion mais qui n'a abouti à rien de concret à ce jour.

  • Des relations à formaliser entre producteurs et entreprises : accord tripartites bassins laitiers-producteurs-transformateurs

La régulation ne pourra se concrétiser qu’avec des relais entre l’organisation nationale, les organisations locales que sont les bassins laitiers, les transformateurs et les producteurs ainsi que leurs organisations.
Il conviendra de mettre en place des accords tripartites bassins laitiers-producteurs et organisations de producteurs-transformateurs permettant la transmission effective des consignes de régulation jusqu’aux producteurs et garantissant le respect des règles européennes par tous les acteurs.

Les bassins laitiers

Mis en place en mars 2011, neuf bassins laitiers couvrent l'ensemble du territoire français. Ils doivent permettre de s’adapter à un nouveau contexte économique et rénover la gouvernance de la filière laitière.
La CR s'y est investie dans une volonté de simplifier la redistribution des volumes et la rendre plus efficace. Mais aussi et surtout d'apporter des réponses concrètes à cette nouvelle gouvernance de la filière laitière voulue par le gouvernement : les conférences de bassins ne peuvent pas simplement redistribuer des volumes de lait sans corrélation avec le prix payé aux éleveurs. L’avenir de la production laitière passe par un juste prix en adéquation avec les coûts de production.
Ces bassins laitiers doivent inscrire dans leur travail : de la prospection, un suivi rigoureux des coûts de productions en élevage et réguler les volumes en conséquence. Ceci afin d'obtenir un prix rémunérateur pour les éleveurs et éviter le déclin de l'élevage laitier en France.
Si les règles sont claires jusqu'en 2015, l'après 2015 reste à écrire. Et ceci est clairement de leurs compétences à l'heure où l'interprofession laitière dans sa forme actuelle ne représente plus grand chose.

  • Des droits à produire individuels

Des droits à produire individuels seront établis pour chaque producteur, avec un volume défini. Un cadre juridique à formaliser en définira les conditions d’attribution aux producteurs (référence historique, surfaces, UTH y compris salariale...). Ce droit à produire sera ajusté périodiquement par
trimestre par exemple. Il faut veiller toutefois à ce qu’un glissement d’un trimestre à l’autre soit possible, la production laitière étant sujette à des facteurs externes imprévisibles (climat, maladie, accident...)


Conclusion : Sauver l'élevage, un enjeu pour nos territoires et nos paysages

Protéger l'agriculture et l'élevage, c'est protéger une économie, des paysages et ainsi asseoir et développer d'autres secteurs d'activités comme le tourisme.
Les éleveurs, avec les parcs, les bocages, les alpages, façonnent et entretiennent le paysage, un atout majeur pour notre pays qui se targue d'être la 1ère destination touristique du monde.
Maintenir des élevages nombreux et viables, c'est maintenir une économie, un tissu économique, une dynamique locale et des paysages entretenus et attractifs.
C'est aussi et surtout assurer la sécurité de nos approvisionnements alimentaires, en quantité et en qualité.



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