C’est à l’âge de 25 ans que Nicolas s’est installé en arboriculture dans la vallée du Rhône. Après plusieurs expériences professionnelles, ce fils d’agriculteur a décidé de s’associer à son père sur l'exploitation familiale, une opportunité sans laquelle il n’aurait certainement pas pu s’installer à son compte et pour cause, « en arboriculture, les premières années sont particulièrement difficiles : investir dans des plantations, payer des royalties, assumer des charges et ce, sans qu'il n'y ait de production : c'est un gouffre à pognon, pognon que l'on n'a pas ! », explique-t-il.

Six ans plus tard, l’exploitation a bien évolué et comprend à présent 50 hectares de maïs irrigués, 15 ha de blé, 4 ha de soja, 4 ha d'asperges et 27 ha d'arbres fruitiers ; une évolution liée à des choix personnels mais aussi à d’importantes contraintes, souvent liées à la Politique Agricole Commune. En effet, au-delà de 30 hectares, la PAC lui imposait une troisième culture (verdissement), hors arboriculture et asperges. Nicolas a donc dû consacrer une partie de ses terres à la production de soja, une culture très peu rentable qui l’amène aujourd’hui à s’interroger sur l’intérêt d’une telle mesure : « impose-t-on à des usines de se diversifier dans des produits qu’elles vont vendre à perte ? »

Malgré tous les efforts entrepris, son exploitation n'est aujourd'hui pas rentable. La faute aux prix, bien sûr, mais aussi à l'absence de politique volontariste pour la production arboricole. Alors que son exploitation a atteint un seuil critique, Nicolas s'interroge… Doit-il faire de la production de niche, comme en appellent aujourd'hui les politiques, ou se développer encore davantage pour s'engager dans des circuits de distribution généraux, au risque de se retrouver en concurrence avec des producteurs contre qui il ne pourra pas lutter ?

Il ne sait pas encore qu’elle sera la meilleure option mais il est persuadé d’une chose : cette situation est le fruit des politiques inefficaces menées depuis plusieurs années !

Quand en Espagne des financements d’Etat massifs ont été mis en place pour aider les arboriculteurs à s’adapter au marché, la France n’a quant à elle proposé aucune politique de relance de l'agriculture et ce, alors qu'un agriculteur induit la création de 7 emplois, non délocalisables. Le potentiel de l'arboriculture, qui pourrait être un formidable vivier d'emplois au niveau local, ne semble pas être perçu comme tel par les politiques qui n’œuvrent malheureusement pas à son développement et pénalisent de ce fait les arboriculteurs français !

« Nous sommes incapables de travailler comme en Espagne avec un ciblage des variétés et une concertation pour pouvoir commercer avec la grande distribution. Ce qui a été fait il y a quelques années avec le Bergeron est aujourd'hui inexistant. Nous ne pouvons fournir que des productions variées, aux faibles volumes et incompatibles avec la demande d'acheteurs recherchant au contraire de gros volumes uniformisés. Les politiques voudraient que l'on se consacre à des productions de niche dites à forte valeur ajoutée, mais je ne suis pas d'accord. En réalité, ces productions sont trop peu valorisées pour que les surcoûts de production soient rentabilisés : elles peuvent être le choix de certains, mais pas de tous ! Je pense que nous avons les moyens de produire des fruits en quantité et en qualité pour les circuits longs ; il suffirait pour cela d'organiser une production, autour de quelques variétés compatibles avec les attentes de la distribution. Je refuse en quelque sorte l’idéologie qui voudrait voir l'agriculture française produire pour les riches et considérer que tous les autres doivent consommer des produits importés et de moindre qualité. Je suis agriculteur pour nourrir tout le monde ! »

Comme beaucoup d’autres agriculteurs aujourd’hui, Nicolas n’est malheureusement pas très optimiste quant à l’avenir et craint pour les générations futures. « Aujourd'hui, les agriculteurs sont loin de vivre le rêve européen face à une réglementation qui impose toujours plus de contraintes. Si un jeune venait me voir, je l’aiderais bien sûr, mais que pourrais-je lui dire ? Je ne veux pas être défaitiste et en même temps je ne suis pas là pour vendre du rêve. Il faut que ces jeunes agriculteurs en devenir sachent réellement dans quoi ils s'engagent : c'est un métier dur, mais passionnant… »

Alors qu’en à peine 6 ans Nicolas a déjà vécu deux crises, son choix, même s'il est difficile économiquement, il ne le regrette pourtant pas. « Les temps sont durs, les projets sont stoppés mais la passion du métier est la plus forte ! J’aime voir jour après jour, saison après saison, le fruit de mon travail, voir les plantations que j’ai faites produire des fruits dont on me dit qu’ils sont de qualité, c’est vraiment gratifiant. Quand je vois mes amis partir travailler à l'extérieur et être loin de chez eux 12 heures par jour, je considère que mon travail m’offre de réels avantages. Certes j'ai moins de vacances, mais je gère moi-même mon emploi du temps et en dehors des périodes de grosse activité j'ai la liberté de pouvoir me dégager du temps libre. Contrairement à ce que pensent les gens, mon métier est moderne, c’est même l'un de ceux qui a le plus évolué au cours des trente dernières années, pour preuve aujourd’hui l’utilisation des nouvelles technologies comme les GPS et les drones est de plus en plus courante. C’est un métier épanouissant et c’est bien pour cela que je continue et que je me bats. Aujourd’hui, sans vivre comme un châtelain, je veux pouvoir tirer un revenu décent du métier que j'ai choisi ».

Au-delà des galères et des contraintes, c’est cette passion que Nicolas souhaiterait aujourd’hui transmettre aux futurs agriculteurs comme d’autres l’ont fait pour lui. « Quand j'ai commencé dans le métier certains agriculteurs du secteur sont venus me voir et j'ai pu en rencontrer beaucoup d'autres lors de réunions. Ils m'ont conseillé et m’ont beaucoup aidé. Aujourd'hui je peux en faire autant en m'engageant aux côtés de la Coordination Rurale ou en prenant la présidence de mon ASA d'irrigation ».

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