Les ministères de l’Agriculture, de l’Écologie et de la Santé veulent modifier leur stratégie pour la protection des captages, en donnant plus de place à la gouvernance locale et aux projets territoriaux, soit davantage de subsidiarité. Georges Roumet, représentant de la CR au groupe national captages, nous donne son avis.

Pouvez-vous nous rappeler ce que la CR propose pour les captages ?

Georges Roumet : la Coordination Rurale demande surtout que les contraintes soient indemnisées de manière équitable et pérenne dans le temps. La délimitation des zones et l’élaboration des plans d’action (s’appliquant sur une portion ciblée de la SAU) doivent être le fruit de la concertation la plus large possible. Bref, du bon sens !

Il y a de nombreux blocages sur le terrain. Pourquoi ?

G. R. : l’État, les collectivités et les agences de l’eau (qui se plaignent des ponctions que l’État opère sur elles mais sont encore bien riches) ne veulent pas y mettre les moyens, au-delà des seules MAE dont on connaît bien l’échec et l’inefficacité. La possibilité de créer des MAE régionales sur-mesure et notifiées directement à Bruxelles a été très peu utilisée. Mais de toute façon, avec une durée limitée à 5 ans, ce type d’engagement n’a aucun sens. Sur le captage de Diou dans l’Indre, les luzernes ont toutes été retournées à la fin du contrat !

Une fois la phase volontaire passée, les pouvoirs publics cherchent jusqu’ici à faire du plan d’action à pas cher, basé sur des ZSCE (Zones soumises à contraintes environnementales) débouchant sur des mesures obligatoires imposées aux agriculteurs et non indemnisées puisque ce sont des mesures de police administrative. En plus, le droit de propriété est bafoué et la valeur vénale des terres fortement réduite.

Quels sont donc les grands axes de la nouvelle approche interministérielle en termes de captages ?

G. R. : l’approche se veut plus consensuelle mais, malheureusement, la confiance sera difficile à restaurer sur le terrain et la nouvelle feuille de route n’est pas à la hauteur. Les outils réglementaires ne sont pas réformés mais seulement mieux expliqués. Pas non plus de solutions nouvelles au niveau du foncier, mais une meilleure explication de l’existant (bail rural à clauses environnementales, acquisition, échange de parcelles, etc.). Sur les outils financiers, la CR reste vraiment sur sa faim. Seuls les paiements pour services environnementaux et les dangereuses obligations réelles environnementales (ORE) sont mis en avant.

Mais il y aura quand même du mieux sur l’aspect « gouvernance » ?

G. R. : on ressent en effet une volonté de mieux faire. Mais il y a encore des incohérences : ils veulent inclure les chasseurs mais oublient les propriétaires ! La CR a aussi fait part de son inquiétude sur la confidentialité des données de pratiques agricoles récupérées auprès des agriculteurs.

Enfin, la CR regrette une vision trop dogmatique des choses : l’agriculture biologique est émettrice d’azote (l’azote bio n’est pas chimiquement différent de l’azote conventionnel) et en périmètres de protection de captage, la pratique du bio est parfois rendue impossible par l’arrêté préfectoral (interdiction des composts par exemple). Et comment mettre en place des projets alimentaires territoriaux dans des zones très peu peuplées ? Les mots « projet territorial » doivent d’ailleurs remplacer ceux de « plan d’action » mais les mots plus fleuris peuvent cacher des réalités qui le sont moins.

La CR a été écoutée, avec l’importance d’un état initial de la ressource en eau mieux défini et partagé ?

G. R. : oui, il y a la volonté d’un état zéro partagé par l’ensemble des acteurs. Mais le problème réside dans les lacunes méthodologiques en termes d’analyse. La CR souhaite que les ministères donnent un cadre méthodologique permettant d’éviter certaines dérives locales. Une fois cet état zéro correctement réalisé, il faut fixer des objectifs tenant compte du temps de réponse des masses d’eau, parfois très long. La CR est d’ailleurs très intéressée par les démarches de datation de l’eau et par les analyses isotopiques permettant de tracer l’origine de l’azote.

Si les pratiques agricoles doivent changer pour limiter les fuites, comment les indemniser ?

G. R. : actuellement, mieux vaut travailler dans un bureau d’études qu’être agriculteur ! Pour la CR, les moyens financiers (agences de l’eau) doivent être davantage déployés sur les agriculteurs. L’impact économique induit par les nouvelles pratiques doit être évalué précisément et évidemment indemnisé à hauteur comparable. Il paraît que l’on bute sur des difficultés juridiques, de telles indemnisations s’apparentant à des aides d’État prohibées par Bruxelles. Je pense qu’il faudrait enfermer quelques excellents juristes dans une pièce avec du pain sec et de l’eau jusqu’à ce qu’ils trouvent la solution !

Les pollutions non agricoles sont-elles aussi prises en compte ?

G. R. : à peine ! Elles seront mentionnées mais le cœur des plans d’action concernera toujours les nitrates, dont on sait qu’ils ne posent aucun problème de santé publique, et les produits phytopharmaceutiques, ou ce qui en restera demain, vu l’intensification des interdictions. Rien n’est fait contre les résidus de médicaments et d’hormones qui contaminent insidieusement la ressource et que des stations d’épuration libèrent dans le milieu aquatique.

Et combien de petites communes traitent-elles encore leur eau potable avec des sels d’aluminium suspectés de favoriser les maladies neurodégénératives ? Et que penser des polymères cancérigènes (ou perturbateurs endocriniens) libérés par les tuyaux d’adduction d’eau potable, dont le renouvellement est si lent et coûteux ? Et des réseaux obsolètes laissant fuiter jusqu’à 60 % de la ressource, en pure perte, comme des passoires ? Le scandale n’est pas toujours là où il devrait être. Quelle valeur a alors la distribution d’eau potable sans nitrate et sans produits phytopharmaceutiques ?

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