Discours de Nicolas Jaquet, vice président CR XVII ème  congrès

Pour ce 17ème congrès, je vais encore une fois vous parler de la PAC. Sujet de prédilection pour la CR car elle est née en 1991 pour contrer le projet du commissaire européen de l’époque : Ray Mac Sharry.

L’actuel commissaire européen à l’agriculture est Roumain. Dacian Ciolos a fait une partie de ses études dans la même école que moi, tout près d’ici à l’agro de Montpellier. Ces écoles d’ingénieurs agronomes forment hélas aujourd’hui plus d’ingénieurs que d’agronomes. A force de tout spécialiser et d’administrer l’agriculture, plus personne ne domine la complexité et la transversalité des sciences agronomiques.

Rien de surprenant alors d’observer que des organisations agricoles aient reçu favorablement l’ébauche de projet de future PAC annoncé par la Commission européenne le 18 novembre. Que le syndicalisme officiel soit content, c’est normal puisqu’il est cogestionnaire et qu’il est là pour faire passer les mauvaises réformes auprès des agriculteurs. Mais que José Bové soit également content, c’est nouveau. Député ça doit être plus confortable que paysan, d’ailleurs, je n’ai jamais vu de député européen devenir paysan…

Ce qui est grave c’est l’absence de capacité à analyser et à critiquer le document de la Commission. A croire que les syndicats et autres groupes de réflexion sont tous anesthésiés !
Heureusement qu’il y a la CR. Je vais vous dire tout ce qui m’a semblé aberrant dans ce projet d’une PAC encore plus catastrophique que les autres.

Rien qu’en étudiant les mots utilisés pour la rédaction de cette communication, on met en évidence la superficialité de ce travail.

Les mots « environnement » et « écologie » sont répétés 35 fois en 14 pages alors que le mot « agriculteurs » n’apparaît que 12 fois. Le mot « durable » est répété 15 fois » et celui de « compétitivité » 14 fois. Là on voit les deux directions antagonistes de ce projet : un excès de verdissement à en vomir et un excès de compétitivité à en mourir.

Par contre les mots « prix » et « revenu » ne sont employés que 3 fois pour le premier et 2 fois pour le second. Vous voyez que les prix agricoles et donc le revenu ne sont plus du tout la priorité de la PAC.

L’expression « changement climatique », au pluriel pardon, « les changements climatiques », est répétée 22 fois en 14 pages ! C’est manifestement le signe de l’utilisation de chimères face à l’incapacité à traiter des sujets réels et sérieux qui, eux, sont passés à la trappe. Et pourquoi la future PAC ne prendrait-elle pas en compte le risque de débarquement des martiens ? Subventionnera-t-elle des cultures répulsives pour les soucoupes volantes ? Il faut être sérieux, qu’il y ait ou non un ou des changements climatiques, le but de la PAC c’est bien que les agriculteurs puissent, dans l’exercice libre de leur métier, assurer la sécurité alimentaire de la population. Au moyen Age, il faisait 2° de plus qu’aujourd’hui et cette période a été prospère pour l’économie avec comme moteur l’agriculture ; ensuite nous avons eu une période de petite glaciation aux 16ème et 17ème siècles, où l’agriculture a continué à produire même si des aléas climatiques ont été à l’origine de famines. Les aléas climatiques, c’est bien d’eux dont il faut se prémunir, pas avec des mesures administratives ou assurantielles mais bien avec des outils de protection de nos productions (irrigation, drainage, lutte contre la grêle contre les maladies des plantes et des animaux) et également aussi avec des outils de stockage et de gestion des marchés.

Les questions monétaires entre la zone euro et les autres états-membres ainsi que la parité euro/dollar ne sont pas abordées. Quand en 1986, l’Espagne, le Portugal et la Grèce sont rentrés dans le marché commun on avait des montants compensatoires monétaires, les fameux MCM, qui avaient pour effet de limiter l’influence sur les prix agricoles des ajustements monétaires et autres dévaluations dans les pays voisins. Depuis 2004, l’UE s’est élargie avec 12 NEM supplémentaires sans qu’aucune précaution monétaire n’ait été mise en place et même avec une volonté de destruction de nos prix agricoles comme si on avait envoyé un chien dans un jeu de quilles.

Le bilan désastreux de l’OMC pour l’agriculture mondiale est totalement omis par la Commission qui au contraire se place « dans la perspective de la conclusion éventuelle des négociations du cycle de Doha ». Or, depuis 1993, date à laquelle l’OMC a remplacé le GATT, les prix des produits agricoles ont globalement baissé et leur instabilité est désormais la règle. De plus, la production des pays en voie de développement s’est réduite ; l’exode des populations rurales vers les bidonvilles s’est accéléré et la faim concerne aujourd’hui un milliard de personnes dans le monde ! Quelle honte pour l’OMC.

Au chapitre de la sécurité et de la politique alimentaire en Europe, la dépendance en matière de protéines végétales du continent américain ne fait l’objet d’aucune proposition. Les importations des pays tiers qui ruinent de nombreux secteurs de productions sont ignorées.

Les biocarburants ont disparu ! Est-ce un oubli supplémentaire ou la Commission aurait-elle compris que le développement des biocarburants en filière longue au sein de l’UE est une erreur ? Il y a 10 ans les biocarburants c’était à la mode comme aujourd’hui « les changements climatiques ». Il faut être à la mode et en matière de communication superficielle, on nous bassine avec d’autres expressions comme : « la régulation des marchés », « se prémunir contre les risques par un système assurantiel », « la contractualisation » ou encore la « structuration des filières ». On nous prend et on prend l’opinion publique pour des demeurés.

La Commission a une approche uniquement budgétaire de la PAC. Le mot « équitable » n’est associé qu’aux aides et hélas à aucun moment aux prix agricoles. Il n’est nullement mentionné que les agriculteurs doivent vivre du fruit de leur travail.

La notion de « production de biens publics », répétée 8 fois dans le texte, est issue d’une dialectique très idéologique : « paysan, un métier d’utilité publique », fait maintenant partie du vocabulaire de la commission européenne et bizarrement aussi de celui du syndicalisme officiel comme dernier argument pour justifier les aides compensatoires de baisses de prix, devenues primes PAC, puis DPU. Des noms qui changent comme ceux de mauvais produits commerciaux que l’on tente de relancer.
Jacques Laigneau nous disait qu’un jour on finirait par nous prendre nos terres ; avec cette notion de « production de biens publics » on en prend la direction.

La critique que l’on fait souvent à la CR c’est de critiquer tout. Mais, reconnaissez-le, après l’explication de texte que je viens de vous faire, il n’y a rien à garder de ce projet de future PAC de la Commission.

Quant à nos propositions, une de leur qualité est leur constance. Depuis la création de la CR, nos propositions n’ont pas varié d’un iota et plus le temps passe, plus elles s’imposent comme une juste vision.

Une bonne politique agricole - et donc pour l’Europe une bonne PAC - doit remplir 6 missions :

  1. Assurer son indépendance alimentaire : L’Europe n’a jamais été autosuffisante.
  2. Garantir la sécurité et la santé de ses populations
  3. Être économiquement durable en assurant un revenu correct aux agriculteurs :
  4. Respecter l’équilibre social et occuper harmonieusement le territoire :
  5. Préserver la fertilité des sols et l’agro-écosystème
  6. Ne pas nuire aux pays tiers et respecter leurs droits à l’autosuffisance alimentaire

 

Dans ce sens, la CR formule 10 propositions.

 

1. Le rééquilibrage de nos productions


Par une réduction des superficies de céréales correspondant à l’excédent vis-à-vis de nos besoins et inversement par le développement des cultures oléagineuses et protéagineuses pour l’alimentation des animaux (et non pas pour les biocarburants) sur les surfaces libérées par les céréales et sur l’ensemble des surfaces gelées.

Cette conversion des surfaces alliée à la suppression de la jachère permettrait :

  • d’améliorer significativement notre taux d’approvisionnement en protéines végétales, celui-ci n’étant que de 25 % actuellement ;
  • de réduire nos importations d’aliments du bétail riches en protéines, souvent issus de plantes OGM, en provenance du continent américain ;
  • de redéployer de manière plus rationnelle le développement de l’élevage sur l’ensemble du territoire agricole ;
  • de développer la production des huiles végétales pour favoriser l’autonomie énergétique de l’agriculture et diminuer la dépendance énergétique de l’Europe.

 

2. Rétablissement de la préférence communautaire


Les productions européennes doivent être favorisées et protégées des importations des pays tiers, qui n’interviendraient qu’en cas de déficit de nos productions par rapport à nos besoins. Par contre, il reste bien entendu nécessaire d’ouvrir nos frontières aux productions non concurrentes des nôtres.

3. Une harmonisation sociale et fiscale communautaire


Les niveaux de salaires et d’impôts sont très variables d’un pays de l’UE à l’autre, ce qui implique une distorsion de concurrence au sein même de l’UE. Il est faux de penser que l’ouverture des marchés est suffisante pour provoquer les correctifs nécessaires.

4. La TVA sociale : Réforme en profondeur du financement de la protection sociale


La protection sociale des agriculteurs et de leurs salariés constitue une charge extrêmement lourde en France et une source de distorsion de concurrence importante par rapport à l’ensemble de nos concurrents directs.
La Coordination Rurale porte depuis 1997 l’idée de la TVA sociale qui consiste à faire financer la protection sociale non plus sur le coût du travail mais par la consommation.
De nombreux arguments militent en faveur de cette mesure :
L’évolution démographique du secteur agricole fait que le régime social agricole est déjà en très grande partie alimentée par la fiscalité.
La spécificité de ce secteur permet un test pilote en grandeur ;
La compression du revenu agricole du fait de la baisse des prix agricoles est intervenue au bénéfice des consommateurs : le transfert du coût de la protection sociale vers la consommation représenterait donc un juste retour des choses ;
Les agriculteurs français souffrent d’un problème aigu de compétitivité, essentiellement lié au coût de la protection sociale.

Enfin, la TVA sociale pourrait être un outil d’harmonisation progressive en fonction de l’évolution des systèmes sociaux des pays membres.


5. Passer progressivement d’une politique d’aides à une politique de prix rémunérateurs


Une augmentation des prix à la production et une répartition plus équitable des marges permettrait d’atteindre un niveau de prix normalement rémunérateur de la production sans nuire au consommateur.
Nous affirmons qu’il est possible d’augmenter les prix à la production tout en diminuant les prix payés par les consommateurs car les prix agricoles ne représentent qu’une faible part du prix à la consommation (20 % maximum, 4 % pour le pain). Il faut pour cela intervenir sur la formation de la valeur ajoutée dans les filières agro-alimentaires (ce qui implique une grande transparence et un pluralisme syndical au sein des interprofessions). Les statistiques de l’INSEE crédibilisent notre position : depuis 1992, les prix à la production ont augmenté de 5 %, et ceux à la consommation de 32 % (hors inflation et hors tabac), au grand bénéfice des intermédiaires.

De plus, cette politique enclencherait un cercle vertueux que l’on peut tenter de décrire : augmentation du revenu des agriculteurs, revalorisation du métier, particulièrement sur le plan moral, maintien des exploitations et attractivité du métier pour les jeunes, dynamisation de l’espace rural, meilleure prospérité de l’économie liée à l’agriculture en amont et en aval … Nous ne partageons évidemment pas les mêmes idées que le président du syndicat JA qui a déclaré récemment : « Prix élevé du blé - La nouvelle plaie qui menace l'agriculture »

6. Réforme des organisations communes de marché dans différents secteurs


Une véritable gestion communautaire est nécessaire pour un certain nombre de productions comme, par exemple, la viande (porcine, bovine, ovine, volaille), le vin ou les fruits et légumes. En effet, il n’existe pas à l’heure actuelle de régulation efficace de l’offre pour ces productions, qui subissent une crise profonde depuis de nombreuses années. Il faut donc mettre en place des Organisations Communes des Productions et des Marchés par secteur et organiser non seulement les marchés, mais aussi et tout d’abord les productions qui l’alimentent.
Quant au secteur laitier, l’abandon programmé des quotas pour 2015 doit impérativement être compensé par un système beaucoup plus efficace de régulation européenne de la production permettant un ajustement permanent de la production aux besoins de la consommation européenne en n’alimentant le marché pays tiers que lorsque celui-ci est rémunérateur par rapport aux coûts de production intérieurs.
Enfin, on observe déjà les dégâts de la réforme du secteur sucrier vis-à-vis de notre approvisionnement : plus de 15 % de nos besoins sont importés (nous étions en excédent de 15 % en 2005-2006) alors que le cours mondial du sucre subit très régulièrement des flambées historiques.

7. Une rationalisation des coûts de gestion de la PAC


Suivant l’exemple de ce qui se passe en France à l’heure actuelle du fait d’un surdimensionnement de la technostructure agricole par rapport au nombre d’agriculteurs, il est nécessaire de procéder à une réduction des coûts engendrés par cette inadéquation.
Un retour à une PAC de bon sens basée sur des prix rémunérateurs et donc sans aides permettrait de diminuer la coûteuse charge administrative.

8. Politique en faveur des circuits courts de commercialisation


Face à la concentration de la grande distribution sur 5 enseignes, des responsables agricoles défendent l’idée d’une concentration parallèle de l’offre, afin de mettre les parties à égalité dans la négociation. C’est pourquoi tout est fait pour favoriser les organisations de producteurs, la concentration de l’offre et la contractualisation. Nous pensons que ce sont des mauvaises réponses à la dérégulation des productions et des marchés. On a d’ailleurs maintenant, avec le recul du temps, la preuve que cela n’a pas permis d’améliorer les prix et le revenu des agriculteurs. La réponse à cette situation est plurielle et passe d’abord par des outils d’organisation et de régulation de la production.
Indépendamment de ces outils, nous proposons une politique de soutien des circuits courts permettant aux agriculteurs de dégager de la valeur ajoutée. L’existence de ces circuits est essentielle pour permettre aux agriculteurs de comparer les prix et de trouver les meilleures conditions de commercialisation de leur production.

9. Création de normes régionales / Uniformisation des exigences en matière de traçabilité et de normes des produits


Par exemple, il n’est pas admissible, de proposer à la consommation des animaux en provenance d’un autre pays, ayant reçu des traitements avec des produits vétérinaires non autorisés en France et dont le producteur d’origine ne peut être identifié avec certitude.
Ces distorsions de réglementation induisent des distorsions de concurrence qui font disparaître les éleveurs.
Il est particulièrement absurde de mener une politique aussi contradictoire, car les normes, faites pour protéger les consommateurs, ne jouent plus leur rôle et deviennent des obstacles permanents pour les producteurs européens.


10. Une politique qui favorise l’autonomie énergétique de l’agriculture


L’agriculture est actuellement totalement dépendante des énergies fossiles. La raréfaction puis la disparition des ressources en pétrole est une certitude dont le terme se rapproche. Au contraire de certaines idées reçues, l’agriculture ne permettra pas de produire à la fois les biocarburants et l’alimentation nécessaires aux populations.

La PAC du XXIème siècle doit pouvoir garantir que l’agriculture demeure en capacité de nourrir de manière durable les hommes, même sans pétrole. Il est donc extrêmement urgent de mettre en œuvre une politique de recherche et de développement de la bioénergie en circuit court plutôt que de monter d’illusoires raffineries vertes à diester ou éthanol dont l’approvisionnement ne pourra pas être assuré ni en quantités, ni en conditions économiques acceptables.

Je vous ai cité 10 aberrations du projet de future PAC, je vous ai présenté les 10 propositions de la CR. 10 puissance 2, ça fait 100. 100 comme 100 % agriculteur, un des slogans de la CR.

Pour finir, je voudrais vous dire un mot très personnel. C’est ma dernière intervention au congrès de la CR car je quitte mon poste de vice président. Je suis intervenu à tous les congrès de la CR, c’est donc moi qui est le plus parlé. Jacques Laigneau était intervenu à tous les congrès mais il nous a quitté il y a 3 ans. François Lucas n’est pas intervenu aux premiers congrès. Je vous remercie de m’avoir écouté et permis de m’exprimer à cette tribune. Je voudrais vous dire que cela a été une fierté et un grand plaisir pour moi de vous représenter.

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