En décidant au mois décembre dernier d’orienter la communication de notre stand du salon de l’agriculture sur la question des prix (prix à la production / prix à la consommation), nous ne pensions pas être à ce point au cœur de l’actualité ! Nombreux en effet sont les consommateurs qui sont venus vers nous pendant le salon pour tenter de comprendre la situation, sans d’ailleurs accuser le moins du monde les agriculteurs d’être la cause du problème.

Pas un jour, par ailleurs, sans que ne se poursuive la bataille des chiffres autour de la hausse du prix des aliments et ce dans la plus grande confusion possible.

On a ainsi pu lire au fil des jours que le lait dans le yaourt représentait 40% à 80% du prix ! On peut s’étonner que le débat repose sur des bases aussi peu objectives, alors que l’une des spécificités de l’organisation professionnelle agricole française est l’existence des interprofessions qui regroupent l’ensemble des acteurs des filières. Pourquoi l’interprofession porcine INAPORC est-elle restée autant silencieuse sur l’affaire d’Etat qu’est devenu l’évolution paradoxale du prix du porc et du prix du jambon ? Un tel silence intrigue et justifie plus que jamais notre combat pour le pluralisme syndical dans les interprofessions.

Notre dossier ne prétend pas faire le tour d’une question aussi complexe. Il propose un tour d’horizon des productions et des questions qui se posent, en abordant notamment l’évolution de la répartition des dépenses des ménages et le sujet complexe de la formation des prix. Sur un sujet d’actualité aussi brûlant, il n’est pas inutile de prendre un peu de recul afin de donner quelques pistes de réflexion aux militants syndicaux que nous sommes …

Les dépenses alimentaires : hier, aujourd’hui, demain

Excepté pour les ménages les plus modestes, la part du revenu consacré à l’alimentation n’a cessé de baisser. L’APCA a publié une enquête en octobre dernier qui fait le tour de cette question…

Baisse de la part de l’alimentation dans les dépenses des ménages

La part du budget dépensé par les ménages dans l’achat de produits alimentaires ne cesse de diminuer depuis les années 60. Plus d’un quart du revenu des ménages était consacré à l’achat de produits alimentaires et de boissons non alcoolisées en 1960. En 2005, les ménages ne consacrent plus que 14% de leur revenu à ces mêmes dépenses. Cette part est extrêmement faible, quand on sait que les ménages consacrent les mêmes sommes à leurs loisirs et plus du double pour se loger. Ces moyennes ne doivent pas faire oublier que les ménages les plus pauvres peuvent consacrer jusqu’à 50% de leur revenu à l’alimentation.

Moins de produits frais, plus de produits préparés

En 40 ans, la consommation de produits transformés a explosé, alors que la consommation des produits agricoles a peu augmenté. Les achats de viande fraîche sont en très net recul depuis les années 80. De même, des produits de première nécessité comme le sucre, la farine et le pain, font, sous cette forme, de moins en moins partie du panier de la ménagère. A l’inverse,  les conserves, les préparations à base de viande ou de poissons, les produits laitiers transformés et les jus de fruits envahissent les caddies. L’ensemble de ces produits transformés issus de l’industrie agro-alimentaire reviennent bien plus cher à l’achat, même si la part de la matière première agricole est en général faible dans le prix payé par le consommateur.

Et demain ?

En février, 76% des ménages français avaient l’impression que la part de leur budget consacré à l’alimentaire a augmenté.
Au-delà de la question des marges des industriels et des distributeurs, les tensions sur les marchés agricoles vont très certainement durer et même s’amplifier. Les accidents climatiques se multiplient, la concurrence entre alimentaire et non-alimentaire s’accentue et la demande continue de progresser. Dans un contexte de pénurie et alors que les stocks sont au plus bas, on peut donc s’attendre à une remontée durable du prix des produits végétaux et animaux. Les agriculteurs n’en tireront pas forcément profit, mais l’impact sur le panier de la ménagère sera réel, surtout si industriels et distributeurs continuent d’en faire un prétexte pour augmenter leurs profits.

La rareté des produits agricoles risque de devenir une réalité au cours du XXIe siècle. Dans ce contexte, la part du budget consacré à l’alimentaire a de fortes chances d’être durablement orientée à la hausse en France.

Tour d’horizon des productions agricoles : fruits et légumes, vin, viande, lait, céréales…

Les marchés des produits agricoles ne sont pas des marchés comme les autres. Les prix de vente des producteurs sont dans la très grande majorité des cas le résultat d’un rapport de force entre l’agriculteur, les intermédiaires et la grande distribution. Ils sont donc de manière générale déconnectés des coûts réels de production.

Dans son étude du mois de mars, 60 millions de consommateurs a confirmé ce que la Coordination Rurale dit depuis des années : il est très difficile de savoir comment se construisent les prix à la consommation et d’obtenir des réponses claires à des questions comme : quel est le circuit d’un produit, quelles marges pour les intermédiaires ?... Même aux journalistes, les industriels répondent : « ce sont des informations sensibles », « secret industriel »…

Cette opacité est entretenue par le système actuel des interprofessions où le syndicat majoritaire négocie seul les prix de certains produits, en laissant soigneusement de côté des syndicats, comme la CR, qui défendraient l’intérêt et les revenus des producteurs.

Les fruits et légumes

Les F&L frais ont de moins en moins de succès auprès des consommateurs, car ils seraient chers. C’est en effet un secteur où il est impossible de mécaniser la production et qui subit de plein fouet l’augmentation permanente du coût de la main d’œuvre et de l’énergie. Pourtant les prix à la production n’ont pas augmenté aussi vite que le coût de la vie.

Même si le consommateur se plaint du coût des F&L, les produits de saison sont bien moins onéreux que les produits importés. Pourtant, force est de constater que l’offre étant constante toute l’année, les ménagères achètent indifféremment des F&L de saisons ou non. Selon le panel TNS-World en 2007, la consommation de fruits est en augmentation, mais elle est tirée par les fruits exotiques (+1,8%), qui sont les seuls à progresser en part de marché (volume)… et ont un coût tant économique qu’écologique très élevé !

La discussion du prix entre le producteur et l’aval ne se fait jamais dans de bonnes conditions. Il faut savoir que les prix d’achats sont bas, car de nombreux producteurs ne connaissent pas leur prix de revient et ne savent pas augmenter leurs prix. Enfin la filière de vente est complexe : le travail avec les grossistes permet d’obtenir des prix corrects ; c’est moins le cas avec les centrales d’achat.

Michel Liens (84)

Pour nous tous, une nouvelle saison commence avec ses flots d’habitudes et d’incertitudes et les salades de Provence sont « chères, trop chères, toujours trop chères ». De 0,60 € à 1,20 € la pièce sur l’étalage, ça c’est vraiment trop cher ! Alors que les cours à la production sur le MIN de Châteaurenard oscillent depuis plusieurs mois entre 0,14 € et 0,18 € la pièce.
Le prix de revient de la salade sous serre est estimé à 0,35 €. Si on ajoute le prix de l’emballage ramené à la pièce, soit 0,08 €, et le bénéfice que doit faire l’agriculteur pour vivre, ne pourrait on pas arriver à avoir un prix raisonnable à la production de 0,45 € la pièce ?
Aujourd’hui cela revient aussi cher de produire une salade emballée que de la transporter et la mettre en rayon. Alors qu’est ce qui est trop cher ?

Bernard Oudard, arboriculteur : quelle formation du prix ?

Parler du prix ne suffit pas, il faut parler de formation du prix ! Ce n’est pas assez cher pour le producteur, mais c’est trop pour le consommateur. Les marges des supermarchés ne sont pas énormes, mais certaines centrales d’achat prennent minimum 18% de marge avec un marché captif et des débouchés assurés, lorsqu’un grossiste prend entre 12 et 13% de marge, avec un risque ! J’ai également observé un phénomène étrange : les agriculteurs ont souvent des scrupules à augmenter leurs prix lorsque leurs charges augmentent !

Le vin

Le vin est un produit agricole paradoxal : si les consommateurs boivent moins de vin, ils l’achètent plus cher. Le vin est devenu un produit de loisir, un signe culturel, un élément festif et convivial sur la table. Les vins d’appellation représentent 55% des achats, malgré leur prix plus élevé. La relation du consommateur entre le prix et le produit est complètement inversé, et cela est du à cette position si particulière qu’a le vin par rapport aux autres produits alimentaires.

Michel d’Espagnet, vigneron indépendant

Le prix de vente devrait être fonction de la stratégie d’entreprise. Cette année, le rosé Côtes de Provence a augmenté de 30% en vrac. Les vignerons qui commercialisent leurs produits en circuit direct n’augmentaient jamais leurs tarifs. Ils ont osé cette année, et sans concertation aucune, ont tous augmenté leurs prix de vente de 5% minimum. Pourtant, le marché à l’export est difficile à cause de l’augmentation de l’euro !

Le lait

Le prix du lait a connu ces derniers mois une légère remontée du fait des faibles quantités disponibles en comparaison de la demande. C’est d’ailleurs cette faible hausse qui a « justifié » des augmentations des produits laitiers faramineuses en linéaires.
Mais cette lueur d’espoir ne peut malheureusement pas faire oublier aux éleveurs : d’une part que cette hausse ne leur permet même pas de couvrir leurs coûts de production (qui sont à ce jour en moyenne de 0,40€/l alors que le lait leur est payé 0,33€/l), et d’autre part que ces prix ne vont pas se maintenir bien longtemps, car le lait d’été est toujours moins bien rémunéré que celui d’hiver…la production étant supérieure aux beaux jours, les prix chutent toujours à cette période. La grille tarifaire va bientôt changer et ce ne sera malheureusement pas au bénéfice des éleveurs…

Daniel CONDAT Eleveur dans le Puy de Dôme

Ayant siégé pendant plusieurs années à l'Onilait (Office de l’Elevage aujourd’hui), j'ai pu voir la façon détaillée dont était étudiée la comptabilité des productions de lait. L'objectif inavoué était de tenir la moyenne nationale légèrement au dessus du SMIC. Jamais nous n'avons pu avoir connaissance du moindre chiffre des industriels laitiers : secret défense !
L'industrie laitière (principale gestionnaire des quotas) n’a pour seul objectif que de créer une surproduction. Elle décide ainsi d'octroyer 20% de prêt de quotas (soit 5% de plus que sa capacité de production). Rapidement, les industries sont saturées, le prix du lait spot est divisé par deux et les prix aux consommateurs continuent d'augmenter. Quel est l’intérêt et qui en profite ?
Aujourd’hui, l’augmentation de quelques centimes au litre de lait produit ne compensera pas les coûts de production supplémentaires. Le maintien en production d'animaux âgés permettra t-il de pérenniser les quantités nécessaires pour les mois à venir ? Les vaches de réformes devront tôt ou tard partir…
La démonstration de l'utilité des quotas parait être faite. Les variations importantes de prix et de production ne profitent ni aux producteurs, ni aux consommateurs. Le libéralisme en matière agricole ne profite qu'à la filière mondialisée et aux spéculateurs.

La viande

La hausse des prix à la consommation de la viande est régulière et importante : pour la période 2000-2007, +25% pour le boeuf  et le veau, +15% pour le porc et la charcuterie. Une fois de plus, il est démontré que cette hausse n’est pas la conséquence des variations de prix à la production puisque les prix des gros bovins n’ont augmenté que de 4,2% sur la période alors que le prix du porc était stable.
La consommation de viande est fortement influencée par le prix sur les étals. Pour exemple, le prix élevé de la viande bovine pour les consommateurs fait stagner la consommation. On est donc revenu au niveau précédant la crise de 1999.

Comme pour d’autres productions, les charges de plus importantes, énergie, aliments ne sont pas répercutées dans le coût de production. Les marges pour les producteurs sont ainsi de plus en plus réduites et ce n’est pas seulement vrai pour les productions très spécifiques de porcs ou de volailles mais également pour les productions animales dans leur ensemble.

Les céréales et le pain

Le prix du pain est une donnée symbolique et donc sensible en France. L’effet du prix du blé sur la baguette entretient une situation conflictuelle entre les agriculteurs et les boulangers. Nous savons tous que, sauf cette dernière année, le prix du blé n’a cessé de baisser depuis 1983, alors que celui du pain a régulièrement augmenté.
Le poste « matières premières », représenterait d’après la Confédération Nationale de la Boulangerie Pâtisserie 25% du prix de la baguette. Mais pour le boulanger, les matières premières englobent, outre la farine, l'eau, le sel, la levure, un certain nombre d'additifs… et les invendus.

Les données ci-dessous pour une baguette sont parlantes sachant que la part du blé n’est qu’une part de la matière première dont est issue la farine :

  • Poids de céréales nécessaire : 0,290 kg
  • Prix des céréales (payé au producteur 200 € la tonne en 2007) : 0,058 €¤
  • Prix du produit final, au consommateur : 0,95 €¤
  • Part des céréales dans le prix final : 6,1 %

Le consommateur paye donc en moyenne 5,49 centimes d’€ pour le blé dans une baguette qui coûte un euro ! Il faut donc communiquer sur ce chiffre qui permet de relativiser beaucoup l’impact de la hausse du prix du blé dans celle du prix du pain. Peu de gens se sont étonnés depuis 20 ans que le prix du pain continue d’augmenter alors que le prix du blé baissait ou stagnait …  

L’incompréhension de cette structuration du prix réside en grande partie dans le fait que le boulanger utilise de plus en plus de farines avec un concept commercial ciblé. « Campaillette », « Baguépi » et autres produits ont tendance à intercepter la valeur ajoutée de la boulangerie au profit de la minoterie. En investissant dans le secteur minotier, certaines structures du commerce des grains l’ont bien compris !

Retrouver des prix rémunérateurs

La revendication pour des prix rémunérateurs a toujours été l’un des fondamentaux de la CR. Notre dossier pose la question essentielle qui est à la base de tous nos combats : pourquoi les prix payés aux producteurs sont-ils aussi bas et nécessitent-ils des aides complémentaires, alors que les prix à la consommation n’ont pas cessé de croître ? Que faut-il faire pour que les agriculteurs puissent vivre enfin dignement de leur travail ?

Une autre PAC

Cette question est bien l’une des questions primordiales à laquelle devra répondre la future PAC. Pour ceux qui avaient cru trop vite que la politique agricole était à ranger aux oubliettes, la hausse récente des prix alimentaires montre à l’évidence qu’un contrat durable est indispensable entre les agriculteurs et la société. Les termes du contrat sont simples : comment permettre aux agriculteurs de vivre dignement et aux consommateurs de se nourrir durablement et à des prix raisonnables ?

Il nous faut répondre à cette question de manière concrète en détaillant, pour chaque grand type de production, les propositions pour la PAC que nous avons défendues dans le cadre du bilan de santé. C’est pourquoi la CR vient de lancer une grande réflexion à ce sujet dans nos sections et nos syndicats spécialisés (*).

La préférence communautaire

La réforme de la PAC doit s’appuyer sur une réelle préférence communautaire afin de mettre en place des dispositifs européens d’organisation des productions et des marchés pour les productions susceptibles d’être excédentaires. Ceci passe par une garantie de prix rémunérateurs indexés sur les prix de revient. L’exemple du lait montre qu’il n’y a pas de production durable sans régulation de l’offre et sans rémunération du travail. Il n’y a donc pas de fatalité. Au contraire, la situation actuelle montre que la politique agricole doit redevenir volontariste et définir de nouveaux caps.

Si l’on est enfin sorti de l’illusion du prix mondial, il reste beaucoup à faire pour retrouver des prix rémunérateurs pour tous les agriculteurs. C’est notamment le cas pour les éleveurs avec la forte hausse du prix de l’aliment du bétail. Il est donc extrêmement important que les agriculteurs restent solidaires entre eux pour défendre un modèle économique qui permette à chacun de vivre de son travail.

Pour une régulation de l’offre

Pour la CR, il s’agit bien en effet de changer de modèle économique et de retrouver une économie de marché, avec une régulation souple de l’offre. Nous savons que ceci est la condition préalable et indispensable pour un prix rémunérateur qui assure une production agricole durable. C’est pourquoi nous ne nous battrons pas pour la redistribution des DPU au sein du 1er pilier, comme la FNSEA, ou en faveur du transfert du 1er pilier vers le 2e pilier, comme la Confédération paysanne, car nous ne croyons pas du tout à l’avenir de l’usine à gaz des DPU.

Nous savons que l’avenir des agriculteurs et leur fierté sont ailleurs et qu’ils sont liés à la reconnaissance et à la juste rétribution de leur travail. C’est ce combat là que nous allons continuer à mener avec eux.
(*) Nous consacrerons un prochain dossier à présenter les propositions qui seront formulées. N’hésitez pas à nous faire part de vos idées ou à nous signaler des propositions intéressantes.

Faire évoluer les interprofessions

La Fédération nationale porcine (FNP) a constaté le 26 février dernier « avec étonnement » la hausse de 44% des prix du jambon révélée par 60 millions de consommateurs. Pourtant, la FNP est la seule organisation agricole à être partie prenante dans l’INAPORC, l’interprofession porcine qui « souhaite améliorer les conditions de mise en marché des produits issus de la filière porcine ». Cette ignorance et la crise que traverse les producteurs renforcent la CR dans l’idée qu’il devient urgent de réformer le fonctionnement des interprofessions et de les ouvrir enfin à l’ensemble des syndicats représentatifs. Loin des compromissions actuelles avec les industriels, la priorité de la CR serait de défendre l’intérêt des producteurs et proposer les solutions qui s’imposent pour garantir la pérennité des filières porc, lait…

Une opportunité pour l’économie : la TVA sociale

La TVA sociale revient à l’ordre du jour pour financer la protection sociale, alors que la croissance française s’annonce morose pour 2008. La CR est persuadée que la TVA sociale représente une chance formidable pour l’agriculture et demande au gouvernement de la mettre en place sans tarder. Elle permettrait de diminuer les coûts de main d’œuvre très importants en agriculture et de rééquilibrer les différences entre les prix des produits importés et les produits européens. Le consommateur et le producteur en sortiraient donc gagnants, en particulier dans un secteur grand consommateur de main d’œuvre : les fruits et légumes.

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