Depuis un an, le secteur vitivinicole est en pleine restructuration. La folie des réformes nous aurait-elle saisis ? Il semblerait bien : réforme de l’Organisation Commune des Marchés (OCM) vitivinicole, réforme de l’INAO, réforme de l’agrément viticole, réforme de la gouvernance viticole.

Ces réformes sont en fait étroitement imbriquées les unes dans les autres, comme des poupées russes, mais l’ordre d’emboitement n’a pas été respecté… Il aurait été préférable qu’elles se succèdent, intégrant ainsi les implications des unes vers les autres, dans un calendrier soigneusement préparé et calibré. Au lieu de cela, c’est l’anarchie : chacun remanie sa partie de son côté et en même temps, sans prendre le temps de réfléchir correctement aux conséquences. Du coup, certaines propositions ne correspondent absolument pas aux besoins des viticulteurs. Pire, certaines de ces réformes peuvent même signer l’arrêt de mort de certaines exploitations déjà très précarisées par la mondialisation du marché et l’ambiance de normalisation de nos entreprises et de nos productions.

Schéma simplifié de la filière viticole  et des principaux organismes concernés par ces différentes réformes

Réforme de l’OCM vitivinicole

La réforme de l’OCM était annoncée depuis longtemps, et la CR l’avait anticipée en rencontrant à Bruxelles le responsable du bureau de la viticulture à la Direction Générale de l’Agriculture le 4 mai 2006 et lui avait présenté ses propositions. Dès ce rendez-vous, la CR avait clairement indiqué que la suppression des droits de plantation était une « fausse bonne idée ! » et même une vraie mauvaise idée...

Ce que la Commission proposait…

Si l’objectif (mieux utiliser les crédits budgétaires) était honorable, la Commission faisait une grande erreur en surestimant les excédents viticoles, et en limitant les raisons de la crise à la surproduction. Elle proposait des mesures ultralibérales prétendues améliorer la compétitivité des viticulteurs européens :

  • arrachage de 400 000 ha de vignes
  • suppression des droits de plantation
  • suppression des mesures de gestion du marché
  • suppression de la chaptalisation (ajout de saccharose) et de l’aide à l’enrichissement par moûts concentrés rectifiés (ajout de fructose)
  • autorisation de vinification et d’assemblage de vins des pays tiers aux vins de l’UE
  • création d’enveloppes nationales (fonds communautaires alloués aux EM) avec les budgets précédemment destinés aux mesures de gestion du marché,
  • mise en place d’une mesure d’aide à la promotion des vins de l’UE sur les pays tiers
  • transfert de fonds vers le 2ème pilier
  • application de la conditionnalité
  • alignement des pratiques œnologiques de l’UE à celles admises par l’OIV, sur décision de la Commission

Une bonne partie du programme de la Commission n’était pas à la hauteur de nos attentes.

…et la réaction de la CR

Les viticulteurs attendaient une OCM viticole qui relance la filière, or la Commission Européenne souhaitait privilégier la voie de la libéralisation aveugle. Cela aurait accru leurs difficultés, puisque les règles du marché mondial ne correspondent absolument pas aux caractéristiques de la viticulture traditionnelle européenne.
Ce premier catalogue de mesures ne pouvait satisfaire la CR, qui avait participé dans un esprit constructif à toutes les réunions de travail organisées sur cette réforme et avait largement contribué par ses propositions au document présenté par la France à la Commission.
Conseiller un programme d’arrachage massif, c’était accepter une situation d’échec, sans analyser réellement le secteur viticole, son fonctionnement et ses contraintes. De plus, en envisageant l’arrachage sans une aide à la cessation d’activité décente, la Commission ne permettait même pas aux vignerons les plus endettés de se reconvertir.
En supprimant les droits de plantation, l’Union Européenne risquait de prolonger la crise viticole : il reste suffisamment de surfaces viticoles non plantées dans les zones AOC pour déstabiliser le marché. De plus, cette libéralisation aurait dirigé la production française vers l'industrialisation de la culture de la vigne au détriment de la qualité du produit.

La CR refusait cette proposition de réforme de l’OCM, contraire à l’essence même de la richesse de la viticulture traditionnelle française, composée de petites entreprises familiales, de coopératives et de négoces.

Ce que le Conseil propose aujourd’hui, suite au Conseil des Ministres du 19 décembre 2007

  • arrachage de 175 000 ha de vignes sur 3 ans
  • libéralisation des droits de plantation à partir de 2015, possible maintien au niveau national jusqu’en 2018
  • maintien de la distillation de crise, et financement par les enveloppes nationales allouées aux Etats Membres par l’UE pendant 4 ans et ensuite sur fonds nationaux
  • maintien de la chaptalisation, et de l’aide à l’enrichissement par moûts concentrés rectifiés, remplacée après 4 ans par une aide découplée
  • diminution des marges d’enrichissement (2% en zone B au lieu de 2,5 ; 1,5% en zone C au lieu de 2 ; possibilité de dérogation de 0,5% supplémentaires en cas d’année difficile)
  • libéralisation de l’étiquetage, avec utilisation possible pour tous les vins (y compris vins sans IG) des mentions du cépage et du millésime sous réserve de respecter un cahier des charges et d’obtenir un label ; impossibilité d’assemblage de vins de cépage entre les différents Etats membres (sauf accord des Etats membres concernés)
  • enveloppe nationale de 280 millions € pour la France (après la période d’arrachage)
  • alignement des pratiques œnologiques de l’UE à celles admises par l’OIV, sur décision de la Commission
  • mesures de développement rural
  • introduction d’un paiement unique découplé par exploitation

Ce que la CR en pense : le pire a été évité !

Il a fallu l’union politique des grands pays producteurs de vin pour repousser les propositions ultralibérales de la Commission qui auraient détruit notre secteur vitivinicole. Il est très regrettable d’avoir dû mobiliser autant d’énergie uniquement pour contrer la Commission, laquelle démontre à nouveau son incapacité à analyser correctement la situation. On attendait d’elle qu’elle fasse des propositions adaptées à la nécessaire réforme de l’OCM viticole, ce qui n’est pas le cas. Malgré cela, la Commission est restée sourde à nos demandes, s’accrochant à son projet, jusqu’à ce que la décision soit tranchée en Conseil des Ministres.

Si le spectre de la suppression des droits de plantation s’éloigne, il faudra cependant demeurer intransigeant en 2013 pour garder la maîtrise des plantations en Europe. Notre cadastre viticole est un modèle : il faut non seulement le préserver, mais promouvoir son application à l’ensemble des pays producteurs.

La reconnaissance du principe de subsidiarité aux Etats-membres identifiés comme aptes à gérer des enveloppes nationales constitue une avancée. Il reviendra à la France d’organiser la concertation de tous les producteurs pour en garantir une utilisation conforme à l’intérêt général de la viticulture.

Le fait d’abandonner les instruments majeurs de gestion de la production viticole européenne relève d’une politique absurde et malheureusement coutumière de la Commission, qui prétend organiser les marchés agricoles en abandonnant tout moyen de gérer les productions.
Nous avons 4 années de répit pour nous organiser, car s’il sera ensuite toujours possible de déclencher une distillation de crise, ce sera sur les deniers français et conditionné à l’autorisation de la Commission !

A l’origine des débats, la Commission avait demandé à la filière si elle souhaitait une réforme à la marge ou en profondeur. La profession s’était montrée quasiment unanime quant au choix d’une réforme profonde. Les propositions de la Commission faisaient montre d’une telle méconnaissance du sujet qu’elles étaient inacceptables en l’état. Devant l’obstination de Mme Fisher Boel et après d’âpres débats, la profession est arrivée à un consensus radicalement opposée à ce qu’elle désirait: un statu quo permettant d’éviter le pire en temporisant. Cependant, rien n’est résolu pour l’avenir et les viticulteurs doivent rester très mobilisés. Nous venons de passer à côté d’une belle occasion de moderniser durablement la filière, cela ne fait qu’accentuer notre retard face à nos challengers.

La réforme ne s’est absolument pas penchée sur les vins de table et les vins de base, pour lesquels aucune solution durable n’a été trouvée !

Réforme de l’INAO

La réorganisation de grande ampleur du dispositif de valorisation des produits agricoles et agroalimentaires en application de la loi d’orientation agricole du 5/01/2006 a été annoncée avec force roulements de tambour par le ministère. Or, bien que nécessaire, la réforme sera une catastrophe pour les producteurs s’ils n’en sont pas les maîtres d’œuvre : elle va forcément déboucher sur des contraintes accrues et des cotisations supplémentaires. Cette réforme n’a pas été élaborée de manière concertée, puisque de nombreux producteurs s’y sont opposés. Preuve en a été la constitution du collectif d’action « pour une réforme intelligente de la gestion des vins AOC en France », qui exprime des craintes et des constats identiques à ceux de la CR.

Que prévoit la réforme de l’INAO?

La réforme de l’INAO prévoit de dissocier la gestion de l’AOC de la gestion de l’agrément, qui étaient toutes deux effectuées par le syndicat AOC jusqu’à présent.
Cette réforme fait suite à une forte pression des consommateurs et à des bruits négatifs importants et récurrents venant des régions viticoles sur les agréments et leur fonctionnement. Le but premier de cette réforme est de séparer la gestion de l’appellation de celle des contrôles, les consommateurs mettant en doute l’intégrité des contrôles faits par les syndicats viticoles, les vignerons étant juges et partie.
Mais c’est également une réforme du fonctionnement de l’INAO, car aujourd’hui les taxes INAO payées par les viticulteurs et les autres producteurs ne couvrent que le coût des bâtiments et le fonctionnement, les salaires étant assurés par l’Etat.

Le syndicat AOC se transforme donc en ODG et l’agrément sera effectué par un ODC. L’ODC sera soit un Organisme d’inspection (OI), soit un Organisme certificateur (OC). En passant par un OC, les vignerons auront une plus grande indépendance et offriront une meilleure garantie vis-à-vis des consommateurs. De plus, les OI vont devoir se transformer en OC à terme, comme prévu dans le texte de loi, et passer d’une norme à l’autre coûte très cher (le coût global pour le BNIC est évalué à 150 000 € pendant 3 à 5 ans). Or, en créant des OI, il faudra les rentabiliser, ce qui induit un nouveau risque : celui de créer de nouveaux contrôles pour faire fonctionner rentablement cet organisme !

Quelles cotisations supplémentaires ?

Jusqu’ici, les syndicats AOC, nouveaux ODG, fonctionnaient essentiellement grâce à la redevance issue de l’agrément des vins. Ce dernier disparaissant, il va leur falloir lever des fonds pour continuer le travail du syndicat. Et donc prélever une cotisation. Pour bénéficier de l’AOC, qui est un bien collectif, le viticulteur devra dorénavant obligatoirement être adhérent de l’ODG, ce qui n’était pas le cas avec le syndicat de défense de l’AOC. Cette réforme ne pourra qu’augmenter les cotisations pesant sur les viticulteurs.

Réforme de l’agrément

La CR en avait immédiatement perçu et dénoncé les dangers. Nombre d’organisations ont émis les mêmes réserves et les désaccords ont été importants.

Cette réforme n’a jamais fait l’objet d’un réel chiffrage et donnera lieu à des surcoûts pour les producteurs. Les dégustations étaient jusqu’ici assurées bénévolement par les opérateurs locaux (producteurs, coopérateurs, négociants œnologues). A présent, elles seront effectuées par un organisme extérieur, indépendant et professionnel, qui demandera rétribution.

Cette réforme s’est mise en place dans l’opacité la plus complète. De nombreux viticulteurs n’ont pas reçu à leur domicile le projet de cahier des charges de leur appellation. Si certains syndicats AOC restent réalistes et construisent ce document sur la base de leur décret AOC, d’autres profitent de cette réforme pour pressurer davantage les vignerons. Cette fois, la normalisation des chais et des vignobles semble être de mise pour certaines appellations, confirmant nos craintes. L’agrément de l’exploitation au lieu de celui du produit, tel que présenté, peut être assimilé à une certification rampante des chais.

La CR a appelé les syndicats AOC à œuvrer dans la transparence en envoyant les cahiers des charges à l’ensemble des viticulteurs de leur zone d’appellation, en faisant voter ces documents en assemblée générale plénière (et non pas seulement par les représentants locaux du syndicat) et en réalisant une réelle étude des coûts que cette réforme engagera pour leurs adhérents. A notre connaissance, aucun syndicat n’a donné de suite satisfaisante.

Réforme de la gouvernance viticole

« Gouvernance » est un bien joli mot… mais si ce terme est à la mode, il est extrêmement vague. Sa définition est la suivante : « gestion menée avec rigueur ». Une idée a priori très intéressante, car la gestion de la filière viticole est aujourd’hui complexe. Une réforme est donc en cours, dont nous attendons la synthèse des contributions.

La CR a d’ores et déjà fait des propositions.

Au niveau national : une organisation en deux volets

L’INAO sera responsable de la gestion de la qualité (toutes IG) et restera un organisme professionnel. Les syndicats agricoles à vocation généraliste représentatifs au niveau national doivent être associés aux réunions de l’INAO.

L’office continuera de gérer le volet économique et restera l’organisme payeur. Le Conseil de direction spécialisé sera composé de 2 personnes de chaque bassin viticole, afin de représenter la diversité régionale, et de membres des organismes suivants : 1 poste à chaque syndicat agricole à vocation généraliste représentatif au niveau national, 1 poste à chacune des organisations suivantes : VIF, CCVF, INAO, et 3 postes aux entreprises du négoce.

Au niveau régional : clarifier les missions et les fonctionnements

Le bassin sera l’instance de réflexion sur la gestion de l’ensemble de ses productions. Il réunira donc l’ensemble des professionnels : producteurs (issus des ODG afin de garantir leur représentativité), négociants, caves coopératives, vignerons indépendants, interprofessions, administrations, syndicats généralistes. En cas de désaccord entre les professionnels de la région, le comité de bassin doit être l’instance de négociation et de recherche de compromis avant d’en arriver à un arbitrage supérieur.
Les bassins viticoles se sont mis en place de manière opaque. Nous souhaitons que le président du bassin soit un professionnel élu par les membres du bassin (alternance négoce et production), afin de garantir sa représentativité, et que la coprésidence soit assurée par l’administration. La définition géographique des bassins doit être revue et calquée sur celle de l’INAO.

Nous ne souhaitons pas de modèle unique : il n’est pas nécessaire de chercher à obtenir une interprofession unique dans un bassin viticole, sous peine d’affaiblir les petites appellations. Une fédération des interprofessions, permettant la mise en commun des moyens sur des actions transversales, doit être suffisante.

Les interprofessions devront être le lieu d’exécution des décisions du bassin viticole et de l’ODG. C’est le lieu où la politique des appellations est mise en œuvre. Elles seront chargées des projets d’expérimentation, de développement, des études économiques et statistiques et de la promotion collective. C’est le lieu où les décisions quant aux capacités de production et de mise en marché de l’appellation seront prises, mais après avis des bassins viticoles pour que chaque appellation soit consultée. Les syndicats généralistes représentatifs y siégeront de droit. Les membres de l’interprofession doivent être issus d’une élection afin d’éviter la cooptation.

Les ODG, responsables de l’appellation d’origine, géreront le profil qualitatif des vins. Les responsables de l’ODG doivent être élus. La présidence de l’ODG sera assurée par la production. Elles sont donc un lieu de décision et de réflexion incontournable.

De réformes en « réformettes », beaucoup de gens se font plaisir en multipliant les structures, sans se préoccuper des exploitants qui à chaque fois sont sollicités pour les financer !

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