Les fruits et légumes (F&L) en France, ce sont 59 750 exploitations (soit 11% des exploitations françaises) qui occupent 425 000 ha de SAU française (soit 1,5%) et produisent 10,4% de la valeur de la production agricole française (source Agreste, 2005). Ces sont des exploitations employeuses de main d’œuvre, souvent étrangères désormais.

La filière des F&L est mal connue : elle est complexe et s’organise très différemment des autres secteurs agricoles. Longue chaîne de professionnels pour amener les produits jusqu’au consommateur, elle est constituée des producteurs, des Organisations de Producteurs (OP), des grossistes et des détaillants, ainsi que de la grande distribution. Cette filière a constitué son propre centre technique interprofessionnel (autofinancé par une taxe sur la vente des F&L), son interprofession (où la CR ne siège toujours pas !), des Sections Nationales Produits, qui ont pour vocation de gérer la mise en marché, la publipromotion, la communication nationale et des Comités de Bassin, calqués sur les grands bassins de production, auxquels adhèrent obligatoirement les OP. Ces Comités élaborent des statistiques, apportent un soutien administratif aux OP et gèrent la recherche expérimentale.

Secteur Fruits et Légumes

Présentation de l'OCM

Le secteur des F&L fait partie de la PAC mais, à la différence des grandes cultures, il est régi par une Organisation Commune de Marché (OCM), qui est actuellement en cours de réforme.
Selon cette OCM, seuls les « organisés », soit les producteurs intégrés à une OP, peuvent toucher une aide. Cette OP n’est pas forcément une structure coopérative, elle peut être créée sous forme associative. Actuellement, 50% des producteurs français sont en OP.
Les producteurs indépendants sont eux exclus du système, ce qui est inacceptable.

Trois grands types de production se partagent le secteur : les F&L frais, les F&L transformés et les F&L d’industrie. Seuls les deux premiers sont concernés par une OCM.

Pour les F&L frais, l’aide n’est pas un versement direct : elle s’apparente plutôt à une subvention, la Commission européenne finançant la moitié du projet. Il faut donc que l’OP élabore un Programme Opérationnel (PO), qui devra être accepté par la DDAF, puis par Viniflhor (l’office qui gère ce secteur). Lorsque le PO est accepté, il faut savoir que l’OP peut être contrôlée pendant les 5 ans qui suivent la fin du programme opérationnel par 4 organisations différentes (DDAF, Viniflhor, Agence Unique de Paiement et les douanes). Sur ces organisations, l’AUP et les douanes disposent du droit de remettre en cause l’agrément donné, de conclure ainsi que le programme n’était pas recevable, puis de demander en conséquence la restitution de l’aide, et ce bien que le gouvernement français (via la DDAF) l’ait accepté ! Bien entendu, les adhérents qui bénéficient des aides s’engagent à rester dans l’OP le temps du programme opérationnel.
Pour les F&L transformés, l’aide est fonction du tonnage apporté à l’OP. L’OCM actuelle ne finance que les productions de pruneaux, poires, pêches pavie et tomates.

Les F&L d’industrie ne perçoivent aucune aide. Ce sont les F&L destinés à la fabrication de conserves ou de surgelés. Leurs surfaces sont en diminution en France.

Il faut croire que tout cela a été mis en œuvre selon un grand principe : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

La Coordination Rurale a toujours appelé de ses vœux la réforme de l’OCM pour la transformer en une Organisation Commune des Productions et des Marchés (OCPM), partant du principe qu’on ne peut organiser les marchés sans connaissance et sans prévision de la production. Mais la réforme proposée ne se présente pas comme nous l’aurions souhaitée…

Les éléments clefs de la réforme


1) Aucune organisation des productions n’est envisagée

La CR proposait la mise en place d’un « inventaire vergers » ainsi que des déclarations d’intention indicatives de la part des maraîchers. Ces renseignements auraient été récoltés par les DDAF et auraient permis d’évaluer la production annuelle.

2) Le rôle central des organisations de producteurs est maintenu

Les producteurs indépendants restent écartés de l’OCM. La Commission européenne persiste et signe : point de salut en dehors de l’OP. Or, les contraintes sont telles que de moins en moins d’OP demandent des aides européennes, elles préfèrent financer seules leurs projets.

3) Gestion de crise

La Commission propose de financer la gestion de crise par le Programme Opérationnel, à hauteur maximale de 33%. Les mesures possibles sont : retrait, récolte en vert, commercialisation, promotion, formation, assurance-récolte, soutien aux frais administratifs de mise en place d’un fond de mutualisation.
Or, réserver les mesures de crise aux seuls « organisés » sera inefficace en France : seule la moitié des producteurs participeraient à sa résorption. Ceci est impensable. La France propose donc que les producteurs indépendants qui conventionneront avec leur Comité de bassin puissent bénéficier de ces programmes. La gestion de crise ne sera en effet efficace que si elle est suivie et gérée par tous.

La CR prévoyait une gestion de crise basée sur l’anticipation, via des mécanismes de connaissance et de régulation, ouverte à l’ensemble des producteurs français par :

  • l’établissement d’un inventaire verger européen pour la mise en place de l’organisation de la production.
  • la mise en place d’une politique variétale stable adaptée au bassin de production, pour éviter les conflits et concurrences entre région de production au cœur d’un même comité de bassin et entre les comités de bassin.
  • l’arrêt de toutes nos politiques de subventions incohérentes et ruineuses (subvention à la plantation, subvention à l’arrachage, etc.), les seules subventions à conserver étant liées à la lutte contre les accidents climatiques.

Cela devait permettre de mettre en place des moyens d’évaluation de la production et d’intervention avant les crises, pour éviter une chute importante des cours en cas d’année de surproduction. Le retrait conjoncturel, la transformation agroalimentaire, la destruction, le transfert vers l’alimentation animale ou le retrait vers les associations caritatives sont des moyens a posteriori dont les effets nécessitent une gestion rapide et simple, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui et ne le sera toujours pas demain !

4) Actions environnementales

Désormais, les OP devront intégrer les actions environnementales à hauteur de 20% de leur PO. Or, le souci majeur est le suivant : pour qu’une action soit recevable, il faut qu’elle soit supérieure à la loi de l’Etat, et non pas à celle de l’Union Européenne ! Comme la France est l’un des pays le plus exigeant en matière d’environnement, il est extrêmement difficile de trouver des actions qui soient à la fois finançables par l’UE et réalisables par les OP !

5) Mesure de promotion à la consommation vers les jeunes

Cette mesure sera obligatoire dans le PO. Si cela est envisageable au niveau national, comme la distribution gratuite de fruits dans les écoles que proposait la CR, il nous semble très difficile que chaque OP puisse en faire une action. Cela risque d’être un vrai embrouillamini, sans logique nationale et sans aucune retombée réelle en matière de consommation !
De plus, il est réducteur de ne viser que les jeunes, alors qu’il est possible de relancer la consommation autrement par :

  • la promotion des produits pour une plus grande consommation et une communication accrue sur les bienfaits des fruits et légumes frais sur la santé ;
  • la vente des fruits et légumes assistée par des vendeurs formés pouvant conseiller les consommateurs sur le choix de leurs produits. D’une part, le libre service entraîne un gaspillage important, les fruits et légumes étant des produits délicats. D’autre part, les consommateurs ne savent plus choisir les fruits et légumes. Un vendeur qualifié leur permettrait d’acheter à maturité désirée, comme cela se produit en vente directe.
  • l’apport d’une dimension de service aux fruits et légumes (portage de paniers garnis à domicile, aspects bienfaits santé…)
  • la création de circuits courts avec des enseignes, afin de permettre aux consommateurs d’acheter des produits frais de saison, du terroir et de qualité.
  • la création de plus de marques collectives, qui sont un repère en grande surface pour le consommateur, peut également être une piste.
  • la création de variétés apportant une réelle diversification pour de nouveaux modes de préparation ou de consommation.

6) Normes

La CR a toujours demandé à ce que les efforts des producteurs européens soient reconnus comme suffisants, mais également à ce que l’ensemble des producteurs européens travaillent sur la même base. Pour cela, nos propositions étaient les suivantes :

  • Simplifier les normes existantes, et non pas en rajouter.
  • Harmoniser les normes sanitaires au niveau européen et les appliquer uniquement au stade de consommation, sur produit fini et non tout au long du processus de transformation, afin de mettre sur un pied d’égalité les produits européens et des pays tiers.

Inclues dans les normes sanitaires, l’harmonisation des normes phytosanitaires est un préalable : les usages mineurs sont de plus en plus laissés pour compte et nombre de cultures légumières n’ont pas de matières actives adaptées, alors que des produits sont homologués dans le pays limitrophe.

  • Permettre la simplification de l’emballage. Les produits sont emballés et suremballés dans les stations fruitières, par obligation légale, alors que les commerçants et la grande distribution défont ces emballages pour la grande majorité des produits. C’est un gaspillage tant écologique qu’économique, car les emballages correspondent en grande partie à des charges pesant sur les F&L frais.
  • Identifier clairement l’origine du produit sur l’emballage, notamment pour les marques de distributeurs dont l’origine n’est souvent pas perçue par le consommateur.
  • L’interdiction du réemballage des produits importés. Le consommateur doit pouvoir connaître au premier coup d’œil l’origine du produit.

La seule simplification consentie est que désormais la normalisation internationale fera référence (OCDE, CEE/ONU, CODEX), alors que précédemment le système normatif était adopté en comité de gestion.
La Commission européenne n’a pas daigné entendre nos autres demandes, pourtant essentielles pour le consommateur comme pour l’environnement !

7) Echanges

La CR a toujours demandé que les efforts des producteurs européens soient mis en avant. Les produits importés ne sont pas de qualité égale aux nôtres, ne respectent pas les mêmes normes environnementales et ont un coût écologique extrêmement élevé (transport). Pour tout cela, nos propositions étaient les suivantes :

  • Le respect de la préférence communautaire, conditionné à la mise en place de tarifs douaniers dissuasifs. L’autosuffisance alimentaire et la sécurité sanitaire doivent redevenir une priorité européenne.
  • Le classement des fruits et légumes en produits « sensibles » à l’OMC.
  • L’automatisation de la clause de sauvegarde spéciale par volumes, qui permet de mettre en place une barrière douanière (droit additionnel) en cas de dépassement d’un volume d’importations. Cet outil n’a jamais été utilisé car la Commission demande la preuve du préjudice subi, en sus du droit OMC, ce qui empêche la mise en place la procédure.

La systématisation des certificats d’importation à tous les F&L.

  • Le maintien du tarif douanier commun pour les F&L. Le tarif douanier commun est souvent affaibli par des accords bilatéraux (contingents d’importations sans droits de douane).
  • La fixation du prix des produits importés dès passage des frontières européennes afin d’éviter tout dumping par la suite, comme cela a déjà été le cas (pommes de l’hémisphère sud entrées en Europe du Nord, vendues à Rungis à un prix inférieur au coût du transport entre le port de débarquement et Rungis). La vérification de ce prix de vente en Europe doit être faite par document comptable et lorsque l’importateur ne respecte pas ce prix déclaré en frontière, la sanction doit pouvoir aller, selon l’importance de l’infraction, d’une amende au retrait de la licence d’importation.

La Commission européenne n’a pas modifié cet aspect de l’OCM lors de la réforme. Elle a maintenu le tarif douanier commun et a refusé d’automatiser la clause de sauvegarde spéciale par volume, qui pourrait être un outil essentiel pour éviter l’entrée massive de F&L déstabilisant par la suite notre marché intérieur.

8) Restitutions à l’exportation

Elles seront supprimées à compter du 1er janvier 2008.

9) DPU

L’article 51, qui excluait les F&L du Régime de Paiement Unique va être abrogé (il est cependant conservé pour les surfaces viticoles). Bonjour, la conditionnalité ! Une grande subsidiarité est laissée aux Etats membres pour cette décision, dans le cadre suivant :

  • concernant l’admissibilité des surfaces, les F&L et pommes de terre de consommation sont admissibles dès 2008, avec une flexibilité de 3 années concernant l’application de l’article 51.
  • le montant des DPU devra être sur la base de période de référence et de critères objectifs.
  • chaque Etat membre devait décider au plus tard le 1er novembre quelles productions seront admissibles en 2008, puis chaque année, les productions admissibles pour l’année suivante.


a) F&L transformés

L’aide au tonnage étant désormais mal vue par l’OMC, la réponse pour les F&L transformés est simple : les aides allouées auparavant sont transformées en aide/hectare, soit en DPU. Les surfaces sont stables et connues puisque, pour bénéficier de l’aide, il fallait que le producteur soit adhérent à une OP et que cette OP ait contractualisé avec un transformateur. Ces conditions restent nécessaires pour le versement des DPU, donc cela ne posera pas de problème majeur. Les filières bénéficiaires de l’aide se sont entendues sur la répartition et démontrent leur sens de la solidarité en proposant d’ouvrir une enveloppe pour la filière « bigarreau » qui est en grande difficulté.
-    Pruneaux, pêches et poires destinés à la transformation
L’enveloppe historique (44,033 M€) reviendra intégralement à ceux qui l’ont générée. Les professionnels se sont cependant accordés pour que 2% de cette enveloppe bénéficie au secteur du bigarreau destiné à la transformation, sous la forme de DPU. Le calendrier serait le suivant : 100% d’aides couplées (aides à l’hectare) durant les trois premières années, puis 75% d’aides couplées durant les 2 années suivantes, avant un découplage total à partir de 2013. Il est à noter que le taux d’organisation économique est très élevé dans les secteurs concernés (plus de 80%).
-    Tomate d’industrie
L’enveloppe historique (8,033 M€) reviendra intégralement à ce secteur. L’aide sera découplée à hauteur de 50 % durant la phase transitoire jusqu’au 31 décembre 2011.

b) Légumes d’industrie, melon, endive, oignon, chou-fleur

Les surfaces concernées par ces productions deviennent admissibles pour l’activation des DPU à compter du 1er janvier 2008. Toutefois, l’examen d’une éventuelle attribution de montants de référence est reporté à des débats ultérieurs, qui tiendront compte du bilan de santé de la PAC.

c) Légumes et fruits frais, pommes de terre de consommation

Le conseil de direction spécialisé F&L de Viniflhor souhaite majoritairement que toutes les surfaces en culture de fruits, de légumes (frais et d’industrie) et de pommes de terre soient admissibles avec dotation au régime de paiement unique dès 2008. La CR a demandé l’admissibilité des surfaces en fruits et légumes de plein champ dès 2008 pour ne pas « verrouiller davantage le système des DPU », mais s’est cependant opposée à toute dotation qui supposerait un prélèvement linéaire sur tous les DPU. Nous avons indiqué qu’il existe d’autres moyens plus déterminants pour rendre ces secteurs compétitifs (alléger les coûts de main d’œuvre par exemple) que de donner des DPU.
Néanmoins, la position finale de la France est la suivante : l’exclusion du régime de paiement unique est prorogée en 2008 pour toutes les autres cultures que celles précisées auparavant.

Petite note sur les F&L d’industrie : les transformateurs (Bonduelle, Géant vert, Daucy et autres) aimeraient bien qu’un DPU soit versé : ce serait toujours ça de moins à payer à l’agriculteur ! En effet, leur grande crainte est qu’avec l’amélioration du prix des céréales, les agriculteurs préfèrent semer ces dernières, plus rentables et moins difficiles à conduire (les cahiers des charges ne sont pas tous simples). D’où leur angoisse de devoir rehausser les prix et donc leur intérêt pour un DPU (on sait ce que l’aide laitière est devenue !).

Réforme de l'OCM Fruits et Légumes : une occasion manquée

Cette réforme de l’OCM était une réelle gageure et une chance pour le maintien de l’arboriculture et du maraîchage européens. L’arrivé de la Chine entre autres sur les marchés mondiaux ne permettra pas aux pays de l’Union Européenne de rester compétitifs, quels qu’ils soient. Il s’agissait de pérenniser les exploitations existantes et de permettre de nouvelles installations par une OCPM défendant les producteurs européens, en améliorant la compétitivité d’un secteur aujourd’hui en grande difficulté.

La France a fortement pesé dans les négociations, et à son initiative, des mesures intéressantes ont été adoptées : soutien transitoire pour les fruits et légumes transformés, gestion de crise, promotion des produits pour favoriser la consommation.

Pour autant, les problèmes de fond n’ont pas été pris en compte.

  • La connaissance des productions et leur équilibre en Europe ne sont pas évoquées : comment peut-on organiser un marché sans le connaître ?
  • Les producteurs indépendants ne sont absolument pas pris en compte dans cette réforme, contrairement aux demandes de la CR et du ministère français.
  • Le renforcement des OP, qui a pour objectif annoncé d’améliorer la compétitivité du secteur, ne va qu’accentuer les distorsions de concurrence entre les producteurs : les producteurs indépendants sont clairement désavantagés.
  • L’alignement du secteur des F&L au système des DPU risque d’accroître les distorsions de concurrence entre les producteurs et entre les pays.
  • La Commission européenne a refusé de règlementer la mention de l’origine des F&L sur les produits transformés.

Ces mesures, proposées en mai 2006 par la CR à la Direction générale de l’agriculture, auraient constitué une grande amélioration pour les producteurs de F&L sans aucune incidence sur le budget alloué à la filière.

Malgré son discours libéral, la Commission enferme les producteurs de F&L dans un système de contraintes et de restriction des libertés économiques. La concentration de l’offre ne fera qu’accentuer la baisse des prix aux producteurs et leur dépendance vis-à-vis d’acteurs de plus en plus éloignés de leurs attentes et préoccupations.

De plus, la Commission finance les OP et, ce faisant, créée une distorsion de concurrence entre les producteurs, ce qui est contraire à ses principes libéraux.

La CR regrette que la Commission Européenne n’ait pas su saisir l’opportunité de cette réforme pour redonner une réelle dynamique à ce secteur dramatiquement sinistré et pourtant essentiel à l’économie et à la santé.

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