Pour la 11e étape de ce Tour de France 2017, les coureurs quittent la Dordogne et devront rallier Pau, dans les Pyrénées-Atlantiques. Ils passeront donc à quelques kilomètres de la ferme de Yannick, 40 ans, céréalier en production biologique, installé depuis 7 ans sur la commune de Siros.

Quels types de cultures as-tu ?

J’ai avec un assolement réparti en soja, maïs, colza, auxquels s’ajoutent du blé, du sarrazin et de la féverole. J’ai démarré mon activité en 2010 sur une trentaine d’hectares, à partir d’une ferme conventionnelle en polyculture. Il m’a donc fallu assurer de front l’installation, le changement d’orientation et la conversion au bio. Aujourd’hui, je cultive 50 hectares, dont une partie, reprise plus tard, est en période de conversion. La moitié de mes surfaces sont irriguées. L’autre moitié sont des terres noires qui résistent bien à la sécheresse, ce qui fait que les rendements sont équivalents. Je travaille seul et à temps plein sur l’exploitation, et mon oncle vient me donner un coup de main, surtout pour les désherbages. 50 hectares en bio, c’est l’équivalent de 150 hectares en conventionnel. La valorisation est plus importante, mais le travail aussi. Ce que l’on ne met pas en intrants, il faut le rajouter en heures de travail. C’est finalement un transfert de charges !

Comment parviens-tu à commercialiser ta production ?

J’ai développé mon réseau pour la valoriser au mieux. Je me suis vite rendu compte que via le système des OS, même en bio, je perdais trop de valeur ajoutée. J’ai investi pour stocker, trier et faire des lots, que je vends en majorité à des transformateurs. À terme, je voudrais pouvoir vendre directement au consommateur, mais c’est encore à l’état de projet. J’ai cessé de travailler avec les coopératives traditionnelles et j’ai intégré Agro d’Oc qui fonctionne encore selon le principe initial des coopératives. Par exemple, elle répartit les bénéfices sous forme de ristourne. Surtout, les techniciens ne sont pas là pour vendre du produit. Il y a trois ans, mon voisin et moi avons observé une baisse de végétation sur le colza sur nos parcelles. J’ai envoyé une photo à mon technicien qui m’a conseillé de laisser faire, indiquant que la culture repartirait. C’est ce qu’il s’est passé. Mon voisin, lui, a suivi le conseil de sa coop et a réalisé deux traitements. Nous avons eu le même résultat, mais combien a-t-il dépensé en intrants et en temps de travail supplémentaires ?

Ton installation a-t-elle suivi un parcours “classique” ?

Avant de devenir agriculteur, j’étais ingénieur informatique. En 2009, j’ai pris une année sabbatique pour faire le point et réfléchir à mon avenir professionnel. Au début, je pensais reprendre dans le secteur de l’informatique mais l’arrivée à l’âge de la retraite de mon oncle m’a fait réfléchir. J’ai un temps envisagé une reprise en tant que double actif. J’ai débuté mon BPREA. J’étais sensibilisé au bio et j’ai eu l’occasion de rencontrer d’autres producteurs en bio qui m’ont accueilli, ouvert leur comptabilité… Petit à petit, j’ai pris conscience qu’en conversion et en optimisant la commercialisation, je pouvais être céréalier à temps plein, sur une surface comme celle-là. Mes démarches d’installation n’ont pas été très difficiles, c’est la conversion au bio qui a été le point le plus sensible : acquérir les compétences techniques, en désherbage notamment. Contrairement au conventionnel où de nombreux techniciens sont présents, en bio, il faut aller voir ce que font les autres. Et la commercialisation, car même en bio, pour que la production soit rentable, il faut développer sa technicité, pour se positionner sur l’alimentation humaine, trouver des acheteurs et faire ses preuves. J’ai démarché des commerciaux, fait le tour des salons, attendu qu’on me rappelle… Cela n’a pas été simple.

Convaincre les autres n’a pas dû être chose aisée.

L’avantage du BPREA, c’est que j’ai pu me former en comptabilité et passer du temps à ficeler mon PDE, pour démontrer que je pouvais vivre de cette activité. Pour le reste, j’avais, grâce à mes formations précédentes, validé beaucoup de modules. Mais ce sont les agriculteurs qui m’ont le plus aidé pour réaliser le PDE. L’enseignant, lui, ne croyait pas aux calculs de marge proposés et au prix de vente. Je l’ai d’ailleurs retrouvé quelques années plus tard, quand je participais à un jury de BPREA en tant que professionnel. Paradoxalement, là où ils étaient très frileux il y a quelques années avec les projets bio, ils adoptent aujourd’hui l’attitude contraire et laissent passer des projets parfois insuffisamment aboutis. Après, le bio est dans l’air du temps, et je vois bien que même pour les centres de formations, les budgets et les subventions tombent.

As-tu ressenti un réel soutien à l’égard de ton projet en agriculture biologique ?

Je suis bio par conviction donc engagé, mais je me suis vite rendu compte qu’on n’allait rien faire pour m’aider. Quand je me suis installé, tous les OS sont venus me voir et ont constaté que je n’avais rien à leur vendre, ni à leur acheter. Quand ils sont spécialisés en bio, ils gardent les mêmes automatismes qu’en conventionnel : vendre des semences et des intrants plutôt que de raisonner en termes de rotations, par exemple. Passé cette étape, sorti du système classique, on est bien seul. Heureusement que j’avais un réseau d’agriculteurs en bio pour m’entourer. Et encore, je suis moins à plaindre que la génération qui m’a précédé et qui a débuté cette production. La différence est quelque chose de terrible. Avec certains collègues agriculteurs, cela a aussi été compliqué : pour beaucoup, produire sans produits phytos est impossible, et il peut y avoir des conflits importants. J’ai vu un voisin bio dont la parcelle avait été traitée par l’un de ses voisins et qui a dû l’exclure de sa production ! Aujourd’hui, les choses évoluent. L’expérience des années précédentes et les aides à la conversion incitent les agriculteurs à envisager le bio autrement.

Justement, les aides bio, qu’en penses-tu ?

Mon département ne fait pas partie des départements les plus avancés en bio, mais je sais, d’après mon technicien, qu’il y a de plus en plus de conversions. Le risque aujourd’hui est de voir se développer un bio d’opportunité et les pouvoirs publics y participent quand ils suppriment les aides au maintien. Par exemple, en région Occitanie, ils ont supprimé les aides au maintien pour favoriser les conversions. Mais quelle garantie de voir tous ces agriculteurs maintenir une production bio au-delà de la période d’engagement ? Tout cela en abandonnant le soutien à des agriculteurs qui sont engagés depuis de nombreuses années. C’est une gestion à court terme !

Et le syndicalisme dans tout ça ?

Pour moi, être en bio, c’est être engagé, entrer en résistance contre le système traditionnel. Finalement, le syndicalisme est un prolongement. Peu après mon installation, j’ai tenté l’expérience JA en participant à une réunion et le discours, trop conventionnel, tourné vers le « système », ne m’a pas convaincu. J’ai eu la chance de croiser, lors de mon parcours, des membres actifs de la CR et ce syndicalisme modéré, en comparaison des deux extrêmes que sont la FNSEA et la Confédération Paysanne m’a plu. Le discours constructif que nous pouvons avoir me correspond, et j’apprécie la mixité conventionnel et bio. Depuis deux ans que je suis à la CR, je suis content de voir les lignes bouger : participer aux différentes réunions (chambre d’agriculture, Safer…) permet déjà de retrouver plus d’équité entre les agriculteurs. Aujourd’hui, nous avons à nouveau de vraies réunions cantonales Safer et non plus des réunions locales du syndicat majoritaire par exemple. Je sais que les choses prendront du temps : beaucoup d’agriculteurs cotisent encore à la FDSEA, parfois uniquement pour recevoir Le Sillon, j’en suis persuadé, et le maillage du système est très fort. Mais les choses évoluent dans le bon sens. Le contexte nous donne aussi raison : nous réclamons depuis des années des prix, plutôt que des aides. Avec les retards de paiement des aides PAC, des aides bio (je n’ai toujours pas reçu 2015!) ou encore la fin des MAE sur certains secteurs, cette proposition revient au cœur des préoccupations.

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