Selon Laurent Lheure (Loiret), cette idée part d’un bon sentiment mais elle risque, si le conseil est rendu obligatoire, de priver l’agriculteur de sa capacité à décider librement sur son exploitation.

Le projet de loi faisant suite aux États généraux de l’alimentation veut séparer conseil et vente de produits phytopharmaceutiques. De quoi s’agit-il ?

Laurent Lheure : un distributeur ne pourra plus conseiller et un conseiller ne pourra plus vendre de produits. Pour en acheter, l’agriculteur devra obligatoirement avoir reçu un conseil annuel individualisé, tenant compte des principes de la protection intégrée des cultures. Des dérogations seront prévues pour les produits de biocontrôle et à faible risque.

L’objectif du gouvernement est de réduire l’utilisation de produits phytosanitaires. Mais il ne faut pas oublier que le recours aux produits phytos est corrélé à la pression parasitaire, elle-même corrélée au climat. Il augmente en année humide et diminue en année sèche. De plus, la séparation ne garantira malheureusement pas la qualité du « protocole » conseillé.

Une telle séparation est-elle exigée par Bruxelles ?

Laurent Lheure : non, pas du tout. Il s’agit d’une sur-application de la directive européenne de 2009 sur l’utilisation durable des pesticides, celle-ci obligeant seulement le distributeur à dispenser un conseil lié aux conditions d’emploi et aux risques d’utilisation du produit. Un comble à l’heure où il est rabâché qu’il faut faire la chasse aux surtranspositions des textes européens !

Notons que la loi d’avenir agricole de 2014 a déjà instauré une séparation des deux activités, chez le distributeur lui-même. Le conseil y est dispensé par un titulaire du Certiphyto « conseil » alors que le vendeur est lui titulaire d’un Certiphyto « vente » et la rémunération du conseiller n’est pas indexée sur la vente des produits.

En plus d’être séparé, le conseil sera donc rendu obligatoire ?

Laurent Lheure : oui, ce que la CR refuse totalement ! Mais d’après les annexes du projet de loi, il n’y aurait pas d’obligation de mettre en œuvre le conseil reçu. Le choix de recourir ou non à des produits phytopharmaceutiques resterait de la responsabilité de l’exploitant agricole.

Le conseil actuel consiste la plupart du temps à établir une liste de produits, en fonction de l’assolement, une fois par an, et à envoyer des SMS d’avertissement pour traiter. Au final, le vendeur aura toujours le dernier mot, en repassant derrière le conseiller. Et le conseil, même séparé du distributeur n’est pas toujours si indépendant qu’on le croit. Si la séparation capitalistique exigée par la loi n’est pas complète, une coopérative pourra créer une filiale spécialisée dans le conseil (ou la vente), dès lors qu’elles n’ont pas les mêmes capitaux, et le tour sera joué ! Dans un tel cas, la séparation visera juste à se donner bonne conscience, en toute hypocrisie !

La Coordination Rurale accepte-t-elle le principe de la séparation des deux activités ?

Laurent Lheure : oui, mais l’agriculteur doit absolument rester libre de se faire conseiller ou non, libre de décider seul sur son exploitation. À la CR, nous voyons l’agriculteur comme un chef d’entreprise autonome. Nous refusons tout marché de conseil obligatoire organisé sur notre dos, qui nous transformerait en clients captifs, sans aucune contrepartie !

Les agriculteurs bénéficient d’une solide formation initiale et des matériels adéquats, leur permettant d’effectuer leur travail avec compétence et précision. Ils doivent, dans un système de vente de produits véritablement concurrentiel, rester seuls décideurs dans leur exploitation, sans avoir à rendre de comptes, dès lors qu’ils respectent les conditions d’utilisation (application, dose homologuée…).

Une telle séparation ne peut-elle pas faire baisser le prix des produits ?  

Laurent Lheure : le risque est que les distributeurs, tels que les coopératives ou les négoces privés, rechignent à diminuer le prix des produits. De toute façon, le produit sera toujours moins cher en achetant par groupement ou sur Internet. Le conseil séparé et obligatoire serait une aubaine pour les Chambres d’agriculture, toujours en recherche de nouveaux services à facturer, mais un coût supplémentaire pour les agriculteurs !

Que peut-on alors proposer pour favoriser l’autonomie des agriculteurs ?

Laurent Lheure : l’obligation de conseil s’assimilerait à un permis de traiter, confinant l’agriculteur surdiplômé à un simple rôle d’exécutant ! En Suisse par exemple, il faut une ordonnance pour avoir le droit d’acheter un produit ! Or, il suffit que l’agriculteur soit bien formé durant ses études et bien informé pour résister à toute pression de son technico-commercial. Dans cette optique, la CR demande la mise en place d’une plate-forme de formation continue en ligne, complète et évolutive ainsi qu’un système d’alerte et d’information des agriculteurs par envoi d’e-mails. La CR milite aussi de longue date pour l’interdiction de la publicité sur les produits. Voilà une autre hypocrisie avec laquelle il faut mettre un terme !

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