Monsieur le Député, vous qui étiez autrefois seulement agriculteur et aujourd’hui aussi député, vous semblez particulièrement satisfait du projet de loi sur l’agriculture et l’alimentation issu des États généraux de l’alimentation. Cela est certainement dû à votre position en tant que rapporteur de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen de ce projet de loi.

Cependant, au vu de vos propos je ne peux que constater que les réalités du monde agricole vous semblent actuellement bien étrangères. En effet, votre bonne volonté apparente et votre envie affichée d’agir pour les agriculteurs ne comblent pas le gouffre entre les paroles et les actes traduits par le texte du projet de loi. Contrairement à ce qu’il annonce, la rédaction actuelle ne va en rien améliorer la situation des agriculteurs, au contraire ! Le « quotidien meilleur pour tous les acteurs de la chaîne alimentaire » annoncé ne va malheureusement pas concerner les agriculteurs, pourtant premier maillon de celle-ci.

Puisque vous semblez aujourd’hui bien loin des considérations agricoles, je me propose de vous donner mon avis d’agriculteur sur la réalité des points soulignés dans votre dernière publication positionnant ce projet de loi comme « une digue contre l’appauvrissement des filières agro-alimentaires ».

Pour un agriculteur, un revenu digne.

Je devrais me réjouir de tous les efforts réalisés pour permettre à chacun d’entre nous, chaque agriculteur, d’obtenir un revenu digne pour notre travail. Cependant, contrairement à ce que vous annoncez, rien de tel n’est réellement présent dans cette loi. Concernant les coûts de production, rien ne vient encadrer leur prise en compte, rien n’empêche l’affectation d’un coefficient proche de 0 à cet indicateur afin de lui ôter tout son poids. La loi ne laisse aux interprofessions que la possibilité de formuler des « recommandations » quant à l’utilisation des indicateurs dans la détermination du prix, aucune contrainte n’est là pour fixer un prix plancher et ainsi nous assurer un revenu décent.

Au vu du déséquilibre régulièrement observé entre les parties, basculer la charge de proposer le contrat sur le producteur plutôt que sur l’acheteur n’apportera aucune amélioration quant au rapport de force entre les parties, les importants distributeurs et transformateurs pouvant tout à fait nous dicter les éléments du contrat que nous devrons proposer. Le seul réel effet de cette mesure est de nous ajouter une charge administrative et tenter de nous forcer à rejoindre une OP ou une Coopérative, un pas de plus vers la disparition de l’agriculture individuelle et un coup supplémentaire porté contre notre autonomie.

Pour une organisation de producteurs, un poids renforcé dans les négociations commerciales agricoles.

La délégation systématique de la facturation à l’OP n’est en rien une avancée pour l’agriculteur, il s’agit au contraire d’une dépossession des facultés et des compétences que nous possédons en tant que chefs d’entreprise. En quoi priver le producteur de sa possibilité de choisir entre établir lui- même ses factures ou en déléguer l’élaboration est-il une avancée pour lui ? Cela permet uniquement d'accroître le contrôle des OP sur leurs membres, d’autant plus que la loi permettrait à l’OP de déléguer à son tour la facturation à un tiers, voire directement à l’acheteur, avec un contrôle extrêmement limité pour nous producteurs car cela serait décidé pour tous en AG.

Pour la grande distribution, une responsabilité renforcée vis-à-vis de notre production locale.

Une fois encore, contrairement à ce que vous annoncez, le relèvement du seuil de revente à perte n’est pas au bénéfice des producteurs, mais uniquement à celui des distributeurs ! En effet cela va leur permettre de justifier une hausse des prix pour les produits concernés, mais absolument rien ne prévoit la répercussion des bénéfices ainsi engendrés sur le prix qui nous est payé ! Cela est d’autant plus vrai que la loi concerne essentiellement les produits transformés, donc les producteurs doivent compter sur la bonne volonté des distributeurs ET des transformateurs pour espérer obtenir une hausse de leur revenu. Or cela est utopique et irréaliste, car si ces derniers faisaient preuve d’une bonne volonté, nous ne serions pas dans une situation si désespérée et la charte signée après la tenue des EGA n’aurait pas déjà échoué. Les seuls effets de cette mesure seront une hausse du prix payé par les consommateurs et une hausse des revenus de la distribution et éventuellement de la transformation. L’agriculteur est quant à lui une nouvelle fois évincé avec une répercussion pour lui totalement hypothétique voire irréaliste.

Pour les consommateurs, une montée en gamme de l’alimentation.

Si la volonté de procéder à une montée en gamme de l’alimentation proposée en restauration collective ne peut être que saluée, cela ne sera pas nécessairement le cas avec la rédaction actuelle. En effet, l’agriculture française produit des denrées de qualité indéniable, or l’accent n’est pas suffisamment mis sur le caractère local des produits, se concentrant essentiellement sur le fait qu’ils soient issus de l’agriculture biologique. Le seuil strict de 20 % de produits bios pourrait contraindre à importer massivement des produits étrangers pour se conformer à la loi. Or, bien souvent, ces produits sont reconnus comme bios via des mesures d’équivalences négociées au niveau européen et sont bien loin des conditions caractérisant un produit issu de l’agriculture biologique en France.  Pour une réelle montée en gamme avec et pour les agriculteurs l’accent sur la production locale doit être renforcé afin d’obtenir une réelle amélioration de la qualité de notre alimentation tout en soutenant les agriculteurs français.

Monsieur le Député, au vu de vos actions consistant à faire tantôt adopter tantôt rejeter des  amendements transformant  ce projet de loi - destiné à l’origine à assurer un revenu décent aux agriculteurs en s’appuyant sur leurs coûts de production – en une simple charte sans réels poids et obligations, j’affirme aujourd’hui que vous avez agi pour encore réduire notre poids et notre pouvoir de producteur au bénéfice du reste des filières.

 

Alexandre Armel

Éleveur bovin et ovin dans l’Allier

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