Dans l'édition de Centre Presse/Nouvelle République du 16 août 2017, il est évoqué le blues des agriculteurs "bio". Il apparaîtrait qu’un de leurs soucis serait que les pouvoirs publics français ne puiseraient pas assez dans le premier pilier de la PAC.

A ce stade, il devient urgent de donner une définition de ce premier pilier, d’en rappeler le pourquoi, et d’en expliquer la nécessité.

Tout d’abord, un pilier, c’est ce qui soutient quelque chose d’essentiel. Si ce premier pilier a été mis en place, c’est que sans celui-ci, toute l’agriculture française et européenne se serait effondrée.

A chacun d’oser dire que ce pilier est inutile ou utile, quand nous savons que les terres agricoles françaises ne sont pas délocalisables. A contrario, les cultures qu’elles portent le sont, et ces dernières importent une concurrence déloyale qui ruine les paysans français.

En 1992 (réforme de la PAC), des décideurs (dont des syndicalistesXe plan) ont considéré que les agriculteurs européens, et donc français, ne vivraient plus de la vente de leurs produits dans un marché européen soutenu. Les voilà contraints de se débrouiller avec des cours alignés sur les prix des surplus mondiaux de denrées alimentaires. C'est-à-dire des cours de braderie sans aucun lien avec les prix de revient.

Ceci étant impossible sauf à liquider l’agriculture française et européenne, des aides compensatoires (1er pilier) ont été instaurées (rappelons ici les grandes manifestations organisées par la Coordination Rurale, auxquelles j’ai moi-même participé).

Depuis 1992, ces aides n’ont jamais été revalorisées et elles se sont significativement érodées avec 25 ans d’inflation. De plus, au nom de la solidarité professionnelle (crises sectorielles), ces aides compensatoires ont été amputées sans retour à plusieurs reprises, rendant de plus en plus difficile la capacité des agriculteurs à payer des factures qui ne sont, quant à elles, pas aux cours mondiaux…

Il faut bien comprendre que les aides compensatoires, improprement appelées primes, devraient couvrir les charges non mondialisées pour suppléer aux recettes d’exploitation mondialisées (prix d’il y a 40 ans) et permettre un revenu décent aux agriculteurs.

Ce n’est plus le cas, ce qui explique la crise et le mal-être de notre agriculture. Ajoutons des décisions désastreuses d’embargo qui n’amputent jamais, bien entendu, les revenus des décideurs…

Dans un tel contexte, des responsables politiques trouvent normal de prélever à nouveau 4,2 % des aides du premier pilier, et des responsables syndicaux en réclament davantage parce que des irresponsables politiques ont entraîné des agriculteurs dans des voies à la mode, sans qu’elles aient été au préalable budgétisées et, plus grave encore, sans mesurer les impacts du prélèvement sur l’agriculture dite "conventionnelle" et  de "conservation". Ceci est d’autant plus incompréhensible que les bios perçoivent les aides du 1er pilier, comme tous les agriculteurs, et perçoivent en plus leurs aides spécifiques. Les agriculteurs non bios (90 %) ne sont pas des demeurés, ils travaillent beaucoup pour réduire leur impact carbone, et méritent aussi le respect.

Vouloir faire du premier pilier de la PAC une variable d’ajustement pour satisfaire la mauvaise bonne conscience de décideurs bien à l’abri des contraintes climatiques et économiques est tout simplement de la malhonnêteté. Cela relève du détournement de fonds.

Opposer de cette manière les agricultures entre elles, alors qu’elles sont complémentaires, est une faute politique grave.

Jean-René Gouron Ancien président de la CR Poitou-Charentes et de la Vienne, membre de la chambre d’agriculture régionale de Nouvelle Aquitaine et de la Vienne

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