Début novembre, le président chinois Xi Jinping recevait le président Emmanuel Macron accompagné d’une délégation française d’entrepreneurs dans le but de finaliser des contrats et renforcer la présence française sur le sol chinois. Parmi eux se trouvaient des représentants de la filière bovine française, de l’interprofession comme d’entreprises privées. L’objectif affiché : une forte augmentation des exportations de viande bovine française vers l’Empire du Milieu qui passeraient de quelques tonnes aujourd’hui à plus de 20 000 tonnes fin 2020. La Coordination Rurale, qui défend la souveraineté alimentaire de chaque État, met en garde sur cette fuite en avant et souhaite avant tout que les exportations soient rémunératrices pour les éleveurs.

Le marché chinois, un marché convoité

L’accord signé en juin 2018 sur la réouverture du marché chinois aux viandes d’importation européennes a mis fin à 17 ans d’embargo lié à la « crise de la vache folle » survenue en Europe en 2001. Il porte sur de la viande bovine désossée de moins de 30 mois, et représente, selon les acteurs de la filière, une opportunité à ne pas manquer. Depuis 2018, seules 20 à 30 tonnes de viande française ont pu être expédiées vers la Chine, mais l’interprofession estime pouvoir atteindre 20 000 tonnes fin 2020, et 50 000 tonnes à terme.

La France n’est pas le seul pays producteur à vouloir exporter sur le marché chinois

D’après l’Institut de l’Élevage, l’Asie représenterait 31 % de la demande mondiale en viande bovine (60 % de la population) et la Chine demeure le premier importateur mondial de viande bovine, avec des achats en hausse en 2018. Une offre insuffisante pour satisfaire une demande en hausse, corrélée à une crise qui touche de plein fouet la filière porcine chinoise concourent à rendre le marché chinois attractif pour la filière bovine française. Cependant, le marché chinois n’est pas convoité que par la France. Les pays d’Amérique latine et d’Océanie s’accaparent 96 % des exportations vers l’Empire du Milieu : le Brésil (420 000 téc), l’Uruguay (256 000 téc), l’Argentine (235 000 téc), l’Australie (215 000) et la Nouvelle-Zélande (135 000 téc) sont les principaux pays fournisseurs. En mai 2019, 18 pays étaient autorisés à y exporter de la viande bovine. Les experts chinois prévoient cependant une reprise de la production bovine chinoise à l’horizon 2028, à +7 millions de téc (+ 8 %/2018).

D’autres filières comme la filière laitière ont voulu s’y imposer… et y ont laissé des plumes

La filière laitière française a fait les frais de sa volonté de conquérir le marché chinois. Avec l’installation en France d’unités de séchage, propriété du client chinois Synutra, la coopérative Sodiaal souhaitait aller chercher de la valeur en Chine sur le marché de la poudre infantile. Entre temps, les chinois ont abandonné leur commande et le site de transformation a en partie été racheté par les coopérateurs. La Coordination Rurale avait, dès son inauguration alerté les autorités sur l’aberration économique que représentait ce projet, alerte qui s’est malheureusement traduite en déconfiture. Une autre coopérative laitière normande, les Maîtres Laitiers du Cotentin, a également fait les frais du marché chinois, et a dû acquérir l’outil du client Synutra aux frais des éleveurs. Ces déconvenues ne se sont pas traduites par des plus-values pour les éleveurs laitiers français, qui ne bénéficient toujours pas de meilleurs prix grâce au marché chinois.

Exporter, oui, mais à un prix rémunérateur pour les éleveurs !

À force de vouloir exporter, la France ouvre son marché à de la viande sous des standards inférieurs

En 2018, les abattages contrôlés de gros bovins se trouvaient en France à hauteur de 1,286 millions de téc (+1,6 %/2017), quand la consommation intérieure de viande bovine atteignait 1,378 millions de téc, soit un déficit de 92 000 téc. Dans le même temps, la France a importé 333 700 tonnes de viande bovine, et en a exporté 241 800 téc. De son côté, la Commission européenne estimait en juin dernier que les exportations de viande bovine en 2019 pourraient bondir de 15 % en volume par rapport à 2018. Elle vient d'ailleurs de valider un budget de soutien à l'export de 118 millions d'euros vers les marchés à "forte croissance" telles que la Chine, budget en hausse de 60% par rapport à 2018. Mais à quoi bon continuer à augmenter les volumes exportés quand dans le même temps les revenus des éleveurs bovins viande en France sont majoritairement composés d’aides de la PAC ; que nos restaurants se fournissent avec des viandes issues d’importations et que nos dirigeants signent à outrance des accords de libre-échange qui « mondialisent » l’agriculture ? Avant d’exporter, regardons d’abord ce que l’on met dans nos assiettes !

Car c’est bien ce qui attend les producteurs et l’ensemble de la filière bovine française et européenne : à force de vouloir acquérir de nouveaux marchés à l’export, il sera de plus en plus compliqué de refuser l’importation de viandes élaborées sous des standards inférieurs aux nôtres. Les pays comme le Canada dans le cadre du CETA ou le Brésil dans le cadre du Mercosur sont ceux qui demain fourniront nos restaurants et cantines scolaires si l’on ne freine pas cette course folle à l’export.

De plus, en cas de fermetures de marchés extérieurs (pour des problèmes sanitaires par exemple, ou encore politiques), notre marché intérieur est déstabilisé, car au fil des exportations, nous perdons la capacité de valoriser ces animaux sur notre territoire. Sur la base de l'exemple du marché du maigre, la logique du « tout export » ne crée que des perdants : elle met en difficulté nos engraisseurs en augmentant la volatilité du prix des animaux maigres, tout en accentuant la dépendance des éleveurs naisseurs face aux aléas économiques et sanitaires des pays étrangers.

La Coordination Rurale n’est pas opposée par principe aux exportations, à condition qu’elles soient rémunératrices pour les producteurs et qu’elles n’ouvrent pas, par substitution, la porte à l’importation d’autres produits à prix cassés et ne respectant pas nos standards !

téc : tonne équivalent carcasse

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