Depuis quelques mois Tereos, géant de la coopération « made in France », occupe l’actualité agricole en offrant un cas d’école sur les nombreux dysfonctionnements du système coopératif français.

Ce cas d’école n’a pourtant pas servi d’exemple aux législateurs pour la rédaction du projet d’ordonnance qui, comme prévu par la loi EGAlim, est censé réformer le système coopératif. Au contraire, il montre que les ordonnances, dans la même lignée que la loi à leur origine, n’ont aucunement l’intention d’apporter des solutions réelles aux difficultés rencontrées par les agriculteurs-coopérateurs !

La Coordination Rurale, consultée lors de la construction de cette ordonnance, constate avec amertume que le texte en discussion ne va pas assez loin en termes de transparence et d’ambition. Il manque une vraie volonté de remettre l’outil coopératif au service des agriculteurs.

Pour la CR, il est regrettable que deux remarques majeures, pourtant inscrites dans le projet de loi initial, n'aient pas été prises en compte. Il s’agit de la simplification des conditions de départ et du renforcement du rôle des associés.

Concernant le départ de l’associé, la CR s’interroge sur le fait qu’il y ait des pénalités de sortie quand le coopérateur arrive à échéance de son contrat. A minima les indemnités de sortie versées à la coopérative devraient être plus encadrées. Actuellement, elles sont calculées sur la base du chiffre d’affaires (CA) qui est généralement disproportionné par rapport au résultat. Il nous semble préférable de les encadrer notamment via une proportionnalité basé sur le résultat net de la coopérative correspondant à l’apport de l’associé.

L’observation de certaines coopératives françaises montre en effet que le ratio résultat net/CA est largement en dessous de la moyenne européenne : inférieur à 1 % voire 0,5 % pour Sodiaal ou Terrena contre 4 % de moyenne en Europe (à titre de comparaison, jusqu’à 9 % chez Danone et Lactalis, entreprises privées ne bénéficiant pas des avantages liés aux statuts particuliers des coopératives).

On peut d'ailleurs s'interroger sur la faible rentabilité de ces outils coopératifs. Les charges sont-elles trop importantes (mal gérées) ou tout simplement optimisées (à l’aide de filiale) pour rémunérer a minima les agriculteurs ? Dans tous les cas, si la coopérative ne gagne pas d’argent et ne rémunère pas convenablement l'associé coopérateur, celui-ci doit pouvoir la quitter sans pénalité au terme de son contrat d'engagement.

L’autre point sur lequel la CR a beaucoup insisté est la transparence des coopératives à l'égard de ses associés. L’accès à l’information des coopérateurs doit être amélioré. Il est indispensable que chaque associé de la coopérative ait un accès facilité sur les informations (droits et devoirs) qui encadrent son engagement (par exemple, via un accès personnalisé en ligne ou par envoi lors de la convocation à l’assemblée générale).

Plus de transparence permettra au coopérateur de choisir de façon éclairée s’il poursuit ou non son activité avec sa coopérative.

La CR souhaite également une clarification sur le statut des filiales au sein des coopératives. L'opacité qui règne sur ces structures et l'optimisation fiscale qui peut être faite, posent question (exemple de Sodiaal qui externalise une partie de ses bénéfices pour ne pas les redistribuer à ses coopérateurs). De plus, via leurs filiales, des groupes coopératifs investissent dans des entreprises privées qui viennent directement concurrencer les intérêts de leurs coopérateurs. La gouvernance des filiales doit donc être revue. Il nous semble légitime de voir une meilleure implication des coopérateurs dans celles-ci. Pour ce faire dès lors qu’une coopérative possède plus de 49 % des parts sociales d’une société, l’ensemble de ses coopérateurs doit être invité de façon individuelle à participer aux décisions concernant la filiale (actuellement seule la structure coopérative est représentée). La CR propose également que le président de la filiale soit un membre de la coopérative (maison mère).

De plus, afin d’éviter les conflits d’intérêts, nous demandons que les mandats et fonctions des dirigeants des coopératives et des filiales soient rendus publics et ce de façon nominative.

Pour la CR il convient de réserver le statut coopératif (dont découle un régime fiscal très favorable) aux seules coopératives de taille humaine et réellement gouvernées par leurs adhérents, conformément à l’esprit confirmé par la loi Hamon de 2014 sur l’économie sociale et solidaire. Si la CR apprécie que l’article L.527-1-4 permette au HCCA de diligenter un contrôle notamment quand il est saisi par 1/5 des membres de la société, nous regrettons la lourdeur et la longueur de la procédure pour espérer en une amélioration de la situation problématique.

De même, il nous semble plus juste que les associées aient la possibilité de saisir directement le Haut Conseil de la Coopération agricole (HCCA) afin de demander un audit interne de leur structure en cas de doute sur sa gestion.

Enfin, le texte de l’ordonnance relègue les syndicats agricoles au simple rôle consultatif, ce qui laisse la CR profondément insatisfaite. En effet, depuis des années elle demande une intégration directe des syndicats dans le HCCA. Les modifications de l'article L528-1 du Code rural introduisent l'instauration d'une Commission consultative intégrant les syndicats agricoles, mais elles manquent cruellement de précision, en particulier en ce qui concerne les attributions de la dite commission. Ses possibilités d'auto-saisines devraient notamment être prévues ainsi que ses modalités d'intervention. À défaut d’une intégration directe des syndicats au HCCA, l’ordonnance devrait a minima prévoir la possibilité pour cette commission de déclencher elle aussi des procédures de révision à l'encontre des coopératives.

La CR aimerait que soient prises en compte ses remarques et que cette ordonnance ne se révèle pas une nouvelle occasion manquée pour retrouver la vraie philosophie du système coopératif. Notre syndicat est particulièrement attaché aux valeurs fondatrices de la coopération. La priorité doit rester la recherche d’une meilleure valorisation de la production des adhérents. Les agriculteurs-coopérateurs mesurent chaque jour combien leur structure coopérative échappe de plus en plus à leur contrôle !

Tout n’est pas encore perdu, et la CR s’attache à faire en sorte que cette ordonnance soit nettoyée de ces erreurs.

 

Pour lire l’intégralité de la contribution de la Coordination Rurale au projet d’ordonnance, cliquez ici.

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