Situations paradoxales

Dans les zones de montagne, la présence d’élevages bovins, ovins et équins constitue un enjeu majeur au niveau économique, social et environnemental. Depuis des millénaires, les pratiques agro-pastorales ont façonné non seulement les paysages mais aussi l’organisation sociale et économique des populations montagnardes. Tandis que les attentes sociétales sont de plus en plus affirmées, elles font souvent apparaître de profondes contradictions. Ainsi, les citoyens veulent préserver les populations de prédateurs tout en refusant la disparition progressive de l’élevage pastoral, le tout avec une préoccupation croissante pour le changement climatique et les émissions de gaz à effet de serre. Le consommateur veut s’approvisionner à bas prix dans les grandes surfaces mais réclame des produits « naturels » et locaux sans se soucier des contraintes engendrées par les conditions naturelles et le contexte économique. Ces contradictions reflètent celles qui touchent l’ensemble de l’agriculture et qui doivent être résolues sur le plan politique et économique à l’échelle européenne pour que la France reste un grand pays agricole./p>

Une étude de 2016 réalisée par le Cerpam sur le massif alpin montre « une diminution, voire une disparition, des ovins dans de nombreuses communes des Alpes-Maritimes et des Alpes-de-Haute-Provence (à relier, au moins partiellement, aux problèmes de prédation ? » De plus « les effectifs estivés sont en baisse. Cette évolution affecte surtout les Alpes du Sud (-26 % dans le 04, -14 % dans le 06. »

Le pastoralisme : une pratique importante pour les agriculteurs

L’utilisation des surfaces pastorales (pelouses, landes, estives, milieux boisés, zones humides…) répond à la double nécessité de tirer parti des ressources herbagères spontanées des prairies d’altitude pour nourrir le bétail en été et de libérer les surfaces mécanisables dans les parties basses des vallées pour les cultures et les foins ; une maîtrise des coûts d’alimentation d’autant plus importante face à la volatilité du prix des céréales devenue structurelle. Ainsi, le pastoralisme représente une composante fondamentale de l’alimentation des troupeaux en montagne.

Les ressources des estives sont très diverses en quantité, en qualité, en fonction de l’altitude et des micro-climats. Par exemple, dans les Préalpes méditerranéennes, les troupeaux peuvent rester au pâturage jusqu’à dix, voire douze mois, par an (60 à 80 % des besoins annuels des animaux), contre 6 à 7 mois en haute montagne avec, en outre, un important besoin en foin et une plus grande fragilité face aux aléas climatiques et économiques. Ainsi, une forte sécheresse ne vient pas seulement toucher les productions de cultures et de fourrages, mais elle réduit aussi fortement les ressources de ces pâturages remettant fortement en cause l’équilibre économique des exploitations concernées.

Conséquences de la fermeture des milieux

L’élevage agro-pastoral est essentiel en matière de qualité et de diversité des paysages, notamment en ce qui concerne le maintien de milieux « ouverts », qui seraient sinon soumis à l’embroussaillement. Ce type d’élevage s’avère essentiel pour de nombreuses raisons :

Incendies, avalanches : Dans les zones sèches, les troupeaux contribuent à la prévention de propagation des incendies en maîtrisant l’embroussaillement. Les pelouses d’altitude rases, car pâturées par les troupeaux avant l’hiver, retiennent mieux le manteau neigeux et limitent ainsi les risques d’avalanche. Tourisme : La randonnée estivale en montagne étant une activité économique importante pour ces territoires, l’entretien de ces surfaces par les troupeaux touche également le tourisme. De plus, l’ancienneté de l’activité pastorale se traduit par un important petit bâti rural contribuant à l’attractivité touristique de ces régions et qui constitue aujourd’hui un patrimoine culturel à préserver. Biodiversité animale et végétale : Les territoires à vocation agropastorale sont un important réservoir de biodiversité et sont souvent inclus dans des espaces protégés (Parcs, Natura 2000). Certaines espèces ayant besoin d’être pâturées pour leur cycle de développement et la fermeture des milieux laissant d’autres types de végétation prendre le dessus, le pâturage des troupeaux est indispensable dans ces espaces. Cette évolution de la végétation influe également sur les espèces animales sauvages présentes, que ce soit en matière d’habitat ou bien encore d’alimentation. Mais à la diversité des situations pastorales répond également une diversité des animaux élevés. Ce sont majoritairement des races rustiques, locales et emblématiques d’un territoire, dont les productions sont valorisées par des appellations représentant elles aussi un patrimoine à préserver. Des conséquences sanitaires plus inattendues mais pas sans importance Les tiques sont porteuses de nombreux virus ou bactéries pouvant être transmis à l’Homme. Par exemple la maladie de Lyme est une maladie bactérienne (Borrelia burgdorferi) dégénérative qui évolue sur plusieurs années (voire décennies) avec des symptômes nombreux et variés, ainsi que des périodes de latence. De même l'encéphalite à tique peut causer de graves lésions cérébrales. Le virus peut infecter le cerveau, les membranes l’entourant et la moelle épinière. Il faut noter que ce virus est très présent en Slovénie, pays d’origine des ours réintroduits dans les Pyrénées. Concernant les animaux, les piqûres de puces peuvent engendrer des allergies graves et difficiles à traiter. De même la faune sauvage constitue des foyers pour des maladies telles que la FCO ou la fièvre charbonneuse). Pour la CR, les liens entre la fermeture des milieux, la disparition de l’élevage domestique, l’expansion des animaux sauvages et la prolifération des tiques, semblent évidents.

Conclusion : le problème du loup

L’équilibre économique des élevages pastoraux étant de plus en plus remis en cause, le nombre d’exploitations diminue, faute de repreneurs. Les abattoirs en quête de rentabilité s’éloignent dans les plaines, contribuant ainsi à augmenter les contraintes pour les éleveurs et les coûts liés au transport. Les perspectives de la PAC, avec une forte baisse des surfaces primables et une ICHN bien loin des montants espérés, ne promettent pas un avenir radieux. La contrainte croissante du loup décourage les perspectives de reprise ou d’installation dans les zones les plus touchées (voir Loup et autres prédateurs). Ainsi, l’orientation de la Directive européenne Habitat reflète les revendications d’associations écologistes, largement promues par les médias, d’un retour à la « nature sauvage ». La présence des grands prédateurs, comme le loup ou l’ours, en est devenue le symbole. La question de la cohabitation possible entre élevage pastoral et cette sorte de « nature », est posée. Hélas, juridiquement, la préservation des prédateurs prévaut sur celle des éleveurs ! Aujourd’hui, il y aurait un minimum de 360 loups en France selon les chiffres officiels, avec une croissance exponentielle de leurs dégâts. On relève des présences dans le Cantal, le Limousin et même en Bretagne ! En 2017, plus de 12 200 bêtes ont été tuées par des loups pour un budget d’indemnisation de plus de 3,7 millions d’euros. La situation est incontrôlable : le loup est un animal rusé et il est difficile de le chasser. La cohabitation entre le loup et l’élevage pastoral – c’est-à-dire le type d’élevage que les mêmes associations veulent voir perdurer dans les paysages – est impossible. Les éleveurs et les bergers qui doivent investir dans des équipements de protection, qui s’avèrent malheureusement inefficaces, ont du mal à faire reconnaître les attaques de loups et à se faire indemniser. De nombreux pays touchés par l’arrivée de loups, comme l’Espagne, la Suisse, la Suède, la Norvège, la Finlande et les États-Unis, ont engagé une régulation de sa population. La Coordination Rurale espère qu’enfin, en France, ce problème sera étudié objectivement et avec raison par les pouvoirs publics, au-delà des caricatures et des débats tronqués. Des pièges spécifiques, efficaces et agréés aux normes du piégeage sans cruauté existent : pourquoi ne pas les utiliser pour que le protocole parvienne au moins à réguler le quota annuel défini ? Ce serait un premier pas dans la bonne direction pour protéger le pastoralisme.

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