Présentes depuis très longtemps dans le secteur des fruits et légumes, sous une certaine forme pour les éleveurs de bovins allaitant (organisation de producteurs non commerciale OPNC), encore inexistantes chez les éleveurs porcins ou de volailles, on en a surtout entendu parler dans le secteur laitier, mais qui sont-elles et quels sont leurs intérêts pour les agriculteurs ?
Une très bonne idée en théorie
Une organisation de producteurs (OP) est constituée à l’initiative d’un ensemble d’agriculteurs qui se regroupent dans l’objectif de renforcer leurs positions dans les relations commerciales qu’ils entretiennent avec les acteurs économiques de l’aval de leur filière. Une société coopérative agricole, une union de coopératives agricoles, une société d’intérêt collectif agricole, une association régie par la loi du 1er juillet 1901, une société commerciale ou un groupement d’intérêt économique peuvent être reconnus en tant qu’OP par arrêté ministériel.
Il existe deux catégories d’OP : les OP commerciales et les OP non commerciales (OPNC). Dans le premier cas, il y a un transfert de propriété du bien vendu de l’agriculteur à l’organisation qui devient propriétaire de la production de ses adhérents. Dans le deuxième cas, aucun transfert de propriété n’a lieu et l’organisation est simplement en charge de la commercialisation des produits de ses adhérents auprès des acheteurs.
La Coordination Rurale est favorable aux OP non commerciales transversales, c’est-à-dire qui regroupent des agriculteurs travaillant avec différents acheteurs. Ces OP permettent de mettre en concurrence les opérateurs commerciaux. L’adhésion en masse à de telles organisations renforce le poids de négociation des producteurs, les industriels voyants face à eux des agriculteurs « neutres » négocier avec plusieurs concurrents.
Si la CR encourage la reconnaissance des OPNC, elle est par ailleurs très méfiante vis-à-vis des OP commerciales car concentrer le pouvoir des producteurs dans quelques OP est risqué : il suffit de voir les dérives des coopératives qui, au lieu de permettre des prix supérieurs, ont fait de leurs adhérents des variables d’ajustements. Cette orientation pourrait aboutir à une perte d’autonomie des producteurs, remplacée par leur intégration, et malheureusement l’application de la loi Egalim 2 n’est pas rassurante sur ce point. C’est pourquoi la gouvernance de ces OP doit rester aux mains des producteurs et l’objet doit être uniquement l’obtention de meilleurs prix pour les agriculteurs.
Attention aux dérives !
Avec la loi Egalim 2, le Gouvernement affiche clairement sa volonté de forcer les agriculteurs à se regrouper en coopératives ou en autres OP, pour selon lui, mieux peser dans les négociations tout en facilitant les mises en marché. Si la CR encourage la création et le développement des OP transversales, elle reste inquiète quant aux conséquences sur la fin de l’agriculture individuelle. En effet, le texte oblige le producteur à proposer un contrat, ce qui l’encourage fortement à adhérer à une OP ou à rejoindre une coopérative. Le projet de loi a évolué cet été sous la plume du rapporteur qui a inscrit la délégation systématique de l’établissement des factures dès lors que cela concerne la production apportée à une OP ou AOP. Autrement dit déposséder totalement l’agriculteur de son droit à facturer sa production.
Les OP ne régleront pas l’organisation de la production
La CR met en garde contre la multiplication des OPNC qui se retrouvent ainsi en concurrence les unes avec les autres, ce qui ne permet pas de contrôler efficacement les volumes. Face à la division des OPNC, les industriels ont le pouvoir. Plutôt que de petites OPNC qui disposent de peu de pouvoir face aux transformateurs, la CR préconise d’évoluer vers la constitution d’AOP de bassins de production.
Dans le cas des OPNC verticales et des coopératives, la négociation n’est pas possible car il n’y a pas de transparence. Ainsi, pour la CR, l’interprofession doit jouer un rôle dans la négociation des prix qui ensuite sera répercutée par les OPNC. La CR milite pour que les interprofessions fassent autorité pour réguler la production et négocier un prix ou un tunnel de prix qui s’imposerait à tous les membres de l’interprofession, les OPNC n’auraient plus qu’un rôle d’application et de coordination à jouer et non de négociation.
La CR souhaite également que l’interprofession propose un contrat-cadre permettant une uniformisation et facilitant ainsi les négociations. Cela implique une gouvernance équilibrée des interprofessions et qu’elles puissent imposer des règles relatives aux contrats et aux prix.
En fonction des productions et des situations des filières, les OP n’ont pas toujours la même pertinence ou utilité.
Voici un point rapide par secteur :
• Secteur laitier :
La fin des quotas laitiers a vu la mise en place des contrats obligatoires. Les négociations de ces contrats sont liées à l’adhésion libre et volontaire des producteurs à une OP. Ces OPNC permettent de mettre en concurrence les opérateurs commerciaux. Les producteurs qui y adhérent ne peuvent pas être accusés d’entente illicite sur les prix et les volumes car la Commission européenne considère qu’il ne peut y avoir entente qu’entre groupements et non pas au sein d’un groupement. La section Lait de la CR a dès le départ souligné les avantages d’OPNC transversales, telles les France Milk Board (FMB), mais aussi le regroupement d’OPNC en AssOP, qui permettrait de réduire leur nombre et accroître leur pouvoir. Les industriels verront face à eux des agriculteurs « neutres » négocier avec plusieurs concurrents.
La création d’une multitude d’OPNC, surtout quand elles sont dites verticales, c’est-à-dire liées à une laiterie, affaiblit la position des éleveurs. L’exemple Suisse et sa multitude d’OP montre la totale inefficacité dans la gestion des volumes et des prix, mais aussi l’asservissement démesuré des producteurs à leur laiterie, ceux-ci ne pouvant même pas changer d’OP. Dans la pratique, il arrive que les OPNC voient leurs pouvoirs amoindris, les industriels, prenant le rôle des distributeurs, mettant ces OP en concurrence pour tirer le prix vers le bas !
Certaines sont aujourd’hui bien structurées, mais il faut à présent qu’elles prennent leur place au sein de l’interprofession. La CR demande donc le renforcement de la place laissée aux producteurs au sein de l’interprofession laitière en proposant la création d’un collège « OP », lequel devrait regrouper des représentants de chacun des bassins laitiers sans oublier les laits bio, de montagne et sous SIQO.
• Bovin allaitant :
Dans le secteur de la viande bovine, les éleveurs se sont historiquement regroupés pour faciliter la mise en marché. Entre les négociants en bestiaux, les OPNC et les OP commerciales, il existe une diversité d’acteurs qui maintient une concurrence bénéfique pour les producteurs. Toutefois, ce tableau s’est assombri pour deux raisons :
– les OP finissent dans la majorité des cas par suivre leur logique propre qui ne va pas nécessairement dans l’intérêt des producteurs. On assiste là au processus classique des dérives coopératives ;
– les groupements coopératifs se sont progressivement éloignés de la mise en marché pour investir directement dans l’activité d’abattage et de transformation, ce qui les rapproche encore davantage de l’intérêt de l’aval, et non de l’intérêt des producteurs.
Concrètement, cela signifie que les OP n’ont pas intérêt à l’heure actuelle à réguler les volumes de viande disponibles, mais au contraire à jouer sur le décalage entre l’offre et la demande pour exercer une pression à la baisse sur les prix payés aux producteurs.
Une possibilité de perfectionnement visant à adapter l’offre à la demande pourrait être la création d’AOP qui viendrait planifier la sortie des volumes en fonction des prévisions de marchés.
• Fruits et Légumes :
Le secteur des fruits et légumes a la particularité de n’attribuer un soutien financier européen (Programmes Opérationnels), via l’Organisation commune des marchés (OCM), qu’aux OP et AOP reconnues ; créant ainsi une distorsion de concurrence avec les producteurs indépendants.
Par ailleurs, les OP et AOP en fruits et légumes représentent un poids certain, mais pas forcément majoritaire. Pour autant, ces OP et AOP s’érigent comme les uniques représentants pour leur produit, laissant très souvent de côté les intérêts des producteurs indépendants.
• Secteur porcin :
Les éleveurs de porcs sont soumis aux fluctuations du marché, les metteurs en marché ne respectent plus le cadran et les prix. Le regroupement des producteurs en OPNC serait tout à fait pertinent pour faire front face à un industriel et une coopérative qui tiennent à eux seuls le marché.