Lancé officiellement lors du Salon de l’agriculture, l’ « étiquetage sociétal » s’inviterait dans nos rayons (lait, volaille, farine) à partir de 2019.

De quoi s’agit-il ?

Ferme France est une association créée en 2017 souhaitant mettre en place un système d’ « étiquetage sociétal » afin de prendre en compte tous les critères susceptibles de rasséréner le consommateur : traçabilité des produits, utilisation de phytosanitaires, bien-être animal, nutrition et santé humaine, juste rémunération des producteurs, impact sur l’environnement.

Qui est à l’origine de l’initiative?

À l’heure actuelle l’association compte cinq membres fondateurs : Fleury Michon, Sodebo, Auchan Retail France, Advitam et Terrena. Outre un certain nombre de partenaires techniques tels que l’Inra et l’Ademe, ont adhéré à l’initiative : Sodiaal, Système U, FNPL. L’association s’efforce de fédérer un plus grand nombre d’acteurs, provenant d’horizons différents afin d’avoir en son sein des représentants de tous les maillons des filières ainsi que de la société civile, pour une « démarche collective et ouverte ».

Quel mode de fonctionnement ?

Le principe de fonctionnement s’inspire du système participatif de garantie, utilisé depuis longtemps par certains labels bio plus exigeants sur le cahier des charges AB (Nature et progrès), ou bien dans les pays du Sud comme alternative pour les paysans n’ayant pas les moyens d’accéder à la certification. Dans ce dernier cas, la proximité entre les producteurs et les consommateurs sur un territoire donné offre une possibilité de coordination des participants pour obtenir une dimension sociale et locale effectivement très forte.

Ferme France aspire à réunir tous les acteurs de la filière (du producteur au consommateur) pour concevoir le cahier des charges, l’indice d’évaluation de chaque critère ainsi que les plans de progrès pour les producteurs et les entreprises, censés les accompagner dans l’amélioration de leur « performance sociétale et économique ». Une fois les référentiels mis en place, les acteurs seraient amenés à s’auto-évaluer. La certification se conclurait par un audit de validation émis par un jury citoyen sélectionné parmi des consommateurs qui se seraient portés volontaires (en payant l’adhésion) et après avoir été formés par l’association Ferme France. Tout le processus donnerait lieu à un indice de notation (compris entre 0 et 100), qui constituerait le cœur du symbole figurant sur l’étiquette du produit.

Payer pour y croire

Pour fonctionner, ce mécanisme se servirait des fonds propres de l’association, récoltés via les adhésions. Les membres fondateurs se sont déjà engagés à la hauteur de 230 000 € chacun, pour un total d’environ 1,2 million d’euros auxquels il faut ajouter les contributions des premiers adhérents. Mais il est difficile d’estimer les besoins étant donné que tout est encore à mettre au point. En jetant un œil au tableau des tarifs d’adhésion sur le site Internet de Ferme France, il semblerait que le « nouveau » système d’étiquetage soit assez gourmand en ressources et, plus que participatif, on le définirait prohibitif !

Pour un acteur économique de la filière, par exemple un producteur, le tarif est de 50 000 euros par an, pour un syndicat de 10 000 €, pour les individus et les TPE « à définir ». Pour le moment, aucun statut de l’association n’est accessible sur le site de Ferme France, ni son règlement intérieur ni la charte constitutive. Pour un projet ayant pour but de renforcer le lien de confiance avec le consommateur, un premier signe de confiance est donc demandé dès le début. En effet, en signant le bulletin d’adhésion (qui est quant à lui disponible et téléchargeable) on s’engage à respecter les règles de ces deux documents non mis à disposition. De même avec les producteurs qui ne connaissent pas les modalités fixant leur rémunération…

Qu’en pense la CR ?

Pour des agriculteurs qui n’arrivent pas à dégager un revenu digne de leur travail, il est difficile de s’associer à l’enthousiasme qui anime les membres fondateurs de Ferme France. La CR s’interroge sur l’opportunité de créer une nouvelle mention alors qu’il existe déjà des signes de qualité bien connus des consommateurs, accrédités par l’État et ne demandant pas d’adhésion supplémentaire. Cela soulève donc des doutes sur cette démarche qui, pour le moment, demeure peu transparente. Seuls les producteurs adhérant à la démarche pourront bénéficier de cette mention. Quels agriculteurs espèrent-ils toucher ? Ne sera-t-il question que des marques ? Quels sont les engagements, les contraintes ?

Si la CR regrette que le Nutri-score ne s’intéresse pas à d’autres critères de qualité, la démarche a au moins ici le mérite d’être portée par les pouvoir publics.

Il nous semble légitime de soulever un problème de crédibilité dans un contexte où, d’un côté, des entreprises prônent la transparence et d’un autre s’attachent à cultiver leur droit au secret, notamment quand leurs associés agriculteurs et éleveurs ont très peu de visibilité sur leur gouvernance interne (plus d’infos dans notre article sur Sodiaal).

Les différents maillons de la filière, y compris les consommateurs, sont loin aujourd’hui de disposer des mêmes moyens humains et connaissances techniques pour que leur participation au sein de cette instance ait le même poids que celui des grands groupes. Une démarche collective qui jette ses bases sur un déséquilibre de forces risque d’avoir un impact limité face à l’enjeu sociétal.

La CR souhaite aussi attirer l’attention sur le rôle joué par les établissements publics de recherche dans le cadre de partenariats présentés comme d’intérêt public alors qu’ils sont au service de l’intérêt privé.

Ces considérations nous poussent enfin à entrevoir en Ferme France plus un moyen de cacher les contradictions qui caractérisent les relations au sein de certaines filières françaises qu’une réelle intention de les remettre en question et de les dévoiler pour que le consommateur y voit plus clair.

Pour le moment, la limite entre bonne intention et subtile invention pour détourner l’attention nous paraît mal définie, ce qui trouve une probable explication dans le fait que la présidence de Ferme France soit assurée par le directeur marketing stratégique d’un de ses membres fondateurs.

Sources consultées: https://fermefrance.org/ https://www.lsa-conso.fr/sia-ferme-france-officiellement-lancee,282071 https://www.usinenouvelle.com/article/video-ferme-france-veut-federer-les-initiatives-societales.N660074 http://www.lineaires.com/LA-DISTRIBUTION/Les-actus/Ferme-France-invente-la-note-societale-ultime-51596 Mundler, P. & Bellon, S. (2011). Les Systèmes participatifs de garantie : une alternative à la certification par organismes tiers ?. Pour, 212,(5), 57-65. doi:10.3917/pour.212.0057.

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