La visite du préfet Philippe Castanet, à Montrodat, sur l’exploitation de nos adhérents William et Magali Rousset, a permis à la Coordination Rurale d’aborder les sujets de l’irrigation,de l’agriculture de conservation des sols et de la méthanisation. Autant de sujets qui touchent aux défis nationaux à relever, notamment pour ce qui est du changement climatique et du renouvellement des générations.
Le Gaec Rousset correspondait parfaitement aux attentes. William est revenu, devant monsieur Castanet, parfaitement au fait des problématiques agricoles, sur son parcours emblématique des difficultés que peuvent rencontrer les éleveurs de notre département. Voici son témoignage.
En 1987, mon père décède et nous nous installons en GAEC, ma mère et moi, en vache laitière (quota 360 000L). Nous cessons le lait en 2009 et en 2014, après la chute des cours, nous décidons de partir sur de la viande de qualité : génisses Fleur d’Aubrac (Celia Lozère Viande), génisses limousines (Alès Viande), et une partie Aubrac (Falguier Laguiole).
L’agriculture de conservation des sols
Dans un souci d’améliorer les rendements et la qualité de la terre, nous nous engageons, dès 1999, dans une démarche d’agriculture de conservation. Nous n’envisageons cependant pas de passage en bio tant qu’on ne sera pas capables d’utiliser la technique sans aucun désherbant chimique. Aujourd’hui, pour 100 ha semés, il faut employer environ 40 L de glyphosate plus de l’antidicote sur 25Ha de céréales. Deux points posent problème sur cette technique : l’arrêt de l’utilisation du glyphosate et l’obligation de l’enfouissement de la matière organique lors des épandages.
L’année 2011 voit le départ en retraite de ma mère et l’installation de ma femme qui rejoint l’exploitation.
À l’arrêt de la production laitière, nous avons procédé à la transformation de tous les bâtiments en aires paillées intégrales dans un souci de remonter le taux de matières organiques et du bien-être des animaux. Ceci a impliqué de gros achats de paille.
L’agriculture de conservation est une approche systémique de préservation du potentiel agronomique des sols, reposant sur trois pratiques agricoles fondamentales : le non labour, les couverts végétaux, la diversification et l’allongement des rotations.
La CR ne croit pas à une agroécologie « politique » ou dogmatique mais à une agroécologie de praticiens, s’inscrivant dans les conditions pédo-climatiques propres à chaque terroir. La conversion en agriculture de conservation est une démarche d’ordre personnel : il faut plusieurs années pour la maîtriser et il peut y avoir des échecs. Il n’y a pas de solution unique, même s’il est possible de s’inspirer de ce que font d’autres agriculteurs de conservation, au travers de groupes de réflexion et d’échanges. En outre, l’adoption de ces pratiques, répondant aux attentes tant des agriculteurs que des citoyens, ne peut pas à elle seule résoudre tous les maux des agriculteurs, contrairement à l’idée que le législateur veut faire passer.
Un complément de revenus grâce à la méthanisation
Pour valoriser cette matière organique et être autonome en engrais, nous construisons également un méthaniseur, en voie sèche discontinue, qui permet de garder une partie de la matière organique pour les terres et de préserver la biologie des sols lors des épandages.
Quatre digesteurs de plus de 400 m3 permettent de stocker les matières organiques, sous pression et sous une bâche, qui, lorsqu’elles se décomposent, produisent du gaz. Ce dernier alimente un moteur qui transforme cette énergie en électricité. On produit 90 kW/h d’électricité pour EDF. La méthanisation nous assure un équilibre financier et l’autonomie en engrais (aucun achat d’engrais depuis 2012). Les matières organiques proviennent uniquement de la ferme.
De plus, 40 % du fumier reste non méthanisé, permettant aussi d’en avoir de côté pour régénérer les sols, toujours dans cette logique de conservation des terres. Cette installation, qui date de décembre 2011, représente néanmoins un lourd investissement : 600 000 €, dont 155 000 € destinés à l’étude et au suivi du chantier.
La Coordination Rurale a toujours été favorable à la possibilité d’incorporer des cultures dans les méthaniseurs dans la mesure où cela permet de mieux régulariser leur fonctionnement. Que ce soit sur un plan technique ou plus éthique, l’utilisation des cultures doit cependant être modérée afin que la méthanisation reste en premier lieu un moyen de valoriser des déchets ou des résidus.
Stockage de l’eau
Toujours dans un souci d’autonomie fourragère et afin de sécuriser les récoltes par rapport aux problèmes climatiques de plus en plus fréquents, nous avons construit une retenue collinaire en 2021. Nous sommes entrés à nouveau dans le monde des études pendant 2 ans pour pouvoir enfin construire la retenue en quelques mois. Les aberrations se succèdent. On nous conseille la plantation d’arbres sur la digue. Or, un arrêté préfectoral stipule un entretien obligatoire avec interdiction de laisser pousser des ligneux sur la digue ! Le bureau d’études choisi par l’ASTAF, basé en Savoie, est normalement habitué à faire des retenues pour les stations de ski. Pour revenir sur une note plus positive, nous avons eu la chance de travailler avec des entrepreneurs sérieux, épaulés par un bureau d’études plus proche (Rodez) et beaucoup plus professionnel.
Pour la saison 2022, pas d’irrigation mais un remplissage quasi nul et pour la saison 2023, un remplissage à 1/3 du volume dû à une pluviométrie que nous n’avons jamais connu jusqu’à aujourd’hui.
Nous avons d’ailleurs eu des gros soucis d’alimentation en eau l’été et l’automne 2022. Nous avons réalisé 2 forages secs. Et après l’étude d’un hydrogéologue,nous avons décidé de retenter de forer ce printemps pour assurer l’alimentation en eau des animaux.
Ce bassin de 25 000 m3, rempli de seulement 7 000 m3 d’eau, permet d’irriguer 35 hectares, soit un tiers de l’exploitation. Le reste, c’est de l’arrosage classique.
Malgré toutes ces embûches et ces tracas administratifs, nous croyons encore à l’avenir et à la valeur du travail. Nous avons 3 enfants qui travaillent avec nous et qui souhaitent reprendre après nous ; ce qui nous donne la motivation pour persévérer dans tout ce que nous entreprenons.
La ressource en eau est souvent mal répartie sur l’année mais le stockage de l’eau permet d’atténuer ce problème. Certaines régions acceptent même de financer les projets de retenues d’eau avec des fonds FEADER mais ce sont la paperasserie administrative et la pression des associations écologistes qui ont le dernier mot. En 2014-2015, les Français ont assisté, médusés, aux événements du barrage de Sivens, durant lesquels l’État a fait preuve d’une faiblesse coupable à l’égard d’extrémistes de la décroissance : des méthodes quasi-terroristes l’ont ainsi emporté sur la démocratie et la légalité ! Mais quand on veut, on peut ! En Lot-et-Garonne, la Chambre d’agriculture pilotée par la CR a négocié avec l’administration et obtient la création de 10 à 15 retenues d’eau chaque année ! Certes, une instruction technique du 4 juin 2014 précise les modalités de financement de réserves de substitution par les agences de l’eau, dans le cadre d’un projet de territoire cohérent avec les Schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). Mais les SDAGE 2016-2021 sont très restrictifs vis-à-vis de tels projets, en particulier le SDAGE Loire-Bretagne, et les agences de l’eau rêvent toutes de faire diminuer les prélèvements. Pourtant, d’après le GIEC et le CGAAER (3), l’eau est abondante en France et son stockage y est sous-développé, comparé à celui d’autres pays tels que l’Espagne ou le Maroc. La gestion de l’eau va donc devoir évoluer et le stockage être considéré comme un outil de gestion des risques et d’amélioration agronomique dans une logique d’adaptation aux besoins. Afin de relever les défis alimentaires et climatiques qui nous attendent, la Coordination Rurale souhaite faire du stockage de l’eau une priorité nationale.