La méthanisation à injection, procédé permettant de transformer un déchet en énergie, semble être une solution miracle. On parle de production de gaz vert, du biométhane, en utilisant les boues des villes et les biodéchets dont on ne sait que faire, et tout cela en apportant une bonne couverture aux sols et en les fertilisant. Quoi de plus écologique ?

Cet argumentaire tout vert peut être trompeur. La méthanisation, dans certains cas, peut apporter une réelle plus-value au mix énergétique. Il faut toutefois être vigilant sur les excès… Aucune solution n’est parfaite, et dans cet article nous allons voir les inconvénients de la méthanisation.

Pour rappel, la Coordination Rurale n'est pas opposée à la méthanisation et si elle peut permettre un complément de rémunération aux agriculteurs, il convient de l'encourager. Cependant, au vu des problématiques techniques, des conditions de rachat et du temps de travail nécessaire, ce point est loin d'être assuré.

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Émissions de gaz à effet de serre

Le méthane

La méthanisation permet d’obtenir, suite à la fermentation anaérobie de matière organique et une étape d’épuration, un gaz « vert » qui est composé à plus de 97 % de méthane. Le méthane est un gaz à effet de serre dont le pouvoir de réchauffement est 25 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone (CO2), c'est-à-dire que sur 100 ans, le méthane fait 25 fois plus d’effet de serre que le CO2.

Certains arguments soulignent le fait que le méthane aurait été produit dans tous les cas, que ce soit dans le champ ou dans une cuve, mais que la méthanisation permet de l’isoler afin d’en tirer un profit énergétique. C’est faux. La production de méthane en de telles quantités nécessite des conditions particulières : anaérobie, température de 40°C, isolation des UV, etc.

Cependant, si le méthane produit permet de substituer d’autres sources d’énergies fossiles, le bilan carbone peut être fortement positif. Encore faut-il qu’il s’y substitue, et non qu’il s’y rajoute.

Le dioxyde de carbone

Pendant la fermentation, du CO2 est également produit, qui sera rejeté dans l’atmosphère à l’étape suivante : l’épuration du gaz. Dans de très rares cas, le CO2 est valorisé (CO2 alimentaire, méthanation) mais ces technologies sont peu répandues et très coûteuses. Donc, dans la majorité des cas, le CO2 est rejeté directement dans l’air. Or, pour 100 unités de CO2 émises dans l’atmosphère, 45 y restent pour une centaine d’années. La biomasse et les sols en stockent 30, et les océans prennent les 25 restantes (chiffres moyens entre 1959 et 2018, vérifiés également entre 2009 et 2018, d’après l’étude de Pierre Friedlingstein de 2019).

La méthanisation contribue donc au réchauffement climatique via l’émission de CO2.

Comme dit précédemment, la biomasse absorbe une partie du CO2 de l’atmosphère. Cela se fait via la photosynthèse. Une étude de Lucas A. Cernusak et al. de 2019 a observé que l'activité photosynthétique augmente proportionnellement à la concentration de CO2 de l’atmosphère. En revanche, la croissance des plantes est limitée par les aléas climatiques (sécheresses, inondations, gelées, etc.), conséquences du réchauffement global. (Inrae) Les plantes mourront avant d’épurer l’atmosphère.

Valorisation des déchets

Les boues des stations d’épuration

Point suivant : la méthanisation permettrait d’utiliser des déchets dont on ne sait que faire. En réalité, ces filières sont loin d'être abouties.

L'utilisation des boues des stations d’épuration s'est fortement complexifiée depuis la propagation du coronavirus SARS-CoV-2. Auparavant, elles étaient épandues sur les sols agricoles et constituaient un bon substrat de méthanisation. Se posait alors la question de leur composition (présence de métaux lourds, d’antibiotiques), car les boues épandues impactent la vie des sols, la santé des plantes et indirectement la qualité et la sûreté de notre alimentation. En outre, la présence d'antibiotiques dans les boues favorise l'apparition d'antibiorésistances chez les organismes vivants et pose ainsi un problème écologique.

Mais depuis le 30 avril 2020, une recommandation de l’Anses est devenue obligatoire et les boues doivent être « hygiénisées », c’est-à-dire mélangées à 30 % de chaux puis séchées afin d’en évaporer 80 % de l’eau. Ce traitement est coûteux, et 35 % des boues, soit 350 000 tonnes, n’ont pas été traitées et s’accumulent sur les aires de stockage depuis un an.

Une solution serait de les brûler, mais cela représente un coût élevé et émettrait de grandes quantités de CO2 dans l’atmosphère.

Depuis un an, les boues des villes sont donc inutilisables en agriculture, à moins d’être traitées. En outre, un règlement européen prévoit d’interdire en 2022 leur utilisation pour le compostage, débouché habituel d’un tiers des boues.

La méthanisation ne sera probablement pas la solution miracle pour le traitement des boues des villes.

Les biodéchets issus de l’agroalimentaire

En ce qui concerne l'utilisation des biodéchets (déchets issus de l'agroalimentaire), la gestion est compliquée, car nécessite un prétraitement afin de séparer aliments et emballages. Ce prétraitement est loin d’être au point. Les biodéchets traités par les méthaniseurs sont souvent contaminés par des restes d'emballages (plastique, polystyrène) et possèdent des concentrations élevées en soufre. Le soufre est ôté du gaz lors de son épuration, à l’aide d’un filtre à charbon actif. Ce dernier coûte 6 000 € et plus il y a de soufre, plus il faut le changer régulièrement. On peut ainsi comprendre la réticence de certains méthaniseurs à utiliser des biodéchets comme substrat.

La filière de prétraitement des biodéchets est en développement. On peut espérer qu’avec un nombre croissant de débouchés, elle soit au point d’ici quelques années. En attendant, leur gestion par la méthanisation reste limitée.

Il n'empêche, le meilleur déchet est celui qui n'est pas produit.

Les agriculteurs sont souvent pointés du doigt pour les dysfonctionnements alimentaires de la société.

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Et pourtant, c’est l’agro-industrie qui est responsable des emballages et d’une bonne partie des déchets alimentaires. Les citoyens ont leur part de responsabilité également. Chacun a son rôle à jouer dans l’amélioration des pratiques alimentaires et la réduction des déchets.

La méthanisation doit être une solution complémentaire qui permettrait de valoriser les déchets qui ne peuvent être évités. Elle ne doit en aucun cas devenir un passe-droit à la production de davantage de biodéchets.

Autres substrats utilisés

Même si les boues et les biodéchets pouvaient être utilisés sans problème, il faudrait compléter avec des cultures agricoles afin d’avoir un rendement suffisant à la rentabilité du méthaniseur. Le maïs est la culture qui possède le plus haut rendement de méthanisation, et un risque de dérive est de voir apparaître une concurrence énergétique avec des cultures nourricières. C’est ce qui est arrivé en Allemagne, il y a 10 ans : des territoires entiers recouverts de monocultures de maïs destinées à la méthanisation. Cela a duré jusqu’en 2014, lorsque l’État a imposé un plafond à la quantité de maïs pouvant être utilisée comme substrat. La croissance de la filière méthanisation allemande s’est alors stoppée net.

En France, depuis 2017, la proportion de cultures alimentaires pouvant être injectées dans le méthaniseur est limitée à 15 %. Les prairies permanentes et les CIVE (Cultures Intermédiaires à Vocation Énergétique) ne sont pas comprises dans cette restriction. À défaut, au moins 50 % des projets auraient été contraints à l’abandon.

Il existe donc un réel risque de concurrence foncière pour les agriculteurs, et de concurrence alimentaire, que ce soit pour les produits destinés à nourrir les animaux ou les Hommes.

Des couverts végétaux pour les sols

En tous cas, les cultures pour méthaniseur - les CIVE - induisent une bonne couverture des sols. C’est le rôle que jouent les SIE (Surfaces d'Intérêt Écologique) pour les agriculteurs. La différence, c’est que les agriculteurs méthaniseurs ont le droit d’épandre de l’azote (le digestat de la méthanisation en est riche) sur leurs CIVE alors que c’est interdit pour les SIE des agriculteurs. Cela contribue à créer une scission entre les méthaniseurs et les autres agriculteurs.

Fertilisation des sols

Les plans d'épandage des digestats viennent s'ajouter aux plans d'épandage des effluents d'élevage. Digestats ou effluents, y aura-t-il assez de surface pour tout le monde ? Le fait que l'épandage des boues des stations d'épuration ait ralenti depuis un an permet peut-être un équilibre entre les deux mais, à terme, le risque de concurrence est présent.

La question de la composition du digestat et de son impact sur les sols se pose également. L’Inrae travaille à créer des modèles reliant les substrats et le digestat. Cependant, la recherche sur le sujet en est à ses balbutiements. Des premières études semblent montrer que les impacts positifs sur le long terme de l’épandage du digestat prévalent sur les conséquences négatives à court terme (intoxication à l’azote de la mésofaune du sol, c’est-à-dire mort des vers de terre). En revanche, aucune analyse d’impact sur les micro-organismes du sol n’a été faite à ce jour.

En outre, l’épandage du digestat nécessite un traitement particulier, car l’azote qui le compose est particulièrement volatile. Le digestat doit donc être stocké en milieu fermé, épandu en l’absence de pluie et de vent et enfoui dans le sol.

Conclusion et réflexions

Il existe d’autres éléments qui présentent des impacts négatifs sur l’environnement, tels que l’artificialisation des sols et l’utilisation de béton et de métaux pour construire les installations de méthanisation.

La gestion de l’eau est un point clé : l’eau est le facteur limitant de la méthanisation. Pour avoir un ordre d'idée, il faut environ 20 000 m3 d'eau pour un méthaniseur de 3 hectares injectant 20 000 tonnes de substrat à l'année. Si demain l’État interdit d’irriguer les CIVE, beaucoup feront faillite. En outre, pour produire du gaz « propre », il faut de l’eau « propre » et les critères sont stricts : une eau de pluie récupérée directement sur bâche peut échouer aux tests.

Peut-on encore parler d’agriculture pour cette filière énergétique ? Plusieurs scissions sont déjà présentes et visibles entre les agriculteurs méthaniseurs et les autres.

 

De plus, il s’agit d’un métier ingrat, éprouvant (24 heures par jour, 365 jours par an) et peu rémunérateur. Est-ce le lot des agriculteurs ? Certains, tels qu’Olivier Dauger, administrateur en charge des questions climatiques à la FNSEA, semblent le penser. Son intervention à ce sujet lors d’une séance sénatoriale a fait bondir Agnès Henry, présidente de la Coordination Rurale de Seine-et-Marne.

Il a déclaré, face aux autres syndicats qui soulignaient la difficulté et l’ingratitude de ce métier : « Au départ, les méthaniseurs de France ont râlé parce qu’ils n’étaient pas payés à des coûts horaires comme les laitiers. Mais c’est ce qui a fait la force de la méthanisation agricole par rapport aux groupes privés. Les groupes privés se sont rendu compte qu’il fallait deux équipes en 2/8, voire trois équipes en 3/8 pour faire tourner le méthaniseur 24 heures sur 24. Et en termes humains, en termes de coût social, de charges sociales, l’agriculteur ne compte pas ses heures donc ça ne coûte rien. »

Pour Agnès Henry, cette vision approbatrice des conditions rudes de travail des méthaniseurs est insupportable. « C’est incroyable ce que les paysans sont capables de faire pour les autres. Les agriculteurs méthaniseurs sont de vrais petits soldats du gaz. Ils ont été envoyés au front sans cartouches, sans recul sur les problèmes techniques liés à la méthanisation, et ils seront demain embourbés dans une guerre de tranchées pour l’approvisionnement. » Pour la Coordination Rurale de Seine-et-Marne, la priorité doit être, avant d’encourager l’essor de nouveaux projets de méthanisation, de soutenir les agriculteurs méthaniseurs d’aujourd’hui.

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